Édition du 12 novembre 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Les lendemains de la veille

Dans le monde, la semaine d’actions pour la justice climatique a eu un retentissant succès. Des millions de gens sont sortis dans la rue, à Berlin, Paris, Auckland (Nouvelle-Zélande), Vancouver et ailleurs. À Montréal, tout le monde a vu cela, nous étions 500 000. Dans au moins 20 villes du Québec, des manifs d’une ampleur qui a surpris tout le monde, à Québec (30 000), Gatineau (30 000), Sherbrooke (5 000) et plusieurs autres sites.

Qu’est-ce qu’on a vu plus précisément ? Une foule jeune, bigarrée, joyeuse, pleine de chansons, de pancartes faites « maison », avec dans les immeubles sous lesquels se déroulait le défilé des tas de gens qui nous envoyaient la main. De très gros contingents des écoles secondaires, une masse d’étudiants des cégeps et des universités comme on n’en avait pas vu depuis 2012, de gros contingents syndicaux et communautaires et aussi, des tas de gens « ordinaires » qui n’étaient pas venus comme cela depuis le printemps arabe. C’était émouvant, merveilleux, enthousiasmant. Il faisait beau (merci camarade soleil). On riait, on fêtait, on criait. Même les flics avaient l’air de s’amuser, d’autant plus que les petits commandos masqués qu’on voit toujours dans ce genre d’évènements ont eu la bonne idée de rester avec la manifestation.

Fait à noter, il y avait aussi le « ton » : c’était implicite, un peu impalpable, mais ça disait une chose simple mais très lourde de sens : le problème, ce n’est pas le réchauffement climatique, le problème c’est le système qui est derrière. Bien sûr, cela serait exagéré que les centaines de milliers de personnes aient une compréhension cohérente et explicite de tous les enjeux. C’est pour cela que j’appelle cela le « ton », quelque chose de réel et de flottant, exprimant le sentiment de la très grande masse.

C’est aussi ce qu’on a entendu dans les brefs discours à la fin de l’épuisante marche à Montréal (5 heures) : simplicité, clarté, convergences. « Ce système (sans le nommer) nous empoisonne, disait-on. Cela va prendre plus que des bacs verts, plus que des autos électriques, plus que des « taxes carbone ». Le problème est systémique. Nos soi-disant décideurs sont dans le champ.
Comment expliquer tout cela ?

Premièrement, le mouvement est vraiment venu de la base. Il a été autoorganisé par les jeunes et les étudiants qui n’ont demandé à personne la « permission ». Ce sont eux et elles qui ont parti le jeu. Deuxièmement, les mouvements environnementaux ont eu la bonne idée de se regrouper dans une sorte de coalition de coalitions. Ils ont eu la décence de se mettre en arrière, même les gros canons de cette armée (Greenpeace, Équiterre), qui sont importants dans le décor, mais qui, généralement, ont peu de capacités de mobilisation. Troisièmement, la mouvance syndicale et communautaire a bien répondu par un travail discret mais efficace pour rallier les membres, organiser des arrêts de travail (surtout dans le secteur de l’éducation), et être tout simplement là, sans se chamailler à qui serait en avant avec Greta. Autre facteur : Québec Solidaire, qui martèle le message depuis des mois, auprès des membres, qui a organisé des comités pour la manif, et qui a incité les élus à intervenir haut et fort à l’Assemblée nationale. Après cela, personne ne devrait être surpris que QS soit devenu le parti le plus populaire auprès des 18-30 ans.

Alors soyons réjouis, la job a été faite, et plus que tout ce qui était espéré.

Maintenant, la « vraie » bataille commence. Les élites politiques et économiques sont bousculées, mais elles ont bien des cartes dans leur jeu. Elles ont compris bien sûr qu’il faut « tout changer pour que tout reste pareil ». La partie intelligente de ces élites a compris l’importance de « verdir » le capitalisme, en proposant des mesures d’ « accommodement », voire à transformer la cause environnementale en « occasion d’affaires ». On peut donc s’attendre, et en fait c’est déjà commencé, à voir les Legault et les Trudeau en rajouter, tout en gardant le cap sur leurs priorités de croissance capitaliste, notamment dans les ressources (le Canada étant un des champions du « pétro-capitalisme » mondial).

Il faudra résister, et pas seulement dans les grands rassemblements. L’idée commence à circuler, inspirée par la « rébellion contre l’extinction » (amorcée en Angleterre, mais en vogue en Allemagne, en France et ailleurs) de résistances civiles non-violentes, contre les pollueurs, les raffineries, les mines à ciel ouvert, les sièges des grandes entreprises responsables du gâchis actuel. Ça va bouger.

Alors l’action directe, c’est bien, mais là aussi, ce n’est pas suffisant. Rien ne remplace le travail dans l’ombre, école par école, quartier par quartier, ville par ville : les petites et moins petites assemblées, les ateliers d’éducation populaire, voire les réunions de familles, les pique-niques et autres festivités ! Ce sont les fourmis qui vont finir par avoir la peau des éléphants.
Avec cela, on va continuer de développer un projet, quelque chose de rassembleur, radical sans excès, concret, faisable, qui puisse se déployer à toutes les échelles, du local au national et à l’international, en passant par le « glocal ». Ce projet, c’est quelque chose qui doit nous mettre ensemble, à travers les générations, les clivages d’origine et de capital « social », et même au-delà des frontières, car le combat, évidemment, est mondial.

Dans les prochains mois, on aura l’occasion de construire cette grande convergence. Il y aura à Montréal, les 21-24 mai, « La grande transition » qui pour sa troisième édition vise à réunir plusieurs centaines de personnes engagées dans l’action et dans la réflexion, ce que j’appelle des « chercheurs-militants » et des « militants-chercheurs », pour discuter, réfléchir, relancer des actions. Au niveau mondial, il y aura à Barcelone, en juin, le Forum mondial sur les économies transformatrices, qui aurait pu s’appeler le Forum mondial de la construction des alternatives, et où on attend 35 000 participant-es du monde entier, dont un bon contingent québécois.

On continue…

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