Il faut reconnaître la subtilité de Biden et l’attrait que lui donnent son sourire, sa civilité en général et surtout sa capacité à travailler avec l’opposition, mais ultimement tout ceci est au service de la classe capitaliste. Il est habile, avec son expérience de quarante ans au sénat, pour camoufler ses mesures pro capitalistes avec certaines mesures dites progressistes. En somme, comme tout bon libéral, il est devenu maître dans l’art de manipuler ses discours et ses positions afin de maintenir une image de progressiste tout en défendant le capitalisme. C’est la raison pour laquelle la classe capitaliste avait besoin de lui pour redorer l’image de la classe capitaliste américaine, tout en réaffirmant la force des États-Unis sur la scène internationale.
S’attaquer à lui, comme le dit le slogan « Combattons Joe Biden », est donc difficile pour la gauche radicale. Les Américain-e-s avaient besoin d’un changement, et ainsi ils et elles vont laisser le temps à Biden de s’installer (les cent premiers jours traditionnels d’un président) et voir comment il se débrouille. Combattre Trump était en quelque sorte plus facile, avec les positions politiques de ce dernier qui étaient à contre-courant et que l’ensemble de la population américaine n’était pas prête à suivre. Biden représente l’espoir, enrobé de chocolat certes, et donc plus difficile à décortiquer.
Affronter Joe Biden est le vrai défi afin de vérifier si la gauche socialiste américaine peut s’appuyer sur les victoires du 3 novembre pour envisager la création d’un mouvement socialiste plus large aux États-Unis.
Il semble que la gauche socialiste américaine, si elle veut saisir l’avenir, doit reconnaître qu’avec Biden la « crise d’autorité » (Antonio Gramsci) va continuer aux États-Unis. Ceci laisse la porte ouverte, comme le dit Gramsci, à faire face au fait que « l’ancien se meurt et le nouveau n’est pas encore né ». La stratégie de la gauche socialiste doit comprendre deux éléments centraux.
Le premier élément est de comprendre la différence entre un mouvement socialiste et un Parti socialiste, le premier demandant davantage de temps (on est quand même aux États-Unis), tandis que le mouvement socialiste peut naître dans le combat contre Biden en avançant des réformes radicales comme le « Green New Deal » et un « programme de santé universel ». Le parti doit plutôt se concentrer sur la chute et le renversement du capitalisme. Ce n’est pas par une accumulation de réformes radicales que la mort du capitalisme va arriver pour céder le pas au nouveau socialisme ou, si vous voulez, l’écosocialisme.
Un mouvement socialiste est un mouvement objectif qui dépend d’un large front uni, ce qui nous renvoie directement vers la lutte pour les réformes radicales. Mais la naissance du nouveau nous envoie directement vers le subjectif, qui doit être comblé par une éducation populaire socialiste et un programme socialiste démocratique pour un parti socialiste, afin de prendre le pouvoir et de mettre le capitalisme aux poubelles de l’histoire simultanément.
La gauche socialiste américaine rentre donc dans une période où elle doit balancer le travail pour des réformes nécessaires pour la population américaine, à travers lesquelles les militants et les militantes, plus les élu-e-s socialistes, pourront élargir la base des sympathisant-e-s socialistes et éventuellement créer un véritable mouvement socialiste dans les cinquante états. D’autre part, les militants et militantes socialistes doivent aussi continuer à répandre l’idée du socialisme comme l’ultime but dans la destruction du capitalisme.
Déjà, ce travail pour répandre l’idée du socialisme a commencé parmi les militant-e-s de base dans les syndicats les plus combatifs, comme les syndicats d’enseignant-e-s qui ont mené des grèves à travers le pays sur une période d’un an. Le travail pour transformer les syndicats en syndicats combatifs et en syndicats de luttes de classe est directement lié au programme de réformes radicales, mais aussi à la construction du mouvement socialiste.
Indépendamment du taux de syndicalisation très bas, les syndicats sont les seules organisations directement liées à la classe ouvrière américaine. Présentement, plusieurs de ces syndicats réunissent à la base des hispanophones, des Afro-Américains et des femmes, qui sont toutes et tous assez jeunes. En somme, une nouvelle génération a émergé non seulement comme syndicaliste, mais aussi comme ouvertement socialiste.
Les élu-e-s de la gauche socialiste doivent déjà conjuguer avec la manipulation de Biden. Dans son plan de 1,9 trillion de dollars pour combattre la COVID-19 et relancer l’économie, Biden a inscrit un amendement pour le 15 $ l’heure comme salaire minimum, une tactique utilisée par les fins renards comme Biden pour se protéger. Tous et toutes les progressistes au sein du Parti démocrate ont salué Biden avec des louanges comme un grand progressiste.
Ils et elles sont vite tombé-e-s dans le piège. Biden savait très bien que les républicains étaient prêts à dénoncer cette mesure. Les républicains n’ont pas tardé et ils ont fait savoir par l’entremise de leur porte-parole, le Sénateur Marco Rubio (Floride), qu’il fallait lever cette mesure sur le 15 $ l’heure, sinon le sénat et les républicains à la Chambre des représentants ne donneront pas leur appui à cette législation.
Biden savait que le 15 $ de l’heure était inacceptable pour les républicains, et maintenant il peut s’en sortir comme le bon progressiste qui voulait faire quelque chose, mais qui a été bloqué par les républicains. Ceci est le jeu auquel les socialistes élu-e-s feront face de la part de Biden. La lutte contre Biden sera donc toujours un combat pour coincer le fin renard.
J’ai dit au début de ce blogue que le combat qu’il faut mener contre Biden ne sera pas facile. Sanders, avec toute sa bonne volonté, tire à sa fin et tout l’enthousiasme soulevé par les victoires aux différents niveaux de gouvernement dans le système politique américain doit maintenant céder la place à des analyses serrées.
La gauche socialiste américaine doit être prête à tout devant l’hypocrisie de Biden. Les élu-e-s de la gauche socialiste américaine, surtout ceux et celles qui ont été élu-e-s au gouvernement fédéral, vont subir très vite les attaques de la part des démocrates pour leurs défaites face aux républicains, surtout sur les mesures sociales. Les élu-e-s socialistes et les socialistes en général seront vite pointé-e-s du doigt et étiquetté-e-s comme la raison pour laquelle les démocrates ne peuvent pas passer leur agenda progressiste.
En somme, Biden et compagnie vont dire que la gauche socialiste est trop radicale pour le processus de gouvernement aux États-Unis. Ce discours est déjà tenu par Nancy Pelosi, qui a déclaré que grâce à certains républicains modérés, elle a pu redevenir la Présidente de la Chambre des représentants, parce qu’elle ne pouvait pas compter sur l’appui des élu-e-s qui se disent socialistes à la Chambre.
Oui l’avenir sera radieux, mais le chemin sera sinueux.
Lotta Continua.
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