Édition du 17 décembre 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Les chemins sinueux

Pendant longtemps, une certaine pensée de gauche appauvrie a dominé. Tout était clair, tout avait été dit par les ancêtres (Marx & co). On n’avait qu’à suivre le chemin déjà tracé. Et si cela ne marchait pas, c’était à cause des conspirations des puissants. Je simplifie, mais c’était à peu près cela. Aujourd’hui par chance, cette époque est révolue. Bien peu de gens, à part quelques irréductibles détenteurs de la « juste ligne », proposent d’aller se cogner la tête dans le mur, convaincus d’avoir raison, envers et contre tous.

Une fois dit cela, si le chemin n’est pas tracé, il faut le découvrir soi-même. Plus facile à dire qu’à faire. Il faut faire des enquêtes, émettre des hypothèses, rechercher ce qui indique des tendances, même si elles sont hésitantes, ambiguës. Il faut faire appel à un ensemble de connaissances, qui dépassent la plupart du temps ses propres compétences, et donc ce qui veut dire des dialogues croisés, des explorations. C’est faisable, mais il faut être déterminé.

Parlant des « ancêtres », si on se souvient d’eux et d’elles, c’est justement parce qu’ils ont fait cela : ils sont sortis des sentiers battus. Disant cela, je pense à un grand mal aimé du panthéon actuel de la gauche, un dénommé Vladimir Lénine. C’était en fin de compte le plus antidogmatique des marxistes à une époque où la vérité « absolue » était « révélée » aux ignorants. Lénine ne s’est jamais gêné de délaisser ces mythes érigés en dogmes sur les tablettes poussiéreuses des bibliothèques. Il allait chercher chez Marx, mais aussi chez Hegel et toute une panoplie de penseurs européens, les outils pour procéder à ce qu’il appelait le « réarmement » intellectuel de la gauche. C’est une longue histoire qui pourra être racontée un jour.

Revenons à aujourd’hui. Lors du Forum social des peuples la semaine dernière, c’est un peu cela qui est arrivé. Par la force de ceux et celles qui s’étaient préparés (dont les 1000 participant-es aux activités des NCS), il y avait sur la table une étonnante liberté de penser. Les syndicalistes, pourtant rompus à l’art de défendre leur organisation quitte que quitte, ne se sont pas empêchés de penser tout haut pour observer les défaillances, les hésitations, le manque d’audace actuel du mouvement syndical. Il ne s’agit pas d’auto-flagellation ! Au lieu de se mettre la tête dans le sable, il faut regarder ailleurs et autour. Lors de la grève étudiante de 2012, les syndicats ont manqué d’imagination.

Parlant Carrés rouges, là aussi, la discussion la semaine passée à Université populaire des NCS a permis d’articuler une critique lucide de ce qui s’est fait et de ce qui ne s’est pas fait. Le défi était difficile de transformer cette résistance en un mouvement capable non seulement de résister au pouvoir, mais de construire une alternative « radicale-réformiste ». Le mot est parfois mal accepté à gauche, surtout si on ne veut pas considérer un autre mot, qui s’appelle « vaincre ». Les gens, même les plus déterminés, ne se battent pas, généralement, pour se battre. Il faut alors tracer une ligne, déterminer un objectif et construire autour de cela une stratégie. Une stratégie par ailleurs, cela implique des alliances, des compromis, une approche progressive. Vaincre en fin de compte, c’est aller chercher une majorité, une masse critique, qui fait pencher la balance et qui construit un nouveau projet hégémonique.

Alors comment aller plus loin ? L’idée du Forum était d’ouvrir un dialogue entre les peuples. C’est aussi ce qu’on a fait. Ouvrir la porte, c’est peu et c’est beaucoup. Du côté québécois, il est temps de considérer l’importance des luttes sociales au Canada dit anglais. On a essentiellement les mêmes adversaires, les mêmes élites canadiennes et aussi le même État, car l’État fédéral est celui qui dispose des vrais leviers du pouvoir. Il y a donc une base commune dont a feint d’ignorer l’importance ces 25 dernières années.

Il ne s’agit pas pour autant de devenir « fédéraliste », car l’État canadien historiquement constitué s’est développé par l’oppression du peuple québécois et des peuples autochtones. Dans un sens, cet État n’est pas réformable, il faut le briser et imaginer un autre État, totalement différent. Pour cela, il faut considérer qu’on ne pourra pas faire cela seuls au Québec. Est-ce que les mouvements canadiens pourront transcender leur ignorance des réalités et des revendications des peuples ? Est-ce que l’élan pour l’émancipation nationale, qui va de pair avec l’émancipation sociale, pourra donner au peuple québécois les outils pour créer un autre État ? Et comment interagir avec les populations autochtones, dont les revendications ne sont pas moins légitimes ? Autant de questions que nous avons effleurées la semaine dernière …

Entre-temps, il faudra continuer le débat mais aussi imaginer des pistes d’action. Il y a une nécessité, un impératif, de mettre en place une grande coalition anti-Harper. C’est une évidence, mais en même temps un défi, car les outils pour créer cette coalition font défaut. Malheureusement, ce n’est pas le NPD de Thomas Mulcair, qui aspire à remplacer le Parti Libéral comme une « alternance » à l’intérieur d’un système pourri. Certes, des membres et des députés du NPD, Alexandre Boulerice par exemple, voudraient aller plus loin. Toutefois, le NPD comme parti n’est pas ce véhicule.

Élargir la coalition sociale demeure une sorte d’alternative, bien qu’incomplète, qui doit se matérialiser dans des luttes, pas seulement avec des déclarations. On verra ce qui peut être fait dans les prochains mois, par exemple contre les pipelines transportant le pétrole le plus anti écologique au monde.

On se souhaite bonne chance…

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