À tel point que la partie paraît jouée d’avance et que les médias n’ont plus qu’à se contenter de renforcer servilement la tendance déjà à l’oeuvre. Oubliant du coup que leur tâche première devrait être celle de nous aider à réfléchir à qui est en train de se jouer politiquement. N’est-ce pas qu’à ce prix qu’on pourra parler de ces élections municipales comme d’un véritable exercice démocratique ?
Et là je ne parle pas du Journal de Québec ou de quelques radios sensationnalistes qui en général ne s’embarrassent pas de grandes nuances. Je parle de journalistes aguerris comme Jean-Simon Gagné du quotidien Le Soleil (voir son article du 30 octobre : http://www.lapresse.ca/le-soleil/opinions/chroniqueurs/201310/30/01-4705147-journal-dun-don-quichotte.php) ou du fin chroniqueur culturel David Desjardins du Devoir (voir sa chronique dans Le Devoir du 30 : http://www.ledevoir.com/politique/ville-de-quebec/391285/une-declaration-de-guerre), ou encore du reportage diffusé au Télé-journal de Radio Canada le 29 octobre (http://www.radio-canada.ca/emissions/telejournal_quebec/2013-2014/integrales.asp#). Dans les 3 cas on a à faire à des gens qui prétendent à la rigueur et à l’originalité, et qui de façon générale cherchent à faire du bon journalisme.
Mais là, c’est à se demander si pour l’occasion ils n’auraient pas perdu tout esprit critique.
Vulgaire publi-reportage
Que Radio Canada, à une heure de grande écoute décide de faire le point sur la campagne électorale municipale ayant cours à Québec, après tout pourquoi pas ? Mais que la chaîne d’État publie un reportage —sans aucune mise en perspective critique— se contentant de reprendre sur le mode bienveillant les poncifs le plus éculés sur le maire Labeaume, c’est vite transformer des moments de grande écoute en un vulgaire publi-reportage : un gigantesque espace publicitaire offert à quelques jours des élections à un maire dont toutes les affirmations sensationnalistes (sur les syndicats, sur l’utilisation de la voiture individuelle, sur la densité urbaine, etc.) mériteraient plus que quelques bémols posés pour la forme, mais de solides et vigilantes mises en perspectives.
Et après il y en aura qui s’étonneront —ébahis !?— que les côtes de popularité du maire se maintiennent au plus haut !
Plus grossier raccourci que ça, tu meurs
Remarquez, Jean Simon Gagné du Soleil ne fait guère mieux, lui qui pourtant n’a pas la langue dans sa poche et qui en général sait faire sortir le chat du sac. Sans doute a-t-il opté pour évoquer dans sons texte la figure du principal opposant à Régis Labeaume, David Lemelin. Et pour y aller d’une manière originale, il cherche à nous faire imaginer le journal personnel que ce dernier pourrait être en train d’écrire pendant sa campagne. Mais le ton est si cynique et désabusé, si négatif envers tout ce qu’a pu représenter David Lemelin depuis qu’il s’est lancé dans la course à la mairie, que sa chronique finit par être "dans les faits" un appel à reconduire Labeaume puisqu’il n’y a rien à tenter contre lui, tant il est ce "Goliath" qui à Québec "gagne" toujours. Et pas la moindre petite raison à offrir à tous ces lecteurs et lectrices qui ne partageraient pas les "coups de gueule" à l’emporte-pièce du sieur Labeaume !
On aurait pu s’attendre à autre chose de David Desjardins qui tient régulièrement chronique dans Le Devoir. Mais là, sa sensibilité personnelle ne peut remplacer un sens politique qui lui manque ici pathétiquement ! Car à vouloir se placer mine rien au dessus de la mêlée et renvoyer dos à dos Jean Gagnon, président du syndicat des cols blancs et Régis Labeaume, tout en insinuant que les critiques du premier sont « nettement exagérées » et que le maire sortant a dans cette affaire « une position courageuse », il ne fait que renforcer un formidable préjugé qui est propagé à tout vent par la puissante droite néolibérale : s’il y a déficit à la ville c’est à cause des syndicats et du « pouvoir invisible" qu’ils représentent.
Plus grossier raccourci que ça, tu meurs…. et ce n’est nullement à l’honneur d’un chroniqueur de tomber dans un tel panneau, lui qui à la différence de bien des journalistes, a ce formidable privilège de disposer d’un espace dans lequel il peut s’exprimer relativement librement !
Comme quoi, ce n’est pas parce qu’on a la chance de parler depuis la tribune de Radio Canada ou encore qu’on a une bonne plume ou une manière originale de présenter ses propos, qu’on ne participe pas pour autant à son insu à la pensée unique d’aujourd’hui.
Pour y échapper, il faut plus que cela : il faut le courage de dire et prendre parti, le courage d’aller à contre-courant, le courage d’inlassablement faire preuve de ce qui est essentiel à une société qui aspire à la démocratie : le sens critique. Et à Québec à la veille du scrutin municipal, c’est ce qui semble le plus nous manquer !
Pierre Mouterde