Quelques semaines plus tard, le projet bat sérieusement de l’aile, une excellente nouvelle pour les millions de personnes qui souhaitent que l’État canadien se sorte de la pétro-économie. Or, il est bien possible que l’approche stratégique concertée des Premières Nations (PN) soit un facteur clé dans cette lutte. C’est du moins ce que nous laisse espérer les récents événements de Colombie-Britannique (BC). Peut-on s’en inspirer dans l’Est ? Dans la perspective où nous serons appelés à nous rencontrer toutes et tous, Autochtones, QuébécoisES et CanadienNEs, lors du Forum social des peuples à Ottawa du 21 au 24 août, il serait peut-être utile d’étudier un peu mieux ce qui s’est passé au BC.
Depuis quelques décennies, les PN du Canada semblent utiliser une stratégie plutôt judicieuse de revendication à trois volets pour protéger leurs territoires ancestraux, leur culture et leur langue. En premier lieu, plusieurs communautés, appuyées ou non par leur conseil de bande, mènent des actions directes et participatives (blocages de routes, manifestations et danses, longues marches de solidarité) qui sont souvent spontanées. Elles sont efficaces à court terme pour soulever l’attention du public et mobiliser les communautés, et sont souvent menées par des femmes et des jeunes. Il arrive cependant que ces actions « dérapent » vers la violence, ce qui cause ensuite beaucoup de souffrances dans les communautés. Ex : la crise d’Oka. Les instances officielles des PN (conseils de bande, conseils de chaque nation ou conseils tribaux, Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, etc) mènent des actions politiques qui visent à faire avancer le dialogue politique avec les élus et à influencer les politiques publiques en utilisant les canaux de la concertation et de la représentation ainsi que les médias pour accélérer les revendications. Mais sur le plan politique, la concertation inter-nations n’est pas simple dans le monde autochtone car les PN ont des réalités très variées sur le plan culturel, linguistique, géographique et économique. Elles n’ont pas toutes les mêmes priorités ni les mêmes forces organisationnelles. Cette non-solidarité fragilise l’action politique autochtone. Les actions juridico-constitutionnelles sont des actions à long terme qui visent à faire reconnaître les droits fondamentaux des PN tel qu’exprimés dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) ou la Proclamation Royale, par exemple, et se règlent à la Cour suprême du Canada, laquelle redéfinit alors le droit territorial autochtone national voire international. Même s’il y a eu plusieurs avancées ces dernières années – comme la DNUDPA- la judiciarisation des relations entre les Autochtones et l’État canadien n’a pas que des avantages, les chercheurs rappelant avec raison son extrême lenteur, son coût très élevé en frais juridiques, sans oublier la distance que les jugements creusent entre les PN et la société canadienne. Suite au récent jugement William(27 juin), par exemple, un jugement qui a fait jurisprudence en reconnaissant pour la première fois le titre territorial ancestral (pas seulement le territoire de la réserve) de la nation Tsilhqot’in de BC, un commentateur de notre radio d’état francophone mentionnait de façon désinvolte « J’espère qu’ils (les PN) se gardent une « p’tite gêne » pour ne pas célébrer trop fort LEUR victoire ». Enfin, plus récemment, on assiste à l’émergence d’une nouvelle génération de mouvements d’action collaborative entre les PN et les Québécois et les Canadiens, comme Idle no more/Fini l’inertie, une mixité qui encourage l’amitié et la reconnaissance mutuelle de l’Autre.
Comment cela s’est-il passé en Colombie-Britannique ? Toutes les actions semblent avoir convergé efficacement vers le même but dans l’espace et dans le temps : arrêter les pipelines. En premier lieu, lesinstances politiques autochtones ont réussi à faire un front commun et ont annoncé clairement leur opposition au pipeline. Quelques jours plus tard, les femmes de la nation Gitga’at, appuyées par de nombreuses autres femmes issues des PN ou du Canada, menaient à terme une merveilleuse « Chain of Hope » tricotée de plus de 20,000 pieds (6212 m), bloquant symboliquement le canal Douglas en canot avec une longue bande de laine multicolore sertie de photos d’enfants et de messages. Au même moment ou presque, la Ville de Vancouver« avouait » publiquement se situer sur un territoire autochtone non cédé. Et force est d’admettre que la récente décision de la Cour suprême est tombée juste au bon moment pour être utilisée contre l’invasion des pipelines.
Alors oui ! Il y a lieu d’espérer que nous pourrons gagner la lutte contre les pipelines et le développement de la pétro-économie au Canada… mais seulement si ce « nous » inclue les PN, les Québécois et les Canadiens.