Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Féminisme

Le monde n’est pas une marchandise ! Les femmes non plus !

La Marche Mondiale des Femmes au Sommet des Peuples pour la justice sociale et environnementale : contre la marchandisation de la vie, en défendant les biens communs ! Nous continuerons de lutter contre le capitalisme vert tout en affirmant les alternatives des femmes !

Le Sommet des Peuples aura lieu de façon simultanée à la Conférence des Nations Unies sur le Développement Durable, appelée Río+20, qui sera tenue 20 ans après l’Eco 92. L’enjeu est la sortie de la crise environnementale, qui est aussi une crise du capital. Au programme de la conférence officielle se trouve la dénommée économie verte et le nouveau cadre institutionnel pour organiser les actions de l’ONU sur l’environnement. Dans ce processus existe une mainmise des entreprises, c’est à dire : les entreprises multinationales et les institutions financières agissent afin de peser, en tant que secteur privé, sur toutes les propositions de l’économie verte.

Le Sommet des Peuples dénonce les fausses solutions et la marchandisation de la vie, présente des solutions et de nouveaux paramètres construits par les peuples, tout en articulant des agendas de lutte anticapitaliste, qui vont au-delà de l’évènement.

Changer le monde et changer la vie des femmes en un seul mouvement !

La société capitaliste et patriarcale se structure sur une division sexuelle du travail qui sépare le travail des hommes et celui des femmes et détermine que le travail des hommes a plus de valeur que celui des femmes. Le travail des hommes s’associe à ce qui est productif (ce qui est vendu dans le marché) et celui des femmes à ce qui es reproductif (la production des êtres humains et leurs relations). Les représentations de ce qui est masculin et féminin est duelle et hiérarchique, aussi bien que l’association entre hommes et culture et femmes et nature.

À la Marche Mondiale des Femmes, nous luttons pour dépasser la division sexuelle du travail et, en même temps, pour la reconnaissance du fait que le travail reproductif est à la base de la durabilité de la vie humaine et des relations entre les personnes au sein de la famille et de la société.

Pour le féminisme, le capitalisme n’a pas d’éco !

Lors de l’Eco-92, partout dans le monde grandissait la conscience sur l’importance de préserver et de protéger la nature. Mais les gouvernements de l’époque, dont la pensé hégémonique était la pensée néolibérale, ont utilisé la durabilité comme un argument capable de légitimer la continuité d’une économie basée sur le libre marché et sur le pouvoir des grandes multinationales, en allant même jusqu’à augmenter leur pouvoir sur des États nationaux.

Aujourd’hui, 20 ans après, face à la crise économique qui a touché d’avantage les pays industrialisés, il existe un contrecoup du capital, qui élargit ses frontières et amplifie la logique du marché capitaliste pour le profit et la concentration de la richesse. Les dimensions alimentaire, énergétique et climatique, sont des expressions de la même crise systémique qui se manifeste dans l’économie.

Mais cette crise est aussi une crise des soins, dimension invisible dans les débats publics à ce propos. Dans les pays qui ont été la cible des politiques d’ajustement structurel et du néolibéralisme pendant les années 1980 et 1990, la surcharge de travail non rémunéré des femmes a garanti la durabilité de la vie, sans que ni l’État ni les hommes n’aient assumé leur responsabilité concernant la reproduction sociale. De plus en plus, dans les pays industrialisés, le vieillissement de la population et le démantèlement des États-providence provoque une grande demande de travail des soins qui est assumé, en bonne partie, par le travail précaire de femmes immigrantes.

Nous, les femmes nous n’allons pas payer cette crise !

Non à la marchandisation de la vie et de la nature !

Dans ce processus se jouent les inégalités historiques entre les pays du nord et du sud. Les grandes forêts se trouvent au sud de la planète, aussi bien que d’autres biens communs et une grande partie de la biodiversité. Le capital national et multinational essaye de s’approprier de ces richesses à tout prix, et va jusqu’à expulser les peuples originaires de leurs territoires.

Aujourd’hui nous résistons contre l’occupation des terres dans lesquelles nous vivons et produisons ou qui sont visées par des grandes entreprises minières, de grandes entreprises de construction ou de l’agro-industrie afin de répandre les monocultures de soja, d’eucalyptus ou de canne. Ils nous expulsent avec la violence directe des mercenaires armés ou de la police, souvent avec de la violence sexuelle, ou bien par l’impossibilité de continuer à vivre dans cet endroit en raison du sol, de l’eau polluées, ou en nous niant l’accès à la santé ou à l’éducation. Cette appropriation des territoires a lieu partout dans le monde, tandis que les grandes entreprises essayent de s’approprier notre vie, notre code génétique, nos cultures et nos connaissances.

La biodiversité devient la propriété des grandes entreprises par le biais de la bio piraterie, de la propriété intellectuelle et des brevets. L’eau est une marchandise quand elle est vendue en bouteilles, quand les services de distribution et d’assainissement sont privatisés ou utilisés par certaines industries et cultures de façon intensive. Les grands gains de la spéculation immobilière prévalent sur le droit au logement, ce qui empire lors de méga-événements comme les Jeux Olympiques ou le Mondial de Football. Et le corps des femmes devient de plus en plus une marchandise pour l’industrie du divertissement et la prostitution, qui augmentent avec l’expansion de ce modèle de développement.

Les réponses de l’économie verte : des fausses solutions.

Río +20 apporte aux peuples encore une fois le débat sur la relation avec la nature, avec un discours qui cherche à trouver des solutions à la crise climatique.
Et pour cela, une fois de plus, ils disent avoir une solution magique appelée économie verte. De quoi s’agit-il ?

1. L’économie verte suit la logique de la marchandisation, avec la vision capitaliste qui établit que pour l’économie seulement ce qui peut être acheté et vendu dans le marché à de la valeur et, de ce fait, aussi un prix.
Cela repose sur des mécanismes de marché qui répandent l’idée que les entreprises ont un rôle important dans la gestion de la préservation environnementale.

Ainsi, mettre un prix à la nature est une façon de placer la nature dans le circuit de l’entreprise, et, avec l’idée trompeuse de la responsabilité sociale et environnementale, elle gagne plus de légitimité pour continuer de détruire la planète et les relations humaines.

Par le biais d’une proposition appelée TEEB, (l’Économie des écosystèmes et de la biodiversité) on présente des formules qui cherchent à mettre un prix à l’eau, au paysage, à la biodiversité. Mettre prix à la nature c’est permettre sa vente et privatisation, dans un processus qui ôte le droit des peuples à leurs territoires.
Ce sont des propositions qui autorisent celui qui s’est toujours développé en polluant de continuer de le faire en payant pour un certain genre de préservation, dans n’importe quelle autre partie du monde. Voici la logique du marché de crédits carbone et de la financiarisation de la biodiversité, qui se transforme en actifs environnementaux, négociés dans les bourses de valeurs, comme la Bourse verte de Rio.

2. L’économie verte traite l’exploitation du travail des femmes comme une ressource inépuisable, car il ne considère pas un travail les activités des femmes concernant le soin des personnes et de la nature. Elle associe cette tâche des soins au rôle des mères, comme s’il était le destin de toutes les femmes. Dans le document officiel de l’ONU, on affirme que les femmes exercent un rôle fondamental dans le développement durable. Mais cela a pour conséquence l’utilisation du travail des femmes dans la mise en place des politiques de l’économie verte. Ceci n’est pas un progrès, mais bien au contraire, la re-fonctionnalisation du rôle des femmes aides-soignantes. Ce sont des fausses solutions pour la planète, et des fausses solutions pour enrayer le machisme, car elles placent les femmes dans une relation d’inégalité, avec une surcharge du travail pour la durabilité de la vie.

3. L’économie verte ne questionne pas la logique de la croissance illimitée, vers laquelle s’oriente l’actuel modèle de développement. Elle présente des propositions d’efficacité énergétique et le développement de nouvelles technologies qui assureront la survie de la logique capitaliste de croissance illimitée. Énergie nucléaire, produits génétiquement modifiés, nanotechnologie et géo-ingénierie sont présentés comme étant des solutions technologiques aux dénommées limites de la nature. Mais la limite est établie par le modèle capitaliste. De la sorte, encore une fois, le marché présente des fausses solutions, comme les nouvelles technologies programmées et contrôlées par les entreprises, en augmentant le contrôle sur la connaissance et la vie.

C’est ce qui arrive aux agro carburants et aux propositions d’alternatives à l’énergie fossile, l’une des grandes responsables du réchauffement climatique. Elles sont présentées comme étant des énergies propres, car elles dérivent de la production agricole. Mais il est nécessaire de faire s’interroger à leur égard, car production d’agro carburants concurrence la production d’aliments de l’agriculture paysanne. De plus, ce sont des alternatives qui continuent de s’appuyer sur un modèle de consommation insoutenable. Nous remettons en question, donc, ceux qui contrôlent et à quel modèle est vouée cette énergie alternative produite.

Féministes contre le capitalisme vert !

Notre vision sur la question écologique considère que la destruction de la nature est une partie de la façon que le capitalisme a de s’organiser pour sa recherche incessante de gains. C’est pourquoi nous pensons que la solution ne doit pas être une bonne gestion des ressources, mais la construction d’un nouveau modèle dans lequel la relation entre humanité et nature ait un sens d’unité et de continuité. Nous faisons partie d’un tout et uniquement en harmonie nous pourrons maintenir les bases de la vie pour l’humanité et la nature.

La lutte pour changer le monde et changer la vie des femmes s’inscrit dans un même mouvement. Il ne suffit pas d’identifier que les impacts de ce système sont pires pour les femmes. Nous partons du principe que le capitalisme utilise les structures patriarcales dans son actuel processus d’accumulation. C’est pourquoi, nous ne croyons pas à une action qui cherche à réduire les impacts négatifs, mais nous menons notre lutte pour transformer les structures qui organisent les relations d’inégalité et de pouvoir, en combinant inégalité de classe, race et genre.

Résister à la marchandisation de la nature et des biens communs : l’économie verte n’est pas la solution

Nous résistons à l’utilisation de la nature comme une ressource au service du profit des entreprises, profit vu comme étant inépuisable ou vu comme des marchandises plus chères au fur et à mesure qu’elles s’épuisent, par leur mauvaise utilisation. L’expérience d’invisibilité et de dévalorisation vécue par les femmes concernant leur travail de soins des personnes, est bien semblable à l’invisibilité et la dévalorisation de la nature. Le temps et l’énergie que les femmes dépensent pour soigner des personnes, préparer à manger, élever et être disponibles à l’écoute ne sont pas visibles et sont élastiques. Les femmes sont les premières à se lever et les dernières à aller au lit dans la plupart des familles. Le temps et l’énergie des processus de régénération de la nature sont cachés et traités comme des obstacles à être surmontés pour que la machine de consommation fonctionne à plein régime. Les femmes subissent toujours des pressions pour pouvoir s’adapter à des logiques et des temps contraires – celui de la vie et celui du profit– en gérant ces tensions existantes. Leur travail est instrumentalisé pour agrémenter ou cacher les injustices promues para des institutions multilatérales, des gouvernements et des entreprises.

Nous disons NON aux fausses solutions proposées par le marché et leurs agents, comme les crédits carbones, les agro carburants, les mécanismes de la REDD et la géo ingénierie ! Nous n’acceptons pas des « solutions » qui ne créent que plus de business et ne changent pas le modèle de production, de consommation et de reproduction sociale.

Nous sommes des femmes et pas des marchandises !

La violence générale, et en vers les femmes, en particulier, fait partie de la stratégie de ce modèle. Plus la société est gouvernée par les intérêts du marché, plus les femmes sont transformées en marchandises.

Un exemple pourrait être la situation du Costa Rica, qui est montrée comme un modèle à suivre pour les business verts. Au Costa Rica, diverses forêts sont devenues des domaines de préservation et le déplacement des communautés a poussé les femmes à être prostituées et à entrer dans le tourisme sexuel, qui ajoute de la valeur au tourisme écologique.

Également, nous observons que dans le territoire brésilien une augmentation de la prostitution s’est produite dans les territoires de l’industrie minière, de la construction de centrales hydroélectriques ou pendant les travaux du Mondial de Football. Dans une logique de développement qui réduit le développement à une croissance illimitée, le corps des femmes atténue les impacts de la surexploitation du travail et de la destruction du territoire.

Pour la souveraineté sur nos corps et notre sexualité

Nous répudions le contrôle du corps et de la sexualité des femmes qui empêche notre autonomie et notre autodétermination. Ce contrôle fait partie de l’association capitalisme, patriarcat et racisme, qui s’étend au contrôle des territoires. La prostitution est utilisée pour “compenser” le déséquilibre du travail nomade des hommes transférés par milliers aux grands travaux d’infrastructure et chantiers de mégaprojets. Nous sommes solidaires avec les femmes victimes de cette forme d’exploitation de la société patriarcale, mais il est nécessaire de souligner que la prostitution existe seulement dans un système qui s’articule autour de la subordination des femmes. Il ne produit rien en lien avec la liberté et l’autonomie, mais au contraire, et dans la plupart des cas, la femme est asservie par un réseau marchandisé. Il se base sur un modèle de sexualité ancré dans la virilité masculine et sur la subordination de la femme, associée à la fragilité et à la disponibilité permanente. En même temps, il soutient la division sexuelle du travail et l’opposition à l’autonomisation économique des femmes.

De ce fait, nous affirmons le droit à l’autonomie de nos corps et sexualité et le droit à séparer la sexualité de la maternité. C’est pourquoi nous luttons pour la dépénalisation et légalisation de l’avortement. Nous réaffirmons que la sexualité est construite socialement et nous sommes des sujets actifs pour refuser l’hétéronormativité et soutenir l’exercice libre de la sexualité, sans coercition, stéréotypes et relations de pouvoir.

Luttons pour un autre modèle de production, reproduction et consommation !

Avec l’économie féministe, nous soutenons le besoin d’établir un nouveau paradigme de durabilité de la vie humaine « comprise comme une relation dynamique et harmonieuse entre humanité et nature et entre êtres humains hommes et femmes » et pour valoriser les biens communs. Des changements réels sont nécessaires dans le mode de production et les modèles de consommation du capitalisme, afin de redéfinir et élargir le concept de travail, la reconnaissance du travail des femmes et l’importance d’un autre équilibre entre production et reproduction pour qu’il ne soit toujours considéré comme une tâche correspondant uniquement aux femmes, mais aussi aux hommes et à l’État.

Les femmes créent, dans leur vie quotidienne, des alternatives concrètes à l’économie dominante, en articulant des transformations de la production, de la reproduction et de la consommation. Il existe un grand nombre d’expériences d’agro écologie et d’économie solidaire développées par des femmes. Avec notre travail et nos connaissances historiques de ce domaine, nous affirmons que la souveraineté alimentaire est stratégique pour cette transformation, car elle soutient un autre modèle d’organisation de la production, de la distribution et de la consommation d’aliments, en lien avec la lutte contre la logique capitaliste de l’agro-industrie.

Les alternatives construites et proposées par les peuples doivent intégrer une dimension créatrice d’égalité, en envisageant l’égalité entre femmes et hommes, le droit des femmes à une vie libre de violences et au partage du travail domestique et des soins entre hommes et femmes.

Élargissement et renforcement de la sphère publique : à partir de l’État et de la société

Nous luttons pour une profonde démocratisation de l’État impliquant la rupture avec les privilèges de la classe dominante et blanche, comportant aussi une rupture progressive du système patriarcal. Bien au-delà de promouvoir des services et des politiques sociales, il est nécessaire de garantir le sens public de l’État, les actions de redistribution de la richesse, la socialisation du travail ménager et des soins, et des politiques émancipatrices construites sur la base de la souveraineté et la participation populaire.

Ceci demande, aussi, d’avoir un rôle actif dans le domaine international afin de promouvoir l’intégration des peuples et que les politiques des pays reposent sur les principes de solidarité, de réciprocité et de redistribution.

Notre lutte pour la démilitarisation articule ces dimensions-là et remet en question le rôle du pouvoir économique dans des interventions militaires entamées par les États, au service du contrôle de territoires riches en ressources naturelles. Nous luttons aussi contre la concentration des moyens de communication dans les mains de quelques groupes économiques, et nous soulignons l’urgence d’une ample démocratisation de la communication, qui entrainerait la garantie de neutralité et liberté des flux d’information dans l’infrastructure des communications et d’internet, et qui comporterait, ainsi, un combat contre la logique capitaliste de la propriété intellectuelle.

En tant que femmes nous demandons d’être reconnues comme des sujets actifs dans les débats et décisions sur l’ensemble des politiques et des processus concernant la construction d’autres modèles. L’extraction minière, les grands travaux d’infrastructure, les formes de développement de notre continent ne peuvent pas être l’objet de l’unique action des hommes au pouvoir, des gouvernements et des entreprises. Notre lutte féministe soutient un autre modèle capable de créer l’égalité et la justice sociale, de promouvoir la solidarité entre les personnes, un modèle durable, qui ne soit pas basé sur le travail gratuit des femmes ni sur l’exclusion des femmes des processus de prise de décision.

C’est pourquoi, nous croyons que les alliances entre femmes et autres mouvements sociaux sont essentielles afin de faire face à la marchandisation des territoires et à la financiarisation de la nature, dans le but de socialiser des alternatives de résistance et de renforcer la protection des biens communs.

Nous refusons la marchandisation de nos corps, de nos vies ! Nous voulons la durabilité de la vie, la centralité de la production du bien-vivre, en finir avec la division sexuelle du travail, éradiquer l’inégalité et dépasser le capitalisme !

Tant que toutes les femmes ne seront pas libres, nous marcherons !

Source : http://www.marchemondiale.org/themes/biencommun/Rio20/posicionMMM/fr/

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