Éditorial tiré de la revue Relations, no 790, juin 2016.
Il a notamment démontré un jugement politique remarquable et une capacité de vulgariser d’importants enjeux de société dans une perspective de gauche, sans compromission à l’égard de la justice sociale et du bien commun. En cela, il serait certainement un atout comme député à l’Assemblée nationale et porte-parole de QS, en particulier pour permettre au parti de franchir le « mur des régions ».
Mais son entrée en politique est aussi de bon augure pour la société québécoise dans son ensemble. En tant que figure emblématique du « printemps érable », puis comme artisan du récent processus de consultation citoyenne « Faut qu’on se parle », mené à travers le Québec, il a su injecter un dynamisme démocratique rafraîchissant dans l’espace public, qui en a bien besoin. La déferlante de nouveaux membres qui rallient QS grâce à lui en témoigne. Il est bon de se rappeler de temps à autre que la politique ne se réduit pas aux « vraies affaires » – pour reprendre le slogan du gouvernement Couillard qui traduit bien la colonisation du domaine politique par la logique néolibérale – et que la démocratie ne se réduit pas à jouer les ventriloques de la majorité silencieuse. Au fondement du politique, il y a l’engagement citoyen et le partage collectif de la parole en vue de discerner ensemble démocratiquement les grandes orientations de la société et du bien commun. Et s’y tenir.
Par ailleurs, ce renforcement de QS aura peut-être aussi comme vertu de détourner Jean-François Lisée d’une tentation qui le démange : celle de se tourner vers la Coalition Avenir Québec pour jouer la carte identitaire, risquant ainsi d’affaiblir le mouvement indépendantiste. Car la question identitaire, c’est le pain béni des libéraux ; ils s’en servent en maîtres comme d’un épouvantail. Et si, plus largement, la droite y tient tellement, c’est qu’elle n’a rien à proposer politiquement, économiquement et socialement à la société prise dans les mailles du tout-au-marché financier et du contrôle sécuritaire tentaculaires. Comme elle a une peur atavique de l’action collective et de la participation citoyenne, vouant un culte aveugle à l’ordre, elle se rabat sur une mémoire et une identité classées, figées, réifiées, pour ne pas dire fichées. Le passé, garant de l’avenir, fait toujours autorité pour elle et détermine le présent.
Or, une « politique » tournée vers l’identité nationale est stérile, précisément parce qu’elle n’est pas politique. Cela ne veut pas dire que la culture et la langue n’imprègnent pas la politique, à moins de considérer cette dernière comme la chasse gardée d’une élite technocratique en attendant de lui substituer la gouvernance des algorithmes, en cette ère managériale et numérique. Ce qui est véritablement en jeu dans une politique nationale, c’est le sens de l’existence de la nation ou, en d’autres mots, le projet de société.
On peut s’accrocher à l’identité comme à une bouée. C’est ce que font certains courants nationalistes d’extrême-droite européens, mais ils n’arriveront qu’à bâtir des nations autoritaires repliées sur elles-mêmes, saisies par la peur et la haine de l’autre. Le communautarisme comme le nationalisme identitaire n’offrent pas de résistance à la globalisation néolibérale, car ils participent, chacun à leur manière, de l’antipolitisme qui la caractérise. Dès lors, opposer le nationalisme identitaire au nihilisme capitaliste ne nous sort pas de ses griffes ; au contraire, cela nous y enserre désespérément, comme le fascisme avant lui.
La table semble donc mise pour la convergence des partis indépendantistes, dans un souci historique de contrer l’accaparement de la souveraineté populaire par une élite oligarchique transnationale, en redonnant sens à un projet de société qui ait des résonances tant sur les plans politique, économique et écologique que social et culturel. Certes, QS, le Parti québécois et Option nationale ne sont pas réductibles les uns aux autres, mais ils peuvent néanmoins œuvrer ensemble à faire aboutir la fondation politique de la nation québécoise qui tarde à advenir, en misant sur les forces vives de la société et sur la mise en route d’une assemblée constituante.
Dans cette perspective, QS pourrait désormais avoir la mission singulière d’offrir un programme politique irremplaçable – dans la mesure où il sortira des vœux pieux et de la liste d’épicerie des vertus sociales. C’est celui d’incarner au Québec une certaine idée du socialisme, si du moins on renoue avec le sens qu’en donnait, au début du XIXe siècle, l’un des premiers à utiliser le mot, Pierre Leroux, à savoir un projet qui défend la société contre l’individualisme des rapaces, et la liberté contre l’assujettissement.
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