La fin de semaine dernière, Bernie Sanders, Sénateur indépendant du Vermont, a pris la parole à Goose Lake en Iowa. C’était sa dernière prestation dans son flirt en vue de la présidentielle de 2016. Il était l’orateur principal au souper des Démocrates devant les vedettes du parti dans Clinton County.
Devant les 200 personnes présentes il a déclaré : « Mon programme, je crois, est progressiste. Je tente de savoir, vu d’ici et d’ailleurs dans le pays, s’il y a de l’appui pour ce genre de programme ».
En plus de l’enjeu de son âge, il aura 75 ans en 2016 [1], le plus important auquel il est confronté est celui de l’étiquette sous laquelle il peut se présenter. Il se présente comme un socialiste fièrement indépendant mais craint de passer inaperçu dans la course. Reste la possibilité de se présenter comme Démocrate. Il demeure prudent quant à ses prochaines décisions mais ses supporters commencent à s’exciter.
Les Progressive Democrats of America (PDA) sont en tête de peloton. Ils poussent Sanders à participer aux primaires du parti démocrate. Le 9 mai, à North Hampton, Massachusetts, au cours des fêtes de leur dixième anniversaire, ils lui ont présenté une pétition de 11,000 signatures d’appui à sa course au sein de ce parti. Le lendemain matin il s’adressait à 250 militantEs progressistes dans une église de Northampton [2]. Le porte-parole national des PDA, Conor Boylan, y a déclaré : « D’abord et avant tout, nous croyons à la promotion des progressistes. Et il est clair que Bernie Sanders est de loin en tête à ce chapitre. Compte-tenu du type d’organisation des primaires, il aurait une bien meilleure tribune pour faire valoir ses idées s’il se présentait comme Démocrate. Les Indépendants sont toujours plutôt mal vus par les médias dans les élections présidentielles. Si jamais Mme Clinton se présente je pense que les deux visions du pays, la plus corporatiste et néo libérale et la plus populaire, lutte pour la classe moyenne, seraient à l’ordre du jour. Ce débat serait une bénédiction pour les Démocrates progressistes qui pourraient alors clamer que tous les Démocrates ne sont pas pareils. Ce serait exemplaire ».
Cette proposition est traitée de futile par plusieurs qui présentent une idée plus déplaisante du Parti dans son ensemble. Depuis décembre dernier, M. Michael Trudeau, rédacteur et militant du Parti Vert à Cary en Caroline du Nord, est à la tête d’une pétition supportant la candidature de B. Sanders sous l’étiquette des Verts. Jusqu’ici, cette pétition a recueilli mille signatures. Selon lui, selon de récents sondages : « Plus de 80% des Démocrates veulent Mme Clinton comme candidate. Je pense que ça en dit très long à propos du Parti Démocrate, plus que n’importe quelle étude pourrait le faire. Alors, quelqu’un comme B. Sanders ne recevra jamais l’appui de la base démocrate ni non plus celui des ‘supers délégués’ du parti dans les primaires ». Et il souligne que les expériences passées, celle de Jessie Jackson en 1988 et de Dennis Kuchinich en 2004 et 2008 n’ont pas réussi à infléchir le virage à droite du parti : « Je pense que s’il prend cette orientation il ne fera que rameuter les progressistes, les libéraux, et ceux et celles de la gauche dans le Parti démocrate à cause de sa présence. Finalement tout ce monde finira par voter pour Mme Clinton, le néo libéralisme, Wall Street, les corporations et tout le reste qu’elle défend. Il parle de révolution politique ; ça n’arrivera jamais s’il s’accroche au Parti Démocrate, il se fera abattre ».
De son côté, Michael Lighty membre du conseil de direction des PDA et directeur des politiques du Syndicat des infirmières-ers pense qu’il y a une valeur à une candidature de la gauche dans la course présidentielle de 2016. Selon lui, il n’y aurait pas de contradiction fondamentale entre participer aux primaires et les convictions des candidatEs : « Le sénateur Sanders participe déjà au caucus démocrate au Sénat. Cela signifie qu’il y vote en faveur du leader de la majorité M. Harry Reid. Il n’a pas sacrifié ses orientations politiques pour autant. La tactique de se présenter à titre de Démocrate dans les primaires n’est rien d’autre.
En soi, cela ne représente pas de renoncement stratégique et idéologique ». Selon lui, le résultat positif de cette orientation qui consiste à faire plus qu’être le champion du couronnement de Mme Clinton, repose sur les engagements actifs des militantEs à la base : « La campagne du candidat doit être à propos du candidat. C’est la responsabilité des militantEs de l’accrocher à un objectif plus large de participation à la démocratie et de politiques progressistes ». Selon certains critiques, la campagne du Révérend Jackson en 1988 avec la ‘Coalition arc-en-ciel’ a atteint son maximum d’effet mais a manqué cette possibilité. M. Lighty souligne : « Nous voulons que le Parti démocrate devienne celui qui défend les intérêts de la classe ouvrière, pas ceux des entreprises. La candidature de B. Sanders à l’intérieur du parti va dans le sens de cet objectif. Mais le parti dans son ensemble, s’infléchira à gauche seulement si un groupe organisé prend cet objectif en main en plus de soutenir la candidature de B.Sanders dans les primaires ».
Pour le Parti Alternative socialiste, auquel appartient le conseiller municipal Kshama Sawant à Seattle, Bernie Sanders devrait se servir de sa popularité pour construire une dynamique en dehors du Parti démocrate. Un de ses dirigeants, Ton Crean, ajoute qu’ : « il n’y a jamais eu de meilleur moment dans l’histoire américaine pour commencer à construire une force politique en faveur de la classe ouvrière. Nous ne prétendons pas qu’une majorité de 99% peut être convaincue en un tour de main. Mais la candidature de gauche indépendante de Bernie Sanders dans la course présidentielle, conçue comme un instrument dans ce sens aiderait à galvaniser les forces qui pourraient lancer un tel parti. Ce serait un énorme pas en avant. Cette candidature pourrait être liée à un effort national pour constituer une liste de candidatEs de gauche crédibles qui feraient campagne localement et nationalement en 2016 sur des bases indépendantes ».
De son côté, Ralph Nader quatre fois candidat, 2 fois avec les Verts et 2 fois comme indépendant, pense que Bernie Sanders devrait se présenter sous l’étiquette Démocrate : « Je pense que sa candidature à titre d’indépendant n’ira pas loin. Il doit donc se présenter comme Démocrate ». J’ai demandé à M. Nader si cela ne diluerait pas les critiques acerbes du Sénateur à propos de ‘la politique comme d’habitude’ : « Tout dépend de l’orientation de sa campagne. S’il se présente comme un Démocrate contre l’establishment pro-entreprise démocrate, non. Il garde toute sa liberté de s’exprimer librement. Mais s’il tente de jouer le jeu de la politique de l’intérieur du parti, ne parle pas de ses contradictions internes, de la présence du militarisme et du rôle délétère de Wall Street, alors là, nous n’aurons plus affaire au même Sanders évidemment ».
Si on se fie aux appuis qu’il s’attire jusqu’à maintenant, chaque fois qu’il prend la parole, M. Sanders pourrait bien se présenter dans les primaires démocrates et faire campagne avec ce parti. Mais il n’est pas encore clair qu’il soit décidé à se présenter. Sa tournée nationale actuelle ne doit pas nécessairement aboutir à sa candidature à la présidentielle. Lors d’une tournée semblable l’automne passé dans le sud du pays, il a déclaré à In These Times qu’il cherchait avant tout à identifier de possibles candidatEs progressistes au plan national, des États et local, qui pourraient profiter de son comité d’action politique indépendante. Il se pourrait bien que l’histoire se termine de cette manière.
J’ai demandé à Conor Boylan des PDA s’il avait quelque indication que ce soit sur l’orientation que le Sénateur Sanders pourrait prendre : « en fait il ne dit rien du tout sur ce sujet ; il garde ses cartes par devers lui. Se présentera-t-il ou non ? Mais c’est de notre responsabilité de faire advenir cette candidature ».