Il aura suffi qu’un chalutier chinois soit arraisonné par la marine japonaise au large de quelques îlots contestés pour que le monde occidental prenne conscience de la dépendance de ses industries de haute technologie en matière d’approvisionnement en terres rares, et plus largement en métaux stratégiques. Il n’y a pas eu de jour depuis sans que l’on ait parlé de lithium, d’indium ou de l’un des dix-sept métaux aux noms exotiques issus des fameuses terres rares (yttrium, dysprosium...). La Chine est bien sûr montrée du doigt, mais les risques se situent aussi en Afrique australe, dans les Andes ou en Russie.
Cette effervescence des chancelleries a eu des précédents, qui nous ramènent une trentaine d’années en arrière.
Dans les années 1970, on parlait de l’arme du pétrole et de l’arme alimentaire, mais on s’inquiétait aussi de la concentration de nombre de métaux stratégiques de l’époque (chrome, cobalt, platinoïdes...) en Afrique australe et dans le bloc soviétique. Face à cette menace, la réponse des Etats occidentaux prit plusieurs chemins : celui de la recherche minière, tout d’abord sur son propre sol (l’inventaire français est entrepris par le Bureau de recherches géologiques et minières en 1975) ou dans les territoires considérés comme relativement sûrs : Australie, Brésil, Canada, mais aussi Afrique de l’Ouest...
Mais la recherche et l’investissement minier sont des processus longs. Pour pallier l’urgence, on constitua donc des stocks stratégiques. Il en existait déjà un, celui des Etats-Unis, créé en 1939, mais surtout relancé en 1950 au moment de la guerre de Corée. En 1976, les Etats-Unis décidèrent de le relancer. En 1979, 93 produits ou substances étaient stockés, pour une valeur de 10 milliards de dollars. En 1975, la France décida de la constitution d’un stock de précaution financé à partir de 1979 par une éphémère Caisse française des matières premières. La Grande-Bretagne fit de même en 1983, au lendemain de la guerre des Malouines...
Mais à la fin des années 1980, la conjoncture géopolitique se modifia : l’Afrique du Sud abolit l’apartheid et l’Empire soviétique s’effondra, libérant au passage les stocks stratégiques au complexe militaro-industriel. L’abondance régnait à nouveau et la "nouvelle économie" n’était guère prête à financer la production de toutes ces substances aux noms barbares. Les stocks stratégiques furent démantelés ou très fortement réduits : le seul survivant actuel, le stock américain, géré par la Defense Logistic Agency (DLA), détient encore 28 produits pour une valeur de 1,4 milliard de dollars (984 millions d’euros).
Et voilà que la question des métaux stratégiques revient à la une, avec à la clef la dépendance vis-à-vis d’une Chine à la fois très dépendante de l’extérieur pour ses approvisionnements en matières premières, et dominante pour un certain nombre de substances dont elle a consciencieusement cassé les marchés ces dernières années en éliminant les derniers producteurs occidentaux, eux-mêmes souvent condamnés pour des raisons environnementales. Le réveil est bien dur ! Faute de budgets, le temps des stocks stratégiques paraît révolu.
Il faut donc réapprendre à gérer la rareté, en l’intégrant aux développements technologiques, mais surtout en utilisant l’extraordinaire gisement à notre disposition : les déchets, tout simplement.