Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le côté noir de la force

Il importe de s’arrêter après coup pour réfléchir aux réactions qu’ont suscité les paroles prononcées par le sénateur Boisvenu la semaine dernière, car elles révèlent des aspects inquiétants de notre société.

Rappelons ce que le sénateur a suggéré : les assassins devraient disposer d’une corde dans leur cellule afin de décider eux-mêmes de leur sort.

Ses excuses qui n’en sont pas, l’ont enfoncé davantage, car il a voulu préciser qu’il ne s’adressait qu’aux cas irrécupérables, qu’il n’aurait pas dû parler de corde, mais laisser une variété de moyens ; il a même ajouté que des centaines de citoyens lui avaient écrit pour l’appuyer.

Du côté du gouvernement, aucun blâme officiel, mais plutôt une tolérance plus que bienveillante.

Dans la population, ils ont été nombreux à adhérer à une partie de l’argumentaire voulant que les condamnés coûtent cher à la société. Parmi mes correspondants Facebook, certains ont trouvé le moyen de dire qu’ils n’étaient pas animés par l’esprit de vengeance, mais bien par un désir rationnel de rendre les condamnés utiles à la société, car ils ne sont pas productifs pendant leur incarcération. Et d’évoquer des solutions qui ne sont pas bien loin de ce qu’on a déjà appelé les travaux forcés.

Il y a de quoi frémir quand on entend parler de rationaliser les coûts d’une personne humaine. Cette pente glissante qui veut attribuer une valeur économique à l’être humain, certains économistes l’ont déjà prise. Leurs calculs favorisent étrangement les riches et les puissants pour fustiger les pauvres, les malades et les vieux pour ne pas dire les vieux malades et pauvres, car les bien nantis sont vite rangés parmi les productifs.

Il y a bien une société au vingtième siècle qui a proposé de rationaliser les dépenses liés aux improductifs : ainsi on a voulu éliminer les malades mentaux, les handicapés, puis ce furent les Roms, les Juifs, les homosexuels, les communistes... Il n’y a pas de frontière entre les droits humains. Quand on commence à se demander si un type de personnes coûte cher, on entre dans le chiffre et on quitte l’humanité.

Les personnes qui cherchent des arguments rationnels pour éliminer les indésirables en trouveront toujours. Et elles verseront dans le côté sombre de la force. On commence par se demander si les condamnés pour certains types de crime ne devraient pas être exécutés, puis on se dit que les vieillards débiles sont encombrants, que les itinérants nuisent au commerce, que les handicapés ne sont pas assez productifs et, finalement, que les défenseurs des droits humains sont des empêcheurs de tourner en rond.

Voilà où finit par se retrouver une population qui cède à l’obsession de la mesure, à la volonté de soumettre l’humain à des principes économiques.

De ces deux maux, aucun n’est le moindre :
ceux qui rêvent de vengeance et souhaitent la mort des criminels ne se rendant pas compte qu’ils ne font pas mieux que les assassins ;
ceux qui calculent froidement comment réduire l’improductivité de leurs semblables et qui réduisent l’humain à un chiffre.

LAGACÉ Francis

Francis Lagacé

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