Édition du 12 novembre 2024

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Amérique centrale et du sud

Le succès des meetings de Lula dans les favelas et quartier populaires de Rio marquent la première semaine de la campagne du deuxième tour

La campagne du deuxième tour des élections présidentielles est bien lancée. Lula est en tête à l’issue du premier tour, presque élu avec 48,45% des voix, mais avec finalement une avance plus réduite que prévu sur Jair Bolsonaro 43,20%. Rien n’est acquis, et tout est possible.

Les bolsonaristes réagissent. Ils sont très actifs sur les réseaux sociaux, en particulier sur Whatsapp et Telegram. Ils appellent à la rescousse les dirigeants des églises néo-pentecôtistes ; cette semaine par exemple, la plus importante d’entre elles, la Universal, distribuait largement un bulletin violemment anti Lula. Ils bénéficient de l’appui d’une fraction du patronat (près de 2000 entreprises font l’objet d’une enquête de la justice du travail pour avoir voulu contraindre leurs employés lors du premier tour) et ils détournent à leur profit la machine administrative de la fédération et des états. En outre, forts de leur succès aux élections sénatoriales dans les régions du Sud, Sudeste et Centre Ouest ils ont commencé les manœuvres pour prendre le contrôle de la présidence du Sénat, et se trouver en situation non seulement de bloquer certains projets en cours comme la criminalisation de l’homophobie, mais aussi d’avancer une réforme du Tribunal Suprême Fédéral, aujourd’hui un des garants de la constitution, pour en réduire les pouvoirs et l’autonomie

Mais la première semaine de l’entre-deux tours est finalement relativement favorable à Lula. D’abord parce que les supporters de Bolsonaro ont fait ce qu’on appelle au Brésil «  un but contre son camp ». Ils ont vraiment mal digéré les scores obtenus par Lula dans les états du Nordeste (les votes de l’’état du Maranhão á eux seuls compensent l’écart enregistré dans l’état de São Paulo) et se sont répandus en injures racistes (semblables à celles utilisées en France envers les migrants africains) contre les nordestins du pays entier : « ne vient pas chercher du travail ici », « retourne chez toi  » oubliant la participation du Nordeste à la richesse du Brésil et de la contribution de ses migrants á la construction et au fonctionnement des grandes villes du Sud. Du coup l’adhésion du peuple du Nordeste à la candidature Lula, lui aussi un migrant de l’intérieur, descendu à Sao Paulo en 1952, s’en est trouvée renforcée.

Ensuite parce que Lula a enregistré cette semaine le soutien des candidats centristes arrivés troisième et quatrième au premier tour : Simone Tebet (4,16%) et de Ciro Gomes (3,04%). Ciro Gomes a perdu beaucoup de son influence mais il se situe dans la tradition du travaillisme, qui de Vargas à Brizola a marqué l’histoire de la gauche au Brésil. Simone Tebet est une star montante de la politique. Elle a brillé lors de la CPI du Covid ; elle a fait une bonne campagne présidentielle, en particulier en direction de l’électorat féminin. Ces soutiens sont importants mais leurs électeurs ne les suivront que partiellement et ils pèsent un peu plus à droite sur le programme de Lula.

Enfin parce que les sondages récents confirment le favoritisme de Lula (DataFolha Lula 53%/Bolsonaro 47% et IPEC Lula 55%/Bolsonaro 45%). Mais, avec une marge d’erreur de 2%, les écarts restent faibles. Et les instituts de sondage se sont tellement trompés ces derniers temps.

La meilleure nouvelle serait que finalement la campagne de Lula semble décidée à changer de braquet. Lula s’était concentré au premier tour sur des meetings centraux, souvent en salle, et de discussions au sommet. Venu ces jours à Rio de Janeiro pour renverser l’avance de Jair Bolsonaro dans l’état, Lula s’est tourné vers le peuple et la rue, et s’il est une chose que Lula sait faire, c’est parler au peuple et à la rue.

Le jeudi 11, il tenait un meeting á Belford Roxo, une ville de la périphérie de Rio. Le mercredi 12 octobre il était au complexe de l’Allemand, un quartier de Rio, un ensemble de favelas et d’habitations populaires sur 300 hectares et 180 000 habitants. Non seulement les services essentiels (eau, égouts, transports, éducation, santé) y sont plus que précaires, mais ses 180 000 habitants y subissent périodiquement les conflits entre groupes armés, et les constantes et meurtrières incursions de la police ; ici tous ont encore en mémoire le cas du petit Eduardo, 10 ans fusillé par la police devant sa porte.

Lula ici est reçu par une myriade de motoboys et de livreurs de Ifood avec leurs pétrolettes, du 125 à tout casser, alors que Bolsonaro adore les défilés de Harley, BMW ou Honda de forte cylindrée montées par des playboys arrogants. C’est la décontraction des familles populaires carioca qu’un s’impose : grand-mère avec sa petite fille, familles entières, couples d’amoureux de tous les sexes. Ils sont venus, ils sont tous là ! Vieux travailleurs et travailleuses à la peau burinée ou jeunes rappeurs à la coupe élaborée, femmes de ménage et employés de maison, maçons, menuisiers, professeurs, soudeurs, pétroliers en uniforme, le monde du travail est là. Devant une clinique de la famille, les employés arborent fièrement le drapeau du SUS, le système de santé qui a tenu face à la pandémie, envers et contre Bolsonaro et ses ministres de la santé.

Et puis Lula arrive, sur la benne d’un camion. A ses côtés Janja sa compagne, et Eduardo Paes, le maire de Rio, Marcelo Freixo et Rodrigo Neves, aspirants recalés au poste de gouverneur. Mais les gens n’ont d’yeux que pour Lula qui arbore une casquette aux 3 lettres CPX, le symbole du complexe de l’Allemand qui, dans d’autres circonstances et la meilleure des hypothèses, pourrait valoir à son porteur un contrôle d’identité musclé.

Les cris de Lula, Lula fusent. Un vieux travailleur essuie une larme et s’excuse en disant « que d’émotion » On mesure tout d’un coup ce que Lula représente pour ces gens. C’est l’espoir d’un mieux : manger, envoyer ces enfants à l’école, recevoir les soins dont on a besoin, ne plus perdre des heures de sa vie dans les transports, ne plus risquer sa vie en traversant la ruelle. Et que ce Lula lá est le dernier rempart contre une extrême droite antisociale qui, si elle se trouvait confirmée au pouvoir, plus désinhibée que jamais, se retournerait violemment contre eux.

Pourvu que Lula garde sur la tête la casquette du CPX, ou qu’il la remplace par une autre que ce soit celle des métallos, des pétroliers, des paysans sans terre, de tous ceux qui luttent pour un monde meilleur. Mais surtout pas par celle de l’agrobusiness, ou du capital financier que certains lui tendent avec insistance. Ces meetings de Lula dans les favelas et les quartiers populaires sont une initiative importante. Elle doit être confirmée, consolidée, amplifiée. C’est la seule façon de construire un rapport de force non seulement pour battre Bolsonaro au deuxième tour, mais aussi tuer dans l’œuf toute tentation putschiste.

Luc Mineto, membre du MES/PSOL (Mouvement de la Gauche Socialiste) texte et photos

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