Tiré du blogue de l’auteur.
Des colons en Jusée Samarie ? Vous plaisantez !
Ainsi s’expriment les chantres d’un supposé « Retour » des juifs exilés sur leur dite Terre originelle.
Ainsi s’exprime Benjamin Netanyahu, utilisateur hors pair de l’accusation d’antisémite envers tout individu qui critique l’invention de l’Etat juif de juillet 2018, lequel laisse de côté un quart de sa population non-juive, (Palestiniens chrétiens et musulmans, druzes, russes athées), et la poursuite de la colonisation qui va de pair avec ce concept. L’accusation d’antisémitisme à l’endroit des critiques, constituant un argument redoutable, lequel sape l’autorité du pur intellect en convoquant un élément de la sphère affective. En résulte un énoncé du type : « vous n’êtes pas d’accord parce que vous ne m’aimez pas. « Ainsi en va-t-il de « haine de soi » reprochée aux juifs dissidents… Amour et haine ne relèvent pas du lexique de l’argumentation rationnelle. La définition, floue, de l’IHRA, concernant l’antisémitisme ne laisse pas d’inquiéter, vu, par exemple, les répressions exercées par l’Angleterre qui a adopté cette définition.
Ainsi s’exprime aussi l’administration Trump, prétextant, contre l’ONU, que la colonisation en Cisjordanie ne s’oppose pas au droit international, lesdites colonies n’étant que des implantations (traduction de l’anglais « settlements »), de Juifs descendants d’un exode, qui, bien que vieux de deux mille ans, justifierait un retour, avec recours à la force, desdits exilés. (Ce, contre le Talmud de Babylone qui interdit un tel « Retour »). Une façon de s’allier avant les élections présidentielles, le vote des millions de fondamentalistes chrétiens, électorat plus fiable que celui des juifs, divisés eu égard à la politique de colonisation israélienne.
Question paradigme, on est en droit de se demander, pour les mêmes raisons invoquées, pourquoi par exemple, les Juifs et les Musulmans chassés par Isabelle la catholique en 1492, ne pourraient pas « rentrer », cinq siècles plus tard, en Andalousie. Ou, pourquoi les Amérindiens, exilés dans des réserves depuis quelque deux cents ans, ne pourraient « rentrer » à Manhattan. Ou, pourquoi les Américains eux-mêmes, descendants des puritains persécutés en Europe et passés par Ellis Island, ne pourraient pas « rentrer » en Europe ?…
Israël est un État non seulement reconnu par la communauté internationale, mais même crée par l’ONU. Le même ONU a voté depuis 1967 des résolutions demandant qu’Israël se cantonne dans les frontières de 1967, en vain. Vingt-huit ans plus tard, les accords d’Oslo étaient, à leur tour, bafoués. Plus récente, la résolution 2 334 du Conseil de sécurité de l’ONU de 2016, dont le texte réclame l’arrêt de la colonisation israélienne dans les territoires palestiniens occupés, et qui provoque l’ire du gouvernement israélien, et sa décision de vouloir limiter ses relations avec les pays qui ont soutenu ladite résolution. (La France, le Royaume-Uni, la Russie, la Chine, le Japon, l’Ukraine, l’Angola, l’Egypte, l’Uruguay, l’Espagne, le Sénégal et la Nouvelle-Zélande, Le Venezuela et la Malaisie.).
Là encore, comme dans l’accusation de l’antisémitisme, est convoqué le lexique de la passion en lieu et place de l’intellect : pour Emmanuel Nahshon, porte-parole du Ministère israélien des Affaires étrangères : « il est très important d’indiquer que la France est un pays ami et continue d’être un pays ami. Et que cette mesure (le rejet de la résolution) est donc de nature temporaire. Son but est d’exprimer notre colère et notre désarroi face au vote de la France aux Nations unies sur une résolution que nous estimons être anti-israélienne. »
Quant à B. Netanyahu, empruntant au Salon sur la Montagne, de Jésus, il assure qu’Israël « ne va pas tendre l’autre joue. »
Il faudrait redire à tous ces tenants du couple exil-retour que la mémoire et l’histoire sont, comme dit entre autres, Chris Marker, une construction. Pour mémoire :
L’exode des juifs à Babylone en 587 ne concerne qu’un cercle restreint, celles des élites et notables, des habitants du moment.
Selon David Ben Gourion et Yitzhak Ben Zvi (Eretz Israël dans le passé et dans le présent.), « Venir prétendre qu’avec la conquête de Jérusalem par Titus et avec l’échec de la révolte de Bar Kokhba, en 132, les Juifs cessèrent complètement de cultiver la terre d’Eretz Israël, découle d’une ignorance totale de l’histoire d’Israël et de sa littérature de l’époque. […] Le cultivateur juif, comme tout autre cultivateur, ne se laisse pas si facilement déraciner de son sol. […] La population paysanne, en dépit de la répression et des souffrances, resta sur place fidèle à elle-même. »
Selon Ber Borokov, chef de file de la gauche sioniste et auteur de Sur la question de Sion et du territoire : « La population autochtone du pays d’Israël, (Palestine), est plus proche des Juifs par sa composition raciale que tout autre peuple et même plus que les autres peuples « sémites » ; on peut soulever l’hypothèse très plausible selon laquelle les Fellahs du pays d’Israël, sont les descendants directs des vestiges de l’implantation juive et cananéenne, avec un léger complément de sang arabe. […] De toute façon, tous les voyageurs-touristes confirment qu’il est impossible de faire la différence entre un porteur séfarade et un simple ouvrier ou un fellah. Il semble que la différence raciale entre un juif de l’Exil et les fellahs du pays d’Israël, ne soit pas plus saillante que la différence entre les juifs ashkénazes et les Séfarades. »
Depuis vingt siècles, les Juifs n’ont pas cherché à s’établir en Palestine. Par exemple, c’était une injure que de demander aux Israélites français, très français et très nationalistes au demeurant, pourquoi ils n’allaient pas s’établir en Palestine. Pour mémoire ce sont, entre 1 880 et 1914, environ deux millions et demi de Juifs de langue yiddish, qui, fuyant le régime des stars, refluent vers les pays occidentaux en passant par l’Allemagne, une partie d’entre eux arrivant jusqu’aux rives de la terre promise du continent américain, moins de trois pour cent choisissant d’émigrer en Palestine ottomane…
Last but not least, il n’existe pas de lien ethnique entre les juifs contemporains et les douze tribus d’Israël, comme l’affirment Jacques Julliard et Luc Ferry à la suite de leur lecture de « Comment le peuple juif fut inventé » dont figurent les extraits ci-dessus. Une confrontation de Sand avec des historiens français, Michel Winock, Maurice Sartre, Esther Benbassa montre que ceux-ci s’accordent sur la dimension mythique de l’exil des Juifs de Judée, sur l’importance des conversions massives à l’époque antique, et donc sur le fait que la généalogie des Juifs contemporains avec les Judéens est largement imaginaire.
On est donc loin du bien-fondé de la normalisation avancée par l’administration Trump.
Si l’annexion est conforme au droit international, c’est que le recours à la force par lequel il est réalisé, est lui aussi conforme. Un des invariants du sionisme.
Comme le rapporte Yakob Rabkin, auteur de « Comprendre l’État d’Israël » et citant Anita Shapira (Land and Power) : « la psychologie sioniste se forme par deux paramètres contradictoires - un mouvement de libération nationale, et un mouvement de colonisation européenne d’un pays au Moyen Orient. » Le recours à la force, dit-il, est indispensable pour le maintien de ces deux objectifs. Il cite à ce propos cet extrait du livre de Benny Morris, Righteous victims :
L’idéologie et la pratique sionistes étaient nécessairement et essentiellement expansionnistes.
Afin de réaliser le sionisme, il fallait organiser et expédier des groupes de colons en Palestine. Chaque colonie qui s’implantait se rendait compte d’une manière très aiguë de son isolement et de sa vulnérabilité ; elle cherchait naturellement à établir d’autres colonies autour d’elle. Cela rendait la colonie originelle plus « sécuritaire » - mais les nouvelles colonies devenaient ainsi « la ligne de front » et avaient besoin de nouvelles colonies afin de les défendre. Après la guerre des six jours, une logique similaire a légitimé l’extension de la colonisation israélienne. »
Une ligne de front, constituée d’avant-postes, qui va se doubler d’une pénétration du tissu urbain palestinien. Passant de leur fonction d’avant-postes, les colonies sont ensuite introduites à l’intérieur du tissu des villes palestiniennes pour séparer les habitants et à terme empêcher tout mouvement national palestinien. Quand en 1968 des colons envahissent Héron, Levi Eshkol leur propose de bâtir Kyriat Arba en périphérie, mais après 1979, quatre colonies sont installées au sein de la vieille ville, où 2 000 soldats, des rues interdites, des blocs de béton, « protègent » 400 colons.
Les colonies sont de plus, rejointes par des routes de contournement interdites aux Palestiniens (Selon B’Tselem, chiffre de juin 2009), les Palestiniens ont un accès limité ou interdit à l’usage de 41 routes, ce qui représente quelque 732 km en Cisjordanie, y compris 17 routes (124 km) que les Palestiniens sont complètement interdits d’emprunter.
Autre particularité de ces colonies, elles attirent les Israéliens avec une diversité de mesures alléchantes du gouvernement, telles les subventions de logements, et les réductions d’impôt sur le revenu.
Pour l’heure l’UE s’en tient aux résolutions 607, 608, 636, 641, 672, 694, 799, 1 397, 2334, condamnant le non-respect des frontières de 1967. Pour combien de temps ?
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