Édition du 17 décembre 2024

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Environnement

Le nucléaire, une mauvaise idée qui circule

Il suffit de très peu de choses pour remettre en circulation une mauvaise idée : un porteur de ballon reconnu comme crédible, le moment opportun pour lancer l’idée, le tout arrosé de désinformation pour alimenter les peurs, et voilà l’idée qui se met à circuler. C’est ce qui se passe actuellement avec la relance possible de la filière nucléaire au Québec.

Monsieur Michael Sabia, président d’Hydro-Québec, a lancé récemment l’idée de faire une étude sur la possibilité de réactiver la centrale nucléaire de Gentilly. La proposition a été largement commentée, et selon le discours dominant, nous aurions effectivement besoin de nouvelles sources d’énergie et il faudrait donc à tout prix alimenter le marché québécois, peu importe la façon. La réflexion est un peu courte ! Essayons d’aller un peu plus loin.

Où en est l’énergie nucléaire dans le monde ?

À l’heure actuelle, 411 centrales nucléaires sont en fonction de par le monde. Environ 30% d’entre elles ont plus de 40 ans et arrivent en fin de vie. Ces réacteurs consomment environ 60,000 tonnes d’uranium par année. Selon une étude publiée par le World Nuclear Association en mai 2023, les réserves mondiales connues d’uranium peuvent faire fonctionner ces centrales au taux actuel pour encore 90 ans. Cela peut sembler beaucoup, mais en réalité c’est très peu par rapport au pourcentage de l’énergie totale que l’uranium fournit à l’humanité, soit à peine 4 % selon les chiffres de la compagnie BP.

Si la consommation d’énergie annuelle augmente, ce qui est prévisible, le nombre potentiel d’années de consommation devrait diminuer d’autant. Actuellement, quatre pays consomment la majorité de l’uranium qui est extrait, soit les États-Unis, la Chine, la Russie et la France. Une quarantaine d’autres pays se partagent le reste. Si le Québec et le Canada décidaient de consommer plus d’uranium, l’accès à la ressource deviendrait de plus en plus onéreux, d’une part à cause de sa rareté sur le marché à venir, et d’autre part du fait qu’on exploite toujours les gisements les plus riches et les plus accessibles en premier. Avec le temps, le taux de retour énergétique de la filière nucléaire ne peut que diminuer. Donc l’énergie à fournir pour extraire et raffiner le produit augmentera, ce qui rendra cette filière de moins en moins rentable.

Où en est le nucléaire au Québec ?

La centrale de Gentilly II a été mise à l’arrêt en 2012, avant tout à cause des coûts astronomiques qu’entraînait sa rénovation. Selon les estimations établies parHydro-Québeccette année-là, ces coûts auraient été d’environ 4,3 milliards de dollars. Et ces rénovations n’auraient permis de prolonger la vie utile de la centrale que jusqu’en 2040, soit 18 ans de plus. Compte tenu de l’inflation, du retrait d’une partie des équipements de la centrale, et de la nécessité de former de nouveaux spécialistes du nucléaire au Québec, il est évident que nous dépasserions aujourd’hui largement les 4,3 milliards. De combien ? Cela dépend bien sûr des scénarios qui sont étudiés. Mais chose certaine, c’est beaucoup trop, et c’est même déraisonnable si on ramène ce montant au prix du kWh en comparaison avec les autres filières. Notons que la centrale de Gentilly II, d’une puissance de 635 MW, n’a fourni que 2 % de l’énergie électrique consommée en 2012 au Québec.

Contrairement aux filières renouvelables, le choix du nucléaire nécessiterait d’investir d’énormes capitaux, d’importer une expertise inexistante au Québec et d’exercer une surveillance à très long terme pour un service énergétique offrant une sécurité toujours précaire. Cela ne peut se faire qu’au détriment des approches plus douces. Le nucléaire est une filière qui nécessite un engagement à très long terme. À titre d’exemple, le déclassement de Gentilly II, amorcé en 2012, doit se terminer en 2062, soit 50 ans plus tard. Et on n’a toujours pas réglé le problème des déchets hautement radioactifs (le plutonium, par exemple, a une demi-vie de 24 000 ans – sans parler des dangers pour la santé). Les problèmes dépassent ici largement les bénéfices escomptés !

Une autre mauvaise idée circule aussi depuis quelques années : les « petits réacteurs modulaires (SMR) ». Ces réacteurs de petite ou moyenne taille, d’une puissance de 10 à 300 MW, peuvent être construits en série et facilement implantés sur un site. Mais dans ce domaine, quand la taille diminue, le rendement énergétique diminue d’autant. Comme le nucléaire n’est déjà pas très efficace, il serait absurde de construire des installations moins efficaces. Remplacer Gentilly II, qui pourrait générer plus de 600 MW, par six ou sept SMR de 100 MW n’est tout simplement pas logique. Ce n’est pas parce que c’est petit que c’est acceptable.

Le nucléaire n’est donc manifestement pas la solution. Par contre, l’efficacité et la sobriété énergétique, en permettant de récupérer l’énergie actuellement gaspillée, permettraient de fournir une part importante de l’électricité nécessaire à notre avenir. C’est pourquoi il importe avant tout d’ouvrir d’ambitieux chantiers misant sur ces approches avant de penser produire plus d’énergie.

Bruno Detuncq, professeur à la retraite de Polytechnique Montréal

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