Édition du 17 décembre 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Le mouvement est syndical, la lutte est populaire

En 2012 au point culminant de la lutte, les étudiant-es avaient réussi dans une large mesure à réorienter le débat autour de l’accès à l’éducation, à l’encontre du gouvernement, des élites et des médias-mercenaires qui voulaient en faire une banale question de frais de scolarité. « La lutte est étudiante, le mouvement est populaire » disait-on sur les bannières. Et c’est ainsi que s’est produite une des plus grandes convergences du Québec contemporain. Certes, il y avait dans cet exploit des facteurs conjoncturels, notamment un gouvernement miné par la corruption et largement discrédité. Mais il y avait surtout de l’intelligence, du calcul et de ce qu’on appelle de la stratégie.

La question à $64 millions est reposée aujourd’hui. Comment favoriser un grand mouvement social qui parvienne à gagner la bataille des idées ?

Dans les éléments en place, comme on le constate à chaque semaine depuis des mois, il y a beaucoup de force et d’imagination. Du côté de l’éducation, les principaux syndicats ont compris qu’il fallait surtout « défendre l’école » Au printemps dernier dans les mobilisations organisées notamment par les syndicats du secteur de la santé et des services sociaux, on a également insisté sur ce que représentait un secteur public actif, présent dans toutes les régions, pour protéger la vie et améliorer la condition des gens. Tout cela a été répercuté par des coalitions, par exemple lors de la myriade d’actions réalisées le Premier Mai.

Pour confronter les politiques d’austérité, il faut expliquer que le plan de match actuel n’est ni inévitable, ni logique, mais qu’il découle d’un choix de société que tente d’imposer le gouvernement et le 1%, derrière leurs « experts » de l’Institut économique de Montréal, les innombrables médias-mercenaires et les intellectuels de service.

Cela semble évident pour beaucoup de monde qu’il faut continuer dans cette voie, ce qui ne veut pas dire que tout le monde soit d’accord. Un des arguments qu’on entend dans certains syndicats est qu’ils ne sont pas là pour « sauver le monde », mais pour représenter et défendre leurs cotisants. Ce syndicalisme d’« affaires » se contente de demeurer dans la logique de la négociation salariale quitte à exercer, de temps en temps, ce qu’on appelle « des moyens de pression ». Avec cela, on refuse de s’engager dans les luttes des autres composantes du mouvement populaire, encore moins sur le terrain politique. « Ce n’est pas notre affaire », dit-on.

En réalité dans ce tournant obscur que le néolibéralisme au nom de l’austérité veut imposer, cette voie est une impasse. On l’a vu surtout aux États-Unis ces dernières années. Les syndicats ont été isolés, leurs tactiques habituelles ont été déjouées et les conditions de travail se sont fortement détériorées. Bref, le syndicalisme d’affaire a fait son temps. On ne peut pas aujourd’hui défendre les salaires, les pensions et l’amélioration des conditions de travail tout seul dans son coin, en misant sur les mécanismes contractuels, quitte à faire un peu pression ou à appuyer des partis qui apparaissent « moins pires ».
 
La défense des travailleurs et des travailleuses du secteur public, c’est la défense du secteur public. Et la défense du secteur public, c’est une proposition de société qui va à l’encontre du 1%.

Revenons-en aux étudiant-es en 2012 qui ont pris de gros risques. Pour cela, ils ont brisé les structures traditionnelles de prises de décision par des instances plus ou moins opaques. Ils ont mis en branle un énorme processus d’éducation populaire. Ils ont laissé tomber les barrières entre les diverses organisations pour constituer un véritable front commun. Et enfin, ils se sont adressés à la grande masse, sans avoir peur de transgresser des lois iniques.

Avec ses centaines de milliers de membres et ses structures multiples, le Front commun du secteur public a un défi énormément plus complexe. La grève de 2012 ne peut pas être tout simplement copiée-collée. Pour autant, les comités de mobilisation mis en place ici et là indiquent qu’il y a des expérimentations intéressantes. Si beaucoup de gens veulent discuter de l’épineuse question des lois spéciales (qui vont venir rapidement de la part du gouvernement), ce n’est pas par bravade. Il faudrait être naïf pour penser qu’une négociation concoctée par en haut, dans le secret, pourra répondre aux attentes dans un contexte où les dominants veulent marquer une rupture, briser l’épine dorsale, si on peut dire, de la résistance populaire. Même s’il est possible que Couillard et sa bande jettent un peu de lest, ils le feront pour diviser les organisations, sans céder sur l’essentiel. Ils veulent imposer un tournant, pas « gérer » le statu quo.

Aussi, il faut briser la peur et aussi le mur d’incompréhension érigé par les dominants pour faire en sorte que s’érige une grande « convergence des convergences », ce qui requiert de l’audace, de la détermination, et sans doute un peu de chance…

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