Depuis que François Legault vous a louangé comme nos « anges gardiens », l’expression est devenue courante...
Florence Thomas : Oui, mais c’est assez. On présente les femmes dans le domaine de la santé comme si elles étaient là en « mission, au lieu de nous considérer comme des professionnelles, certes motivées, mais qui ne sont pas des « sœurs hospitalières. » Revient sans cesse le mythe du don de soi et de la vocation et, en 2020, on est ailleurs. Cette perspective patriarcale occulte nos savoirs et nos compétences, et fait en sorte que les conditions de travail des professionnelles en soins sont toujours subordonnées à ces stéréotypes.
Évidemment la pandémie change tout…
Tout le monde travaille beaucoup. Mais le réseau, qui n’est pas seulement les hôpitaux, mais bien une quantité de milieux de soins, n’est pas en bonne santé. Depuis longtemps, les infirmières ont des horaires atypiques et sont en surcharge constante de travail. Ce qui rend la conciliation travail/famille très problématique. Les « réformes » de l’ancien ministre Barette ont alourdi et centralisé le système. La nouvelle ministre de la santé Danielle McCann a dit qu’elle voulait nous écouter. Jusqu’à date, elle a fait beaucoup de promesses, mais on ne sent pas les actions sur le terrain. Devant la pandémie, on nous demande plus de sacrifices, mais le seuil de tolérance a des limites. Le plan d’urgence sanitaire du gouvernement est l’application d’un plan élaboré, en 2006, par des experts [1]. Pour le commun des mortels, ça ressemble à une stratégie initiée par le gouvernement actuel mais il n’en est rien. On est dans l’urgence, mais sur un terrain miné.
Pensez-vous que les mesures en place sont adéquates ?
La pénurie d’équipements révèle une grave défaillance et un problème de transparence. Depuis janvier, le gouvernement devait se préparer à la pandémie, et en mars, on apprend qu’il y a une pénurie de masques ! En soin à domicile, là où il y a des population plus à risques, les infirmières n’ont pas accès au matériel de protection. Depuis le début de la pandémie, il a fallu se battre pour protéger les infirmières enceintes et protéger le personnel exposé au virus. Finalement, le gouvernement a décrété, seulement pendant le temps de la crise, une bonification salariale de 8 % pour les personnes exposées au risque (la FIQ demandait 14%). Le gouvernement est déconnecté de la réalité des professionnelles en soins.
Pourtant, à lire certains sondages, Legault a la cote…
Des experts en communication livrent leur message : « nous sommes en guerre contre un ennemi qui est partout ». Chaque individu qui ne se plie pas aux mesures sanitaires, devient potentiellement cet ennemi. Les gens ont peur, mais ils sentent qu’il y a un gouvernement qui s’occupe d’eux, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis. La lutte contre la pandémie est un fait qui ne peut être discuté. Peu de personnes interrogent les causes de ce phénomène. Notre présidente, Nancy Bédard, alors qu’elle dénonçait l’absence de protection des travailleuses, a été sermonnée par certains médias comme si critiquer le gouvernement était immoral.
Comment les infirmières « tiennent bon » dans ce contexte ?
On ne se laissera pas intimidées. Avant la pandémie, on a fait des grèves d’un jour à deux reprises contre le temps supplémentaire obligatoire. Maintenant, on rebondit face à un gouvernement qui souhaiterait imposer une négociation collective dans contexte de confinement qui bouleverse la structure démocratique du syndicats. On veut continuer à travailler fort, et être respectées. Il y aura des questions à poser après la crise, car on ne pourra pas retourner aux conditions de travail qu’on connaissait avant la pandémie.
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