Édition du 17 décembre 2024

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Le projet de Mulcair

Le congrès du NPD s’est terminé récemment à Montréal sans faire beaucoup de vagues. Éliminer le mot « socialiste » dans le programme de ce parti qui ne l’est plus depuis longtemps n’allait quand même pas être trop difficile à faire. Pour le reste, Mulcair et son parti se sont contentés de platitudes en évitant les questions chaudes notamment celle du Québec. Dans le fonds, la stratégie en place au NPD consiste justement à éviter les grands débats.

« Gagner le centre »

Mulcair a été honnête depuis son intronisation en affirmant que son ambition était de gagner le « centre », ce qui veut dire déplacer le NPD du centre-gauche (où il était au niveau fédéral) vers le « centre-centre » (comme la plupart des administrations provinciales élues sous la bannière du parti). Pour ce faire, il faut déloger le Parti Libéral du Canada (PLC) et polariser l’opinion autour de deux projets, la droite et le centre. En passant, c’est à peu près le même calcul qu’ont fait ces dernières années les partis de tradition sociale-démocrate, en Europe notamment. Il y a derrière cela un calcul électoral simple, car pour gagner une élection, il faut se rallier une majorité. Mais il y a aussi une vision politique et stratégique. L’ancienne social-démocratie a en effet à peu près abandonné ce pourquoi elle s’est battue depuis l’origine, pour courtiser les élites traditionnelles et nouvelles. En se présentant comme une force politique « responsable » et « modérée », le message est relativement explicite : avec nous, il n’y aura pas de changement de fonds ! En endossant la quasi-totalité des prescriptions du néolibéralisme (politiques d’austérité, privatisations, alignements sur les institutions du G7 et sur les États-Unis), la social-démocratie devenue social-libérale espère « gouverner » tout en incluant dans cette « gouvernance » des réseaux plus ou moins opaques d’influences et d’intérêts.

Les particularités de l’État canadien

Le NPD serait probablement parvenu au pouvoir comme dans bien d’autres pays, mais au Canada, d’autres fractures perturbent le paysage politique. L’État et les dominants doivent « gérer » les contradictions avec les nations dominées, notamment au Québec et les Premières Nations. C’est ce qui explique que la scène politique ne s’est pas alignée strictement sur un plan centre/droite, mais par rapport à cette « gestion » de la question nationale. Les « tories » (les ancêtres des Conservateurs) dans la lignée de l’État colonial britannique se sont affrontés aux « Libéraux » (héritiers des alliances entre élites anglo-canadiennes et canadiennes-françaises). Pendant l’essentiel du vingtième siècle, les Libéraux ont été mieux en mesure d’articuler cette « gestion » et donc d’éviter à l’État canadien la dislocation qu’aurait entraîné l’indépendance du Québec. Dans cette polarisation, le NPD a été le grand perdant. Il ne voulait pas, d’une part, endosser les politiques colonialistes associées aux Conservateurs. Il ne voulait pas, d’autre part, s’allier à la gauche et aux mouvements sociaux au Québec dans une optique radicale qui aurait pu mener à une totale refondation de l’État basée sur le droit à l’autodétermination pour le peuple québécois.

Le dilemme

Jusqu’aux dernières élections fédérales, le NPD avait au Québec une présence dérisoire, limitée à quelques étudiants de McGill et une poignée de fédéralistes « de gauche » éparpillés ici et là. C’est alors qu’est survenue la grande surprise qui a été le résultat d’un « triple non » québécois, contre Harper, contre le PLC, et contre le Bloc Québécois. Le NPD se retrouve avec une grosse députation québécoise, dont le poids politique dans le débat public est limité et dont les capacités d’intervention (à part quelques députés comme Alexandre Boulerice) sont peu impressionnantes. De tout cela émerge un formidable dilemme que Mulcair tente d’esquiver. En se référant à une vague « déclaration de Sherbrooke » (qui n’a aucun statut dans les politiques consacrées du NPD) et en voulant « moderniser » la « loi de la clarté » imposée par le PLC pour saboter encore davantage le processus indépendantiste, Mulcair a tenté de maintenir une posture ouverte face à l’opinion québécoise tout en voulant « rassurer » le reste du Canada. Mission impossible ou en tout cas, défi immense, car pour le moment, le NPD perd sur tous les terrains. Il perd au Canada dit anglais où toute concession au Québec est très mal vue. Il perd au Québec en ouvrant la porte à Trudeau qui espère regagner la tranche de l’électorat traditionnellement fédéraliste (anglophones, allophones, immigrant-es, personnes âgées, etc.), tout en affaiblissant ses appuis parmi la majorité francophone. Ce glissement annoncé par plusieurs sondages annonce un retour du NPD dans le trou noir d’un « tiers-parti » dans lequel il a toujours été enfoncé.

Si on rêvait …

Il y aurait sans doute une autre option, mais ce n’est certes pas un ancien ministre libéral partisan de l’ALÉNA, de l’OTAN et du néolibéralisme dans ses grandes lignes qui pourra orienter le NPD dans cette voie. Le duo PC/PLC n’est-il pas vulnérable devant les effroyables gâchis infligés à la société canadienne et québécoise depuis des décennies ? Il faudrait au moins essayer de dire qu’il y a un autre chemin. Par rapport au Québec, ne faut-il pas arrêter une fois pour toutes de tourner autour du pot en appuyant le droit à l’autodétermination et une négociation entre des peuples libres et indépendants ? Au-delà des grands projets, ne pourrait-on pas, au moins, essayer de bloquer le bulldozer fédéral, notamment contre les chômeurs et les régions ? On peut dire que ce n’est pas évident, mais il faudrait quand même tenter le coup, ce qui voudrait dire appuyer les mouvements populaires au Québec et au Canada (je crois qu’il y a des députés du NPD qui seraient prêts à faire cela, notamment l’acadien Yvon Godin).

Soyons réalistes, les chances qu’un tel « miracle » survienne sont très minces. Mais les députés et les membres du NPD devraient réfléchir quand ils se résignent à la politique de l’autruche et de l’inertie qui leur est proposée par leur chef. Car pour le moment, ils s’en vont dans un mur.

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