Le gouvernement Legault, malgré la volonté de verdir son discours, manifeste un manque de volonté politique pour rompre avec une croissance basée sur un modèle extractiviste incompatible avec la réduction nécessaire de la consommation énergétique. L’augmentation de la production à des fins commerciales est au contraire dans les cartons. Et l’axe de cette augmentation est appelé à passer, dans un premier temps, par la privatisation des énergies renouvelables. Ce sont les bases des politiques gouvernementales qu’il s’agit d’expliquer et les orientations alternatives à cette politique qu’il est nécessaire de préciser.
1. La privatisation de plus en plus importante de la production de l’énergie et le détournement de la mission d’Hydro-Québec
a. La mission déclarée d’Hydro-Québec à l’origine
Après une première nationalisation partielle en 1944 par le gouvernement Godbout, la deuxième nationalisation réalisée par le gouvernement Lesage en 1962, vise à réunir immédiatement les réseaux de distribution, de transport et de production sous la bannière d’Hydro-Québec, par contre, comme cette deuxième phase de nationalisation ne concerne pas les barrages privés qui produisent pour un client industriel unique, elle ne touchera que les abonnés résidentiels et commerciaux. Les industries énergivores (principalement les alumineries et les usines de pâtes et papiers) qui ont leurs propres équipements pourront les conserver. » [1]
Mais la nationalisation des entreprises productrices d’électricité est soutenu par la majorité de la population, car elle visait à définir l’énergie comme un bien commun, à créer un monopole public de sa production et de sa distribution afin de répondre aux besoins de la population en énergie et de fournir de l’électricité à un tarif unique, stable et suffisamment bas pour ne pas grever le pouvoir d’achat de la population. [2]
b) Un détournement de cette mission est depuis longtemps amorcé. Il vise à donner à Hydro-Québec une autre mission, celle d’être une entreprise commerciale à la recherche de profits et à permettre la mainmise de multinationales étrangères sur des proportions de plus en plus grandes de la production des énergies renouvelables.
Ce détournement a été le résultat de décisions gouvernementales et des initiatives de la direction d’HydroQuébec. Les gouvernements du Québec ont offert des tarifications allégées aux entreprises fortes consommatrices d’électricité. Ils ont ouvert la possibilité que des entreprises privées puissent construire de petits barrages et vendre leur production à Hydro-Québec . Ils ont opéré un tournant en commençant à produire de l’électricité pour son exportation dans différents États américains. Les différents gouvernements néolibéraux ont voulu faire d’Hydro-Québec la vache à lait des gouvernements et pour cela, faire d’Hydro-Québec une entreprise visant à faire le maximum de profits. Cette approche a bien été exprimé par André Caillée qui ne reconnaissait aucun rôle de justice redistributive à Hydro-Québec : "Hydro-Québec doit se comporter comme n’importe quelle entreprise. Il ne lui appartient pas de faire de la justice redistributive. Pour ma part, c’est zéro." [3]
Plus important, le gouvernement Charest fait une place plus importante au privé « en laissant à des entreprises privées, souvent étrangères, gérer l’installation des éoliennes alors qu’Hydro-Québec se bornera à acheter et distribuer l’énergie produite » [4]. Cette ouverture au privé a conduit Hydro-Québec à conclure une entente avec Énergir (ex-Gaz Métro) permettant à cette entreprise de continuer à vendre son gaz (de schiste) pour maintenir les systèmes de chauffage existant dans les décennies qui viennent.
c. Aux fondements de l’approfondissement de la CAQ de ce processus de détournement
Si la privatisation de la production de l’énergie électrique est déjà amorcée depuis un certain temps, celle-ci est cependant appelée à s’approfondir avec le tournant extractiviste du gouvernement Legault sous prétexte de transition énergétique. Le gouvernement a appelé les grandes entreprises multinationales à faire des énergies renouvelables, et particulièrement des énergies éoliennes, un nouveau champ d’accumulation. Selon Legault et Fitzgibbon, le Québec doit augmenter sa production d’électricité pour attirer les investisseurs locaux et étrangers. Pas question de se refaire le coup de l’impossibilité d’accueillir les investissements de Volkswagen. Cela passe par le développement de l’éolien ( à court terme, car construire de nouveaux barrages c’est long et souvent problématique). La production de l’énergie solaire, encore embryonnaire, pourrait, se voir imposer le même modèle où le privé serait l’unique producteur de ce type d’énergie.
Cette augmentation de la production électrique est nécessaire pour faire du Québec un centre d’extraction et de transformation des métaux rares et de constructions de batteries pour le nouveau parc d’automobiles électriques. Il s’agit dans les rêves du gouvernement de la CAQ de faire du Québec l’Alberta des énergies renouvelables. Même habillée de vert, cette croissance est incompatible avec une transition énergétique véritable. Les entreprises privées sont au rendez-vous de la manne financière que cela peut représenter : Boralex, Énergir, Kruger, Power Corp, Sky Power, TransCanada, mais également Invernergy (États-Unis), Enercon (Allemagne), Électricité de France…). La « production éolienne est aujourd’hui occupée à près de 95 p. 100 par la grande entreprise multinationale de l’énergie en dépit des efforts pour promouvoir les parcs communautaires. » [5]
Cette privatisation de l’éolien ne permet pas une planification véritable de la production de cette énergie et elle ne s’inscrit pas dans une volonté de réduction de la consommation d’énergie.
Pour imposer ce détournement de la mission originale, les gouvernements néolibéraux ont su trouver le personnel approprié. Les conseils d’administration ont été sélectionnés dans les milieux financiers et chez les grandes entreprises : André Caillé, Éric Martel, Sophie Brochu, et enfin Michel Sabia. [6] En, fait ils ont sélectionné des connaissances issues des milieux d’où sont issus les Legault, Fitzgibbon, Dubé, Girard et Duranceau. [7]
2. Privatisation de l’éolien et respect des régions et de leur population
Au départ, l’installation de parcs éoliens dans les régions habitées a connu nombre de résistances liées à la défense du paysage et aux nuisances diverses produites par les éoliennes. Hydro-Québec, les municipalités concernées et les promoteurs privés ont compris qu’il serait nécessaire de conclure des arrangements en termes de contributions financières et de concessions des promoteurs si on voulait parvenir à construire l’accessibilité sociale de ces projets de parc éolien.
Dans la vaste majorité des cas, les municipalités ne contrôlent pas les projets éoliens. Elles touchent des redevances et obtiennent certaines ententes, mais ce sont essentiellement les entrepreneurs, souvent des multinationales qui ont le haut du pavé dans les décisions et qui captent la quasi-totalité des gains des projets réalisés. Souvent, les ententes qui répondent aux appels d’offres d’Hydro-Québec ne donnent pas lieu à une véritable consultation de la population, mais suivent la méthode « décider, annoncer, défendre » en amont de toute consultation. Pour améliorer leurs rapports de force, les administrations municipales et les MRC ont eu tendance à se regrouper pour peser davantage sur la nature des ententes. Mais tant que les entreprises privées sont les maîtres d’œuvre de la production, même si doivent accepter certains engagements en termes de retombées économiques, pour la région, le développement de l’éolien se fait au nom de la recherche de profits et ne vise pas à répondre aux besoins et à des conditions définies par la population. La propriété publique du secteur éolien permettrait de donner un véritable pouvoir aux régions et aux municipalités. Mentionnons enfin que « Québec regorge d’endroits où les gisements éoliens sont supérieurs en efficacité en plus d’être loin des habitations. En concentrant les éoliennes au lieu de les disperser, et avec un facteur d’utilisation supérieur, on pourrait compenser largement pour l’éloignement. Il sera toujours temps de redonner les profits aux communautés. » [8]
3. Déprivatiser, planifier et socialiser, les fondements d’une politique solidaire de l’énergie au Québec
Une transition énergétique, économique et écologique nécessitera le blocage du processus de privatisation actuel, la planification articulant politique de l’énergie et politique industrielle centrée sur les besoins et la mise en place d’institutions rendant possible la planification écologique nationale et décentralisée qui se fera au cours de ce plan de transition. Dans le contexte de crise climatique et d’épuisement des ressources, cette planification doit faire de ses objectifs principaux l’économie d’énergie et une perspective de sobriété énergétique véritable.
Alors que le Québec, avec l’hydro-électricité, dispose d’une part importante d’énergies renouvelables, le passage à une production de 100% d’énergies renouvelables est possible et nécessaire, car son accaparement par les intérêts privés conduit à une augmentation des tarifs pour les usagers-ères et à une perte de contrôle du public sur la politique de l’énergie. Pour cela,
a. Déprivatiser par la nationalisation l’ensemble des entreprises produisant des énergies renouvelables devenant ainsi une propriété publique
Si on laisse développer les filières éoliennes et solaires par le privé, c’est une proportion de moins en moins importante de ce secteur qui pourra être considérée comme visant l’intérêt de l’ensemble de la population. La privatisation du secteur énergétique conduira à la précarisation de l’emploi et au recul de la syndicalisation. La nationalisation et la planification déboucheront sur la production de nombreux emplois verts.
b. Planifier la production des énergies renouvelables pour faciliter la transition et développer une politique facilitant l’économie d’énergie et la sobriété énergétique afin de réduire notre consommation d’énergie
La planification énergétique repose sur une véritable bifurcation qui conduit à refuser de réduire le Québec à une économie extractiviste où la vocation de l’économie serait d’abord et avant tout l’extraction minière de lithium, de cobalt, de cuivre, de terres rares pour et par les entreprises multinationales ; à refuser de réduire l’économie du Québec à une économie de première transformation fournissant à des entreprises de transport étrangères les matières premières qu’elles exigent (des batteries pour les entreprises américaines de l’automobile par exemple). La planification passera par le refus de chercher à augmenter la production et la consommation d’énergie. Cela se fera :
• En mettant en place un organisme de planification économique et écologique dans lequel Hydro-Québec est appelée à jouer un rôle de premiers plans
• En rejetant la perspective d’augmenter la production à des fins d’exportation d’électricité
• En donnant la priorité au développement d’une véritable politique d’efficacité énergétique en, en luttant contre le gaspillage, en imposant la durabilité et la réparabilité des biens de consommation
• En priorisant la sobriété – décroissance [9] – en dépassant un système de transport basé sur l’auto-solo et en développant un système de transport public et gratuit, en réduisant l’usage des avions, en rehaussant les taux de recyclage, en développant l’agriculture biologique évitant sa concentration sur la production carnée...
c. Une socialisation de l’énergie qui passe par une démocratisation de la société d’État, l’implication citoyenne dans les choix stratégiques en matière d’énergie et l’implication des structures politiques de proximité comme les municipalités
La socialisation implique l’élargissement des droits citoyens sur la conduite des affaires de la société. Si la nationalisation en est une condition nécessaire, elle n’en est pas une condition suffisante. Il implique le renforcement du pouvoir d’initiative de la majorité populaire. Et cela est possible
• En rendant effectif le droit à l’énergie par l’instauration de tarifs bas, stable et unique pour ne pas grever les revenus des ménages. Le tarif doit être défini par une institution nationale. Les coupures d’électricité aux ménages en difficultés de paiement devront être abolies.
• En abolissant des tarifs privilégiés pour les grandes entreprises multinationales
• En démocratisant la gestion d’Hydro-Québec en assurant la représentation citoyenne sur le conseil d’administration, celle de travailleuses et travailleurs d’Hydro et celle des Premières Nations
• En garantissant le contrôle citoyen sur les prises de décisions sur les grands choix énergétiques de la société y compris par l’utilisation de référendum
• En assurant le respect des lois protégeant l’aménagement du territoire
• En assurant la participation de citoyen-ne-s des villes et régions dans l’élaboration de la planification et en déléguant des pouvoirs de gestion aux institutions locales et régionales
• En accordant et respectant le droit de veto des Premières Nations sur les projets touchant leur territoire et leur assurant leurs capacités d’initiatives au niveau du développement des énergies renouvelables
• En associant les organisations de la société civile (syndicats, groupes populaires et groupes de femmes) au contrôle des impacts des projets sur les conditions de vie et de travail de différents projets
• en créant les conditions de cette participation citoyenne à une planification démocratique par la réduction des heures de travail
L’urgence climatique a une dimension énergétique. Elle nécessite que la parole citoyenne puisse se déployer pour éclairer les conséquences des politiques mises de l’avant par le gouvernement Legault qui ne répondent pas à la crise environnementale qui est devant nous et pour proposer une politique alternative qui tienne vraiment compte de la crise climatique.
Un message, un commentaire ?