Nous avons lu et entendu plusieurs personnes se dire stupéfaites devant l’adoption à l’unanimité par l’Assemblée nationale d’une motion condamnant l’islamophobie au Québec. Plusieurs ont attaqué l’utilisation même du mot islamophobie. Ils affirment, à juste titre, qu’il prête le flanc à des mésusages puisqu’il est mal construit d’un point de vue sémantique et qu’il est employé par certains pour condamner toute critique de l’islam.
De quoi parle-t-on exactement ? L’islamophobie est le rejet de l’Autre considéré comme radicalement différent, réduit à quelques caractéristiques soi-disant essentielles qui le rendraient inférieur à « nous », en fonction de son lien réel ou présumé à la religion musulmane.
Il est incorrect de faire appel au terme islamophobie pour faire taire toute critique de la religion musulmane. Mais est-ce que les mésusages invalident le phénomène auquel se réfère le mot ? Faudrait-il ainsi bannir tous les mots susceptibles d’être détournés ? Bien sûr que non.
Prenons le mot antisémitisme, qui réfère au racisme envers les personnes juives. Ce terme peut être instrumentalisé pour faire taire les critiques de la politique coloniale de l’État israélien. C’est un mésusage. Le mot antisémitisme reste pourtant absolument indispensable pour désigner une forme de racisme qui, comme toute forme de racisme, est odieuse, vise une partie spécifique de la population, divise et empoisonne les sociétés où elle sévit.
D’autres cherchent à invalider l’islamophobie sous prétexte que le mot aurait été inventé par des mollahs iraniens afin d’interdire tout blasphème. C’est faux. D’abord, jusqu’à récemment, il n’y avait pas d’équivalent à ce mot en persan et, lorsqu’on creuse un tant soit peu, on s’aperçoit qu’il a été utilisé dès 1910 par des orientalistes français spécialistes de l’islam ouest-africain.
Pour d’autres encore, le suffixe « phobie » implique de définir l’islamophobie comme une peur irraisonnée, en évacuant les dimensions de la haine, du rejet et du racisme. Selon eux, la peur n’est pas condamnable, donc le terme est erroné.
S’il est vrai que la construction sémantique du mot n’est pas idéale, faudrait-il bannir également des mots aussi essentiels que xénophobie, négrophobie ou homophobie, sous prétexte qu’ils sont construits avec le même suffixe ?
Dépassons ces polémiques sans fin et parfois douteuses sur le terme islamophobie - et focalisons sur la réalité de plus en plus alarmante qu’il désigne.
La motion contre l’islamophobie votée à l’Assemblée nationale est historique dans la lutte contre la xénophobie envers les musulmans au Québec. Elle arrive dans un contexte d’une grande violence dans le débat public. Durant les jours précédents la motion, nous avons observé :
• Un déferlement de vidéos islamophobes et racistes incitant à la haine sur les réseaux sociaux ;
• La manifestation en plein centre-ville sur Sainte-Catherine d’un groupe fasciste comme Pegida qui appelle régulièrement à déporter les Québécois de confession musulmane ;
• Des appels à ne pas accueillir des réfugiés musulmans puisqu’ils sont incompatibles avec le Québec, voire un « fléau », ou simplement de la « marde » ;
• L’agression en plein jour d’une femme enceinte voilée par deux ados dans les rues d’Anjou.
Imaginons une manifestation qui appellerait à déporter les Québécois gais...
L’islamophobie, comme l’homophobie, est avant tout un vécu pour les personnes qui en sont victimes.
La douleur qu’elles vivent mérite de ne pas tomber dans les calculs politiques mesquins ou dans les sophismes grossiers.
Par conséquent, il fallait condamner d’une seule voix l’islamophobie, les appels à la haine et à la violence envers les Québécoises et les Québécois de confession musulmane. Cette motion ne dit pas que le peuple québécois est raciste. Au contraire, elle affirme clairement que, pour la nation québécoise, la lutte contre l’islamophobie est un enjeu qui dépasse les calculs partisans. Les élus l’on fait. C’est tout à leur honneur. Nous les saluons.