Le programme du Medef
Il n’est pas inutile de commencer par un bref rappel du projet du Medef (le patronat français) formalisé en septembre 2014, sous la forme d’un document fièrement intitulé 1 million d’emplois, c’est possible ! Ce programme est une offensive tous azimuts contre la condition salariale. Qu’on en juge :
• contre les congés payés : supprimer deux jours de congés payés par an ;
• contre le SMIC : un salaire pourrait être inférieur au SMIC pour les « populations les plus éloignées de l’emploi » ;
• contre les 35 heures : « en finir avec le principe d’une durée légale imposée à toutes les entreprises » ;
• contre les horaires encadrés : permettre l’ouverture des commerces le soir et le dimanche ;
• contre le contrat de travail : créer un contrat de projet qui « prendrait fin automatiquement une fois le projet réalisé » ;
• contre le droit du travail : « lisser » les seuils sociaux ;
• contre les « charges » : transformer le crédit d’impôt du CICE en baisse définitive de cotisations, avec suppression des taxes sur la production.
La nouveauté de ce document du Medef est qu’il proposait un chiffrage de ses mesures : le patronat promettait la création de 690 000 à 1 590 000 emplois en 5 ans [1]. Ce programme définit en tout cas une logique d’ensemble dans laquelle le gouvernement Hollande-Valls-Macron a choisi de s’inscrire.
Les réformes du gouvernement Hollande
Après la loi dite de « sécurisation de l’emploi » (un premier essai d’assouplissement du droit du travail) , après le CICE et le pacte dit de responsabilité (des cadeaux aux entreprises) qui se situaient déjà très clairement dans la logique néo-libérale, deux lois viennent d’être adoptées, non sans difficulté : la loi dite Macron (du nom du ministre de l’économie) le 9 juillet et la loi dite Rebsamen (du nom du ministre de l’emploi) le 23 juillet [2].
La loi Macron, dont le titre officiel est « Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques », est inspirée par le projet de « libérer la croissance », bridée comme on le sait par des réglementations excessives. Elle fait feu de tout bois, et on a pu parler, à juste titre, de loi « fourre-tout ». On y trouve en effet des mesures sur le prix des lunettes et du permis de conduire, sur la manière dont une copropriété décide de raccorder son immeuble à la fibre optique et même un amendement ajouté in extremis autorisant un projet d’enfouissement de déchets radioactifs à Bure, dans la Meuse. Elle a donné lieu à une procédure d’évaluation très révélatrice du dogmatisme néo-libéral (voir annexe 1) La loi Rebsamen, ou encore « Loi relative au dialogue social et à l’emploi », est quant à elle le fruit d’une négociation avortée entre patronat et syndicats.
Ces deux lois comportent un versant gauche sous forme de mesures d’intention progressiste mais limitées. Des administrateurs salariés seront présents dans les entreprises de 1000 salariés au lieu de 5000 ; la consultation annuelle des représentants des salariés sur la situation de l’entreprise pourra porter sur l’utilisation du crédit d’impôt recherche et du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. La loi Macron introduit un contrôle sur les sous-traitants étrangers et sur la fraude au détachement de salariés et étend, sur le papier, les prérogatives de l’inspection du travail, mais il se trouve que ses fonctions et ses moyens ont été réduits par une réforme récente. Cette même loi évoque la création d’un compte personnel d’activité qui regrouperait les droits sociaux acquis par un salarié, mais se borne à demander un rapport sur le sujet.
La loi Rebsamen prétend quant à elle protéger les représentants syndicaux des discriminations dont il font l’objet, mais, d’un autre côté, elle stipule que l’entrave au fonctionnement régulier des instances représentatives du personnel ne sera plus sanctionnée pénalement.
La loi Macron comprend aussi plusieurs mesures de déréglementation qui ont occupé le débat public, dont la libéralisation des lignes d’autocar, l’autorisation d’ouverture des commerces, douze dimanches par an au lieu de cinq (et sans limite pour certaines zones touristiques à Nice, Cannes, Deauville et Paris). Après Toulouse, les privatisations d’aéroports pourront continuer à Lyon et sur la Côte d’Azur. Les professions réglementées (avocats, notaires, huissiers, pharmaciens, etc.) qui étaient présentées comme autant de symboles des corporatismes à abattre, ont globalement échappé à une remise en cause fondamentale de leur statut.
Mais le cœur des lois Macron et Rebsamen est ailleurs. Il vise à remettre en cause le fonctionnement du marché du travail sous deux angles principaux : une protection de l’emploi allégée et l’extension des pratiques dérogatoires.
Les accords de maintien dans l’emploi permettaient déjà d’échanger une augmentation du temps de travail sans hausse de salaire contre le maintien dans l’emploi. Le dispositif, qui n’a pas eu beaucoup de succès jusqu’alors, a été encore assoupli par la loi Macron : l’accord peut porter sur cinq années au lieu de deux, et les salariés qui refusent son application ne pourront bénéficier de mesures de reclassement, même s’ils restent considérés comme licenciés économiques.
Les plans sociaux (baptisés officiellement « de sauvegarde de l’emploi ») seront eux aussi assouplis : l’ordre des licenciements et les exigences de reclassement seront moins contraignants, l’homologation administrative plus facile et plus rapide, et ces plans pourront être établis au niveau de l’entreprise, même quand celle-ci appartient à un groupe.
La loi Rebsamen permet de renouveler deux fois, au lieu d’une seule, un CDD (contrat à durée déterminée) ou un contrat d’intérim. Elle introduit dans le Code du travail, à titre expérimental jusqu’en 2018, le CDI (contrat à durée indéterminée) intérimaire, et porte sa durée maximale à trois ans, une concession supplémentaire à l’idéal patronal du « contrat de mission ».
La revendication patronale de suppression ou de « lissage » des seuils sociaux déterminant certaines obligations, comme la mise en place d’un comité d’entreprise, n’a pas été satisfaite. En revanche, les entreprises employant de 50 à 300 salariés pourront regrouper les instances de représentation des salariés (délégués du personnel, comité d’entreprise et CHSCT, comité d’hygiène de sécurité et des conditions du travail) en une délégation unique du personnel. Ce sera aussi possible au-delà de 300 salariés, sous réserve d’un accord d’entreprise. Sous prétexte de simplification, la représentation des salariés va ainsi être réduite, avec une menace particulière sur l’autonomie et les moyens affectés au CHSCT, garant des conditions de travail. Toujours par esprit de simplification sans doute, le rapport sur l’égalité hommes-femmes est supprimé, comme les négociations spécifiques sur l’égalité professionnelle.
Enfin, la réforme des prud’hommes réduit la durée des procédures et introduit une mesure importante, à savoir le plafonnement des indemnités en cas de licenciement abusif. Cette mesure répond en partie à l’argumentaire patronal classique selon lequel l’incertitude portant sur les indemnité de licenciement serait un frein à l’embauche.
L’approbation mesurée des institutions
La France n’est pas la Grèce. Mais elle est cependant soumise, de manière certes moins contraignante, à plusieurs dispositifs de surveillance. La surveillance budgétaire passe par un programme annuel de stabilité « qui présente une mise à jour de sa stratégie budgétaire à moyen terme. Sur la base d’une évaluation de la Commission préparée par la DG ECFIN, le Conseil adopte un avis sur ce programme, ainsi que des recommandations spécifiques dans le cadre du semestre européen ».
La surveillance macroéconomique comprend deux volets. Le premier est un programme national de réforme annuel présenté « dans le cadre de la stratégie Europe 2020 en faveur d’une économie européenne intelligente, durable et inclusive » [sic]. Ce programme est évalué par la Commission, et « le Conseil adopte des recommandations spécifiques dans le cadre du semestre européen ». Le second volet est « la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques (…) un mécanisme de surveillance qui vise à cerner, à un stade précoce, les risques éventuels, à prévenir l’apparition de déséquilibres macroéconomiques préjudiciables et à corriger les déséquilibres existants ».
Par ailleurs, le FMI et l’OCDE adressent régulièrement des études assorties de recommandations. Le logiciel commun à ces trois institutions est une économie politique très particulière qui établit un lien direct entre assainissement budgétaire, croissance et réformes structurelles (voir annexe 2).
Cette logique consistant à relier réduction du déficit budgétaire et réformes apparaît clairement dans le rapport du FMI [3]. Il recommande un « ajustement budgétaire ambitieux » et préconise « d’amples réformes du marché du travail », notamment « une plus grande flexibilité dans les accords d’entreprises sur la durée du travail et les salaires, la réforme du salaire minimum, et des incitations accrues à la recherche d’emploi pour ceux qui reçoivent des prestations de chômage ou d’aide sociale ». Mais le rapport évoque aussi « un délicat équilibre » à trouver compte tenu des « rigidités structurelles enracinées dans les marchés du travail et des produits [qui] continuent de restreindre les perspectives à moyen terme ».
La Commission européenne [4] va plus loin dans les détails et émet beaucoup de réserves quant à l’ampleur des réformes. Elle note par exemple que « les réformes menées récemment n’ont donné aux employeurs que peu de possibilités pour déroger aux accords de branche. Cela limite la capacité des entreprises à moduler leurs effectifs en fonction de leurs besoins. Il conviendrait d’accorder aux branches et aux entreprises la possibilité de déterminer de façon flexible, au cas par cas et après négociations avec les partenaires sociaux, s’il y a lieu de déroger à la durée légale du travail de 35 heures par semaine ». La nouvelle convention d’assurance chômage est « insuffisante pour réduire le déficit » aux yeux de la Commission.
Conseil des ministres : Presentation du projet de loi pour la croissance et l’activite, dite "loi Macron"Si les réductions du coût du travail déjà accordées (CICE et pacte de responsabilité) doivent évidemment être maintenues, cela ne suffit pas : il faut aussi réformer « le système de formation des salaires pour que ceux-ci évoluent au même rythme que la productivité, veiller à ce que les évolutions du salaire minimum soient compatibles avec les objectifs de promotion de l’emploi et de la compétitivité » et éliminer les « obstacles réglementaires à la croissance des entreprises », notamment les seuils sociaux.
L’intérêt des recommandations formulées par l’OCDE [5] est qu’elles sont le résultat d’un processus de va-et-vient entre les services de l’institution et les autorités du pays concerné. On peut considérer que, souvent, un pays fait écrire par l’OCDE ce qu’il ne veut pas toujours exprimer clairement. C’est en quelque sorte l’inconscient politique du gouvernement qui s’exprime à travers ces recommandations de l’OCDE.
On y retrouve ainsi, sans surprise, ce « message transversal » : la nécessité d’une « simplification à grande échelle » qui est explicitée sans périphrases : il faut « intensifier les efforts pour réduire la complexité du code du travail, les normes et réglementations imposées aux entreprises, la structure des administrations territoriales et locales, et les systèmes fiscal et de retraites ». Il n’est pas non plus étonnant de retrouver deux principes clairement énoncés : le marché du travail devrait être la « priorité des réformes structurelles » et le poids des dépenses publiques devrait être réduit en faveur d’une « fiscalité plus favorable à une croissance durable ». Les retraites et l’indemnisation du chômage sont désignées comme deux leviers particulièrement importants.
L’étude recommande enfin de « réduire encore le coin fiscalosocial au fur et à mesure de la baisse des dépenses publiques ». Dans le jargon néolibéral le « coin fiscalosocial » désigne ce qu’un salarié « coûte » à son employeur en plus du salaire net qu’il lui verse directement, sous forme de cotisations sociales et d’impôts, bref les fameuses « charges ». Cette phrase condense toute la logique néo-libérale. L’objectif est de réduire en permanence le salaire socialisé, pour deux raisons : parce que cette baisse des « charges » est favorable à la compétitivité et à l’activité et parce qu’elle permet de réduire en même temps les dépenses publiques. Encore une fois, austérité budgétaire et réformes structurelles vont de pair.
La dérive du social-libéralisme à la sauce hollandaise
On a beaucoup glosé sur l’art de la synthèse cultivé par François Hollande à son poste de premier secrétaire du Parti socialiste. Le constat n’est pas faux : le projet de Hollande est bien une impossible synthèse qui permettrait de satisfaire à la fois le patronat français, la Commission européenne, et son électorat de gauche. Cette orientation repose sur trois ressorts. Le premier est une conviction profondément ancrée selon laquelle la croissance est la clé de tout et en particulier de la fameuse « inversion de la courbe du chômage ». Le deuxième consiste à se plier a minima aux injonctions européennes et à reporter constamment les mesures nécessaires pour revenir à un déficit de 3 %, comme l’exigent les normes européennes qu’il a par ailleurs acceptées en renonçant à sa promesse de renégocier les traités. Bref, il suffit d’attendre la reprise qui finira bien par venir, qui relancera l’emploi et permettra de réduire à peu de frais le déficit budgétaire. Mais comme ce scénario tarde à s’enclencher, le troisième volet est le ralliement aux préceptes néo-libéraux de baisse des « charges » des entreprises, et de flexibilisation du marché du travail.
ob_8b865c_gros-calibre-49-3Là encore, le gouvernement français voudrait ménager la chèvre et le chou en offrant de prétendues contreparties aux syndicats, tout en s’alignant progressivement sur les revendications patronales. Sa méthode initiale consistait à privilégier la négociation d’accords entre « partenaires sociaux » puis à les entériner par la loi. Elle a été appliquée avec l’Accord national interprofessionnel de 2013. C’était un marché de dupes qui a pu fonctionner selon un scénario connu : le Medef arrive avec des propositions provocatrices, la CFDT obtient quelques adoucissements, et un accord est signé entre le patronat et les syndicats dits « réformistes », puis entériné par le gouvernement. Mais cette « démocratie sociale à la française » [6] a atteint ses limites. Le gouvernement a dû utiliser la procédure de vote bloqué (l’article 49.3 de la Constitution) pour faire passer la loi Macron, et la loi Rebsamen est, comme on l’a vu, le résultat d’une concertation avortée entre syndicats et patronat.
La synthèse étant impossible, le résultat de cette orientation est que personne n’est vraiment satisfait : ni les syndicats, ni le patronat, ni la Commission européenne. Sur ce dernier point, le gouvernement français s’est créé un espace à partir du deal suivant : je renonce à « renégocier les traités » en échange de l’acceptation d’une austérité budgétaire étalée dans le temps. On pourrait même avancer la thèse selon laquelle le gouvernement français simule des réformes sans grande portée réelle, ou en tout cas très sous-dimensionnées par rapport au dogme eurolibéral. Le poids de la France lui permet ainsi de gérer sa position intermédiaire entre les pays du « Nord » et du « Sud » de la zone euro.
C’est pourquoi il est très difficile d’évaluer la portée effective des lois Macron et Rebsamen. De manière générale, l’impact réel de ce type de réformes dépend des rapports de force sur le terrain et de la jurisprudence. Macron et Rebsamen ont d’ailleurs dû reculer sur certains aspects de leurs projets, comme les seuils sociaux ou les professions réglementées. Certains dispositifs déjà mis en place, comme les accords de maintien dans l’emploi, n’ont pas réellement « mordu » sur le terrain. L’extension des CDD ne changera pas grand-chose dans la pratique, compte tenu du non-respect de la législation antérieure.
Cette lecture est cependant incomplète. D’abord parce que les baisses de « charges » sont bien réelles et devraient s’inscrire dans la durée. Ensuite, parce qu’un processus a été enclenché. Le projet des lois Macron et Rebsamen est bien une remise en cause radicale du code du travail, et elle n’est pas achevée, puisque Macron a déjà lancé une commission chargée de réfléchir sur les moyens de favoriser la négociation au niveau de l’entreprise [7]. L’un des articles de sa loi introduit d’ailleurs un dispositif redoutable qui autorise le gouvernement à prendre par ordonnance (autrement dit sans passer par une autre loi) une série de mesures visant notamment à « abroger les dispositions devenues sans objet et assurer la cohérence rédactionnelle dans le code du travail et entre le code du travail et les autres codes ».
L’impossible synthèse de Hollande le déporte vers un programme ouvertement néo-libéral et il n’est pas du tout assuré que cette dérive puisse être stoppée par la divine surprise du retour à une croissance significative. (5 août 2015)
Post-scriptum
Le lendemain de la rédaction de cet article, le Conseil constitutionnel a annulé plusieurs dispositions de la loi Macron, dont deux évoquées plus haut. Les indemnités prud’homales en cas de licenciement sans cause réelle ou sérieuse étaient non seulement plafonnées mais aussi modulées selon la taille de l’entreprise. Cet article n’a donc pas été validé, faute de « retenir des critères présentant un lien avec le préjudice subi par le salarié », et pour avoir méconnu « le principe d’égalité devant la loi ». L’article sur l’enfouissement des déchets nucléaires a lui aussi été sanctionné, mais le ministre de l’Economie a aussitôt fait savoir qu’il présenterait un nouveau projet de loi. Les autres articles annulés l’ont été pour n’avoir aucun rapport avec l’objet de la loi, comme par exemple l’assouplissement de la loi Evin interdisant la publicité pour les boissons alcoolisées.
Annexe 1
Les évaluations de la loi Macron
Emmanuel Macron avait créé une « commission d’étude des effets de la loi pour la croissance et l’activité » [8] auprès de France Stratégie, une sorte de think tank public. La composition de cette commission est assez sidérante, puisqu’elle regroupe pour l’essentiel des économistes néo-libéraux parmi les plus dogmatiques. Leurs notes d’évaluation suggèrent irrésistiblement un parallèle avec le matérialisme scientifique à la Staline, mais c’est un autre débat. Mieux vaut sans doute en rire et reproduire ci-dessous les résultats portant sur le travail du dimanche. On y constate en particulier que l’effet sur la consommation est incertain (« pas d’évaluation disponible ») mais celui sur l’emploi est positif. Comprenne qui pourra.
Annexe 2
L’économie politique des réformes structurelles
Les institutions néo-libérales insistent constamment sur la nécessité de « réformes structurelles » qui auraient un impact positif sur la croissance, en augmentant la productivité globale des facteurs - la moyenne de la productivité du travail et de l’efficacité du capital. Pour le démontrer, elles construisent des indicateurs mesurant le degré de « rigidité » du marché du travail et de réglementation des marchés de produits et cherchent ensuite à montrer que les pays les moins « rigides » obtiennent de meilleurs résultats.
Pour établir ce lien, la Commission européenne utilise un modèle dit « d’équilibre général dynamique stochastique » (DSGE, Dynamic Stochastic General Equilibrium) baptisé QUEST III. Ces modèles, ou plutôt ces maquettes, calibrées de manière plus ou moins arbitraire, reposent sur la théorie néo-classique de l’équilibre général et n’ont donc pas grand chose de dynamique. Le terme « stochastique » veut dire que l’on soumet l’équilibre à des chocs, en l’occurrence des « réformes structurelles », et que l’on observe ce qui se passe avant et après le choc.
Pour quantifier le choc, l’étude de référence [9] calcule pour chaque pays l’écart de ses performances (mesurées avec les fameux indicateurs) avec celles des trois pays les plus vertueux (Autriche, Pays-Bas et Luxembourg !). L’exercice consiste ensuite à supposer que la moitié de cet écart est résorbé par des réformes adéquates et on recalcule le nouvel « équilibre ». Le résultat obtenu est spectaculaire : « Le PIB de l’Union européenne augmente de 3 % au bout de 5 ans et de 6 % au bout de 10 ans ».
Et les gains promis sont encore plus élevés dans le cas de la Grèce : 4 % de PIB supplémentaires au bout de 5 ans et 9 % au bout de 10 ans. L’exemple grec mérite d’être cité parce qu’il est significatif du dogmatisme alimenté par ce type d’études. Dans un récent document, le FMI reconnaît qu’il avait fait l’hypothèse selon laquelle la Grèce pourrait atteindre une croissance de la « productivité globale des facteurs » parmi les plus élevées de la zone euro et faire baisser son taux de chômage au niveau de l’Allemagne [10]. Mais si les résultats escomptés n’ont pas été atteints, explique le FMI, c’est en raison d’une mise en oeuvre insuffisante des réformes structurelles. Voilà au passage un nouvel exemple de la schizophrénie du FMI qui, dans un récent rapport [11], découvrait que « la réglementation du marché du travail n’a pas d’effet statistiquement significatif sur la productivité globale des facteurs ».
Cette croyance selon laquelle une plus grande flexibilité du marché du travail pourrait faire baisser le taux de chômage a été récemment battue en brèche. Une étude de l’OIT [12] a mis en cause la fiabilité de la méthodologie utilisée, qui « ne rend pas compte de la réalité des réformes en cours et ignore leur portée effective ». Il en découle que « l’essentiel des résultats empiriques obtenus doit être remis en cause, ainsi que les recommandations qui en découlent ». Une autre étude [13] dissèque les résultats du FMI et montre que le degré de coordination de la négociation salariale est la seule caractéristique du marché du travail dont l’effet sur le chômage est statistiquement significatif. Autrement dit, le chômage sera d’autant plus bas que les syndicats et les organisations patronales réussissent à coordonner les négociations salariales. L’ironie de ce constat réside dans le fait que la logique des réformes structurelles est précisément de réduire ce degré de coordination.
Notes
[1] On se permet de renvoyer à une lecture critique de ce mirage : Michel Husson, « Les comptes fabuleux du Medef », regards.fr, 19 septembre 2014.
[2] Pour une analyse plus détaillée (à laquelle on a beaucoup emprunté), voir : Mathilde Goanec, « Adoptées, les lois Macron et Rebsamen taillent à la hache dans le droit du travail », Mediapart, 11 juillet 2015. Voir aussi : Martine Bulard, « Loi Macron, le choix du toujours moins », Le Monde diplomatique, Avril 2015.
[3] IMF, France. Article IV consultation, July 2015.
[4] Commission européenne, « Recommandation du Conseil concernant le programme national de réforme de la France pour 2015 », 13 Mai 2015
[5] OCDE, Étude économique France, Mars 2015
[6] Jean-Marie Pernot, « La démocratie sociale à la française est un échec », Mediapart, 26 mai 2015.
[7] Thomas Clerget, « La prochaine vague de régressions sociales se profile », bastamag, 15 juillet 2015
[8] France stratégie, Conclusions de la Commission d’étude des effets de la loi pour la croissance et l’activité, 29 janvier 2015
[9] Janos Varga and Jan in ’t Veld, « The potential growth impact of structural reforms in the EU », European Commission Economic Paper n°541, December 2014.
[10] IMF, « Greece. Preliminary Draft Debt Sustainability Analysis » IMF, June 26, 2015.
[11] IMF, « Where are we headed ? Perspectives on potential output », World Economic Outlook April 2015 (p.105).
[12] Mariya Aleksynska, « Deregulating labour markets : How robust is the analysis of recent IMF working papers ? », ILO, 2014.
[13] Sabina Avdagic and Paola Salardi, « Tenuous link : labour market institutions and unemployment », Socio-Economic Review (2013) 11.
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