Édition du 12 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Agriculture

Le mythe de la ferme familiale au Québec et ses conséquences

L’année de l’agriculture familiale, décrétée par l’ONU pour protéger les petits agriculteurs et l’agriculture de proximité des mulitnationales agroalimentaires, a fourni l’occasion à l’UPA de mener une campagne trompeuse sur le caractère familial de l’agriculture québécoise et occulter la mainmise des grandes corporations agroalimentaires sur notre agriculture. L’UPA répète comme un mantra que 95% des fermes québécoises sont encore une affaire de famille !

Voici, d’après moi, les principales raisons qui vont à l’encontre d’une telle affirmation et rendent celle-ci frauduleuse :

1. La majorité des fermes d’élevage (porc, veau, boeuf, volailles), même si elles opèrent sous un nom familial, sont sous contrat avec un intégrateur, privé (Shur-gain, Cargill, Meynard, etc.) ou corporatif (Coop Fédérée), qui possède les animaux, parfois même les terres, décide de la régie de production et fournit les intrants ( aliments, bâtiments, confinement, mutilations, intrants pharmaceutiques, etc.), abat et commercialise les animaux, encaisse les remboursements de l’Assurance Sécurité du revenu agricole (ASRA). Le situation de l’agriculteur intégré est pire que celle du salarié ou du travailleur à forfait, puisque sa rémunération est soumise aux aléas de la production : c’est un peu celle des serfs au Moyen-Âge.

2. Les fermes laitières échappent encore pour la plupart au système d’intégration, mais elles sont en sursis : condamnées à grossir, la transmission et la relève y sont de plus en plus problématiques vu la capitalisation. Les étables vides se multiplient (6 autour de moi) et les premières méga-vacheries intégrées apparaissent (plus de 1000 vaches) .

3. La main-d’oeuvre est de moins en moins familiale, de même que les capitaux. Dans le secteur maraîcher et fruitier, la main-d’oeuvre est majoritairement étrangère et prolétaire.

4. De plus en plus de travaux de culture (semences, traitements sanitaires, récoltes, épandages) sont effectués par des sous-contractants spécialisés.

5. Les multinationales imposent sur toute la ligne leurs machineries, leurs engrais chimiques, leurs semences, leurs pesticides, leurs OGM, leurs modes d’emploi, leurs abattoirs, leurs systèmes de distribution, leurs chaînes d’épiceries, etc.

6. Même si la taille des fermes demeure plus réduite ici qu’aux États-Unis, elle est en croissance continuelle et les méthodes de culture et d’élevage intensives sont les mêmes : monocultures, concentration et mutilation des animaux, destruction des écosystèmes (milieux humides, cours d’eau, bandes riveraines, boisés, etc.), fumiers liquides, drainage souterrain et canalisation des cours d’eau, utilisation massive des engrais chimiques, des pesticides, des OGM, des hormones et antibiotiques de croissance, etc.

7. L’accaparement des terres par les Fonds d’investissement privés est commencé et apparaît à plusieurs comme une bonne façon de développer la productivité des terres. La prolétarisation de l’agriculteur "partenaire" ou employé est évidente.

8. Les familles agricoles en très grande majorité doivent compter sur des salaires ou revenus extérieurs à la ferme pour vivre décemment.

9. L’âge moyen des agriculteurs propriétaires est de plus en plus élevé.

10. La mise en marché de proximité est pratiquement disparue des fermes avec le système des plans conjoints de mise en marché et de gestion de l’offre généralisés par l’UPA et la Régie des Marchés agricoles, de même que les infrastructures qui la rendaient possible (abattoirs, marchés, etc.).

Les conséquences de cette réalité qu’on veut cacher sont désastreuses pour la santé collective, l’environnement, l’occupation du territoire et l’économie locale. Elles contribuent à maintenir dans la marginalité et la privation de soutien équitable tous ceux qui veulent développer une agriculture de proximité et une agriculture écologique et biologique. Le Bio plafonne à moins de 2% depuis 10 ans, et les fermes écologiques non certifiées biologiques ne forment guère plus de 3%.

Les mensonges de l’UPA et du MAPAQ, et de ceux qui font leur jeu, sont loin d’être anodins : ils sont criminels quant à moi. Et ils sont une des conséquences du monopole syndical de l’UPA et de la mise au rancart des recommandations du Rapport Pronovost.

Roméo Bouchard

Coalition pour un Québec des Régions

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