LUNDI 20 AVRIL 2020··
TB ! Comment cela se passe-t-il à Montréal-Nord dans cette période calamiteuse ?
On est inquiet, surtout chez des familles qui se retrouvent dans le dénuement (au moins 30 % de la population est en dessous du seuil de la pauvreté). Il y a aussi beaucoup d’aînés dans les résidences le long de la Rivière-des-Prairies, et qui sont particulièrement affectés.
Pandémie, pauvreté et discrimination, c’est un mauvais mélange…
Pour notre population immigrante (50 % de Montréal-Nord), les pratiques discriminatoires sont systémiques, se manifestant dans l’emploi, l’éducation, le logement, et aussi dans la santé. Des tas de gens ici souffrent de maladies chroniques (diabète, insuffisance cardiaque et respiratoire, etc.). Cela peut être relié à des problèmes de malnutrition. Les banques alimentaires sont très importantes, mais présentement, elles sont sursollicitées. L’impact est grave d’autant plus que les enfants, confinés à la maison, ne bénéficient plus des programmes nutritionnels administrés à l’école.
Ce sont surtout les femmes qui écopent…
Plusieurs familles sont monoparentales. Les mères qui ont encore un emploi ne savent plus comment faire avec les enfants à la maison. C’est pire dans les zones de plus grande pauvreté autour du boulevard Pie-Neuf ou dans le Nord-Est.
Beaucoup de gens ont perdu leur emploi…
Les gens ici sont surtout dans le secteur des services, du travail domestique, etc. D’autres sont micro-entrepreneurs, les chauffeurs de taxi notamment. En partant, c’est un travail instable, précaire, mal payé. Certains doivent continuer de travailler, alors que leur protection n’est pas assurée. D’autres peuvent se retrouver à la rue. Les aides promises par les gouvernements relèvent de programmes qui sont parfois difficiles d’accès pour des gens peu alphabétisés, ne maitrisant pas bien le français, sans ordinateur à la maison. Un exemple un peu triste pour illustrer cela : les « trousses pédagogiques » qui viennent des écoles et des cégeps ne sont pas vraiment accessibles pour un grand nombre de parents.
Et il y a aussi le problème d’aider les familles restées au pays…
La population d’Haïti dépend des fonds envoyés par des centaines de milliers de personnes de la diaspora, surtout au Canada et aux États-Unis. Montréal-Nord est plein de boutiques qui transfèrent de l’argent. Mais maintenant, la diminution des revenus fait en sorte que ces envois indispensables peuvent fortement diminuer.
TB ! Alors qu’est-ce qu’on fait ?
On fait ce qu’on faisait depuis longtemps, mais encore plus. On aide des familles qui sont encore plus vulnérabilisées, dont certaines sont sans statut. Parallèlement, on met en place des équipes de sensibilisation, d’information et de repérage des enjeux vécus, pour s’assurer que les gens comprennent qu’ils ne sont pas seuls. Par exemple, avec l’aide du Syndicat canadien de la fonction publique, on parcourt les rues de Montréal-Nord dans un camion bien visible avec des haut-parleurs qui diffusent un message de prévention. La police collabore parce qu’elle a compris que nous pouvions secourir des gens et éviter la délation entre voisins. En fin de compte, on essaie d’établir des ponts de solidarité pour revenir à l’essentiel, prendre soin les uns des autres, se respecter même sous la pression et la peur.
TB ! Qu’est-ce que les gens pensent de l’action du gouvernement ?
Pour les Haïtiens, on sait trop ce qui se passe aux États-Unis. En comparaison ici, c’est quand même mieux. Pour le moment, on est à Montréal-Nord plutôt reconnaissant des aides d’urgence. Pour autant, beaucoup de gens savent que la catastrophe actuelle vient de loin. Des milliers de préposés aux bénéficiaires dans les établissements et les CHSLD sont des immigrants, mal payés, mal protégés. Ils savent bien qu’il y a des dysfonctionnements graves dans le système de santé.
TB ! Est-ce que des interventions revendicatives vont revenir à l’ordre du jour ?
Jusqu’à un certain point, François Legault a convaincu les gens qu’il était effectivement le bon « père de famille ». Cela est peut-être en partie causé par notre culture communautaire, catholique, où on doit se tenir ensemble dans la grande famille. Mais on sent que cette unanimité est un peu factice. Par exemple, blâmer les syndicats parce qu’il n’y a pas assez de monde dans les CSHLD est un peu fort, alors qu’on sait que ce sont les coupures drastiques qui ont imposé au secteur de la santé depuis des années qui sont à la source du drame.
TB ! Comment aller plus loin ?
J’encourage les mouvements communautaires, les syndicats et les groupes de gauche à sortir de leur zone de confort. On ne peut pas se contenter de rester dans les sentiers battus, alors que le système tombe en morceaux. Les conférences virtuelles sont importantes faute de pouvoir réunir les gens, mais ce n’est pas assez pour beaucoup de monde qui n’est pas dans le merveilleux monde des ordinateurs. Il faut aller sur le terrain, autant qu’on peut et aussi, cela peut paraître banal, en étant présent, à l’écoute, prêt à donner un coup de main. Ce n’est pas, en apparence, très révolutionnaire d’aider les gens à recevoir leurs paniers d’épicerie ou d’aller à la pharmacie à leur place, mais dans une pandémie c’est cela notre humanité, notre éthique, notre vision du monde.
(1) Voir la présentation de l’organisme sur leur site : http://www.parole-dexclues.ca/
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