Édition du 19 novembre 2024

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Asie/Proche-Orient

Le Sud-ouest syrien champ clos des rivalités régionales et internationales

La Syrie est devenue le champ clos des affrontements entre les puissances internationales et régionales. Dans le sud-ouest du pays, la Russie, Iran et Israël sont à la manœuvre pour consolider à la fois le cessez-le-feu et leurs positions, tandis que la Jordanie tente de préserver ses intérêts dans cette région frontalière.

L’auteur est analyste à l’Arab Center (Washington) sur les conflits au Proche-Orient ; auparavant, au Centre de lutte contre le terrorisme à West Point, au Centre Issam Fares au Liban et au Colin Powell Center for Policy Studies du City College de New York. Ancien journaliste, il a également occupé différentes fonctions dans le système des Nations unies

Tiré de Orient XXI.

Les Syriens qui ont lancé leur révolution il y a six ans ne sont plus les maitres de leurs destins. Rien ne symbolise mieux cette réalité que le sud-ouest de la Syrie où, malgré la réticence des parties au conflit à déposer les armes, l’espoir d’une résolution a vu le jour avec l’accord de cessez-le-feu américano-russe conclu le 9 juillet 2017. Par sa situation stratégique, la région du sud-ouest permet d’appréhender les enjeux géopolitiques du conflit et sert de test pour les scénarios pouvant mener à une résolution.

Cet accord a été établi sur la base de trois phases progressives :

1. apaiser les préoccupations jordaniennes et israéliennes en dissociant le sud-ouest de la Syrie du processus d’Astana1, et en maintenant les troupes iraniennes loin de la frontière jordanienne et de la région du plateau du Golan occupé par Israël ;

2. désengager les forces du régime et celles de l’opposition en identifiant un déploiement géographique distinct ;

3. assurer le retour des Syriens réfugiés en Jordanie vers les provinces de Deraa et Qouneitra.

Au-delà de ces différentes concessions, le sud-ouest syrien s’apparente à un puzzle dont chaque pièce symbolise l’intérêt de puissances régionales et mondiales. La Jordanie joue un rôle majeur pour arriver à un équilibre entre ces intérêts souvent contradictoires, que ce soit entre l’Iran et Israël ou entre le régime syrien et l’opposition.

Désalignement des intérêts jordaniens et israéliens

La proximité géographique de la Jordanie et d’Israël avec la Syrie a des conséquences à double tranchant : l’avantage de pouvoir accumuler des troupes et la capacité de frapper à travers la frontière sont contrebalancés par l’agilité de l’Iran dans le déplacement d’armes et de combattants entre le Liban, la Syrie et l’Irak. La Jordanie et Israël maintiennent une zone tampon en espérant que cette initiative éloigne les groupes iraniens de leur frontière, mais l’efficacité de cette stratégie reste à prouver.

Depuis l’intervention militaire russe de septembre 2015, les gouvernements jordanien et israélien se sont montrés prêts à négocier avec Moscou (http://orientxxi.info/magazine/moscou-capitale-du-proche-orient,1756). Après concertation avec Amman, la Russie a cessé ses raids aériens contre les rebelles dans le sud de la Syrie afin d’encourager les groupes armés à se concentrer sur la lutte contre l’organisation de l’État islamique (OEI) au lieu de combattre le régime syrien. Moscou a aussi permis à Israël de frapper le Hezbollah lorsque ce dernier tentait de transférer des armes ou de planifier une activité près du Golan. Cependant, l’accord entre les États-Unis et la Russie a perturbé le jeu des alliances régionales, compromettant l’alignement des intérêts jordaniens et israéliens en Syrie.

Israël se concentre sur les mouvements du Hezbollah et ne voit aucun dialogue possible à l’horizon avec le régime syrien. Face à cette impasse, Washington et Moscou tentent de rassurer Tel-Aviv. Les combattants du Hezbollah présents en Syrie, qui ont mené en juillet 2017 la lutte contre Jabhat Al-Nosra à Arsal (sur la frontière libano-syrienne), ont été évacués de Deraa, dans le sud de la Syrie. Ce déploiement à l’initiative des deux puissances mondiales a inversé une décision antérieure en mai dernier de déplacer 3 000 combattants du Hezbollah du Qalamoun vers le sud de la Syrie, mais elle n’a pas réussi à convaincre Israël que le président Bachar Al-Assad n’agit pas sous l’influence de l’Iran. De plus, les bombardements israéliens contre le régime syrien ont augmenté au cours des dernières semaines, dans le but de mettre de la distance entre Damas et Téhéran et de fragiliser l’accord entre les États-Unis et la Russie.

L’enjeu principal pour la Jordanie et Israël est de sécuriser la présence de forces alliées dans la zone tampon à proximité de leur frontière. Cette stratégie est plus facilement réalisable pour la Jordanie qui en plus de sa légitimité en tant que pays arabe, supervise avec les États-Unis le Centre des opérations militaires (Military Operations Center, MOC) qui parraine les groupes d’opposition dans le sud de la Syrie. En revanche, le gouvernement israélien — force occupante dans le Golan — se voit limité à fournir une assistance à certains groupes syriens.

Coopération problématique entre le régime et l’opposition

Un autre obstacle majeur à l’accord entre les États-Unis et la Russie est la dimension nationale du conflit syrien. Les groupes d’opposition résistent à la tentative d’établir par la force un nouveau statu quo, et le régime syrien ne reconnaît pas leur existence.

La mise en œuvre de l’accord conclu entre la Russie et la Jordanie illustre cette problématique. En contrepartie de la reconnaissance d’une zone d’influence jordanienne dans le sud de la Syrie et de l’éloignement des milices soutenues par l’Iran de la frontière jordanienne, la Russie a formulé plusieurs demandes. Parmi elles, la garantie que le régime syrien contrôle le passage frontalier d’Al-Nassib et que la Jordanie lance des tentatives de réconciliation entre les forces du régime et l’opposition. Amman sera sans aucun doute confrontée à des défis dans la mise en œuvre de sa partie de l’accord. Il reste à voir si les combattants pro-jordaniens de l’Armée syrienne libre (ASL) et le régime syrien accepteront de travailler ensemble. Dans le cas où l’ASL refuserait de transmettre le contrôle du poste de frontière d’Al Nassib au régime syrien, les autorités jordaniennes envisagent un autre passage, qui traverse la province de Soueida, contrôlée par la Syrie.

Les groupes armés de l’opposition syrienne dans le sud de la Syrie ont établi un front assez stable sous la direction du MOC, mais ces forces sont constituées d’unités dispersées, sans commandement hiérarchique ni structure. Depuis l’accord entre les États-Unis et la Russie dans le sud du pays, ces brigades sont soumises à des pressions pour se regrouper, surtout après la décision récente du MOC de dissoudre le « front du sud » et de restructurer les troupes opérant à Deraa et à Qouneitra.

L’objectif final du MOC est de réduire le nombre de coalitions armées qui peuvent effectivement mettre en œuvre l’accord russo-américain et permettre le retour des réfugiés syriens en provenance de Jordanie. De nouvelles alliances ont récemment été formées dans le sud de la Syrie, alors que des différences tactiques se font sentir entre le MOC et les groupes armés affiliés à l’ASL. Ces divergences ont empêché les forces de l’opposition de participer à l’opération en cours pour libérer Deir ez-Zor de l’OEI. Le régime syrien et ses alliés étaient davantage prédisposés à tirer profit de cette opération et les États-Unis collaborent à présent avec les Kurdes pour contrôler certains territoires de cette province stratégique sur la frontière irakienne.

Si le régime et les groupes d’opposition refusent de coopérer, il sera difficile d’envisager un impact à long terme de l’accord entre les États-Unis et la Russie. Bien que les aires géographiques couvertes par le cessez-le-feu aient été clairement définies, aucun consensus n’a encore été atteint sur la délimitation des zones devant être détenues par l’opposition ou par le régime syrien.

C’est dans les régions de Soueida et de Deir ez-Zor sous l’emprise du régime syrien que se confrontent les intérêts jordano-américains et ceux du régime syrien et ses alliés. Cela signifie que les forces d’opposition n’auront pas un rôle important au-delà du sud de la Syrie et que la Jordanie servira de principale issue de secours s’ils décident de ne pas coopérer avec le régime syrien.

Chemins de la résolution du conflit

L’Arabie saoudite et la Turquie étant pour l’essentiel hors-jeu, l’Iran et Israël sont les deux derniers pouvoirs régionaux à maintenir une influence dans la résolution du conflit. En position de force, l’Iran s’accorde avec la stratégie russe et renonce à une présence dans le sud de la Syrie en échange du maintien de sa ligne d’approvisionnement du Hezbollah libanais de Téhéran à Beyrouth.

Israël continue pour sa part d’avoir des réserves sur le rôle futur de l’Iran en Syrie. En effet, si Tel-Aviv peut réussir à cibler les dirigeants du Hezbollah ou l’expédition d’armes iraniennes, il lui sera néanmoins difficile à long terme de détecter et de suivre le mouvement des combattants et des armes le long de la ligne d’approvisionnement de Téhéran à Beyrouth. Le seul pari pour Israël, au-delà des frappes militaires préventives, est la mise en œuvre de l’accord entre les États-Unis et la Russie et, surtout, une participation soutenue de la Russie qui peut équilibrer l’influence iranienne dans le conflit syrien.

À Moscou, en avril 2016, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou déclarait : « Avec ou sans accord syrien, le plateau du Golan restera sous souveraineté israélienne. » L’Iran et le Hezbollah utiliseront sans aucun doute la carte de l’occupation israélienne pour défendre leurs intérêts. Sur le long terme, les risques de confrontation entre Israël et le Hezbollah dépendent en grande partie de la façon dont l’accord entre les États-Unis et la Russie se déroulera.

Si le cessez-le-feu dans le sud de la Syrie perdure, Amman pourra jouer un rôle de médiation dans le conflit syrien ainsi que dans les efforts de reconstruction du sud du pays. Les autorités jordaniennes devront peut-être trouver un moyen d’entrer en contact direct avec le régime syrien sans aliéner les forces d’opposition du sud qui doutent que l’accord entre les États-Unis et la Russie tienne compte de leurs intérêts. Les États-Unis et la Jordanie ont une influence significative sur les groupes armés syriens via le MOC et il reste à voir comment cet effet de levier peut être utilisé.

Si la Jordanie serait la première puissance à tirer profit d’un accord américano-russe réussi, elle serait aussi, le cas échéant, la première victime de son effondrement. L’accord entre les États-Unis et la Russie a placé le front sud dans une situation où Amman doit choisir son camp.

Finalement, la résolution du conflit syrien repose sur la coordination entre Moscou et Washington. Le pouvoir décisionnel dont est doté le Pentagone au sujet du dossier syrien est perçu comme une force de stabilisation face à l’imprévisibilité du président Donald Trump (http://orientxxi.info/magazine/politique-americaine-au-p-o,1807). Une stratégie américaine ne se limitant pas seulement à la défaite de l’OEI reste cependant à définir. Les deux parties ont besoin l’une de l’autre en Syrie : si la coordination entre les États-Unis et la Russie s’effondre, les forces américaines devront choisir entre faire face à l’Iran, rester inactives ou se retirer.

Le chemin de la résolution du conflit syrien a commencé dans le sud du pays et il constitue une première étape nécessaire, mais pas suffisante. Les intérêts stratégiques des puissances régionales et mondiales doivent à présent prendre en compte la volonté de tous les Syriens, qui eux-mêmes doivent aussi reconnaître que le conflit est arrivé à son terme et que le temps est venu de réduire les pertes (http://orientxxi.info/magazine/la-palestine-la-syrie-et-notre-aveuglement,1445).

Joe Macaron

1-NDLR. Le « processus d’Astana » a pour but de faire respecter un cessez-le-feu en Syrie. Conclu en décembre 2016, il a été engagé en janvier dernier, sous l’égide de Moscou, de Téhéran et d’Ankara. Il réunit des représentants du gouvernement syrien et ceux de l’opposition, notamment des rebelles armés qui avaient refusé précédemment de participer à toute négociation avec Damas. Accueillies par le Kazakhstan, allié de la Russie en Asie centrale, ces négociations sont considérées comme une tentative du Kremlin de pacifier la Syrie après l’intervention militaire russe lancée en septembre 2015.

Joe Macaron

Joe Macaron est un enseignant-chercheur affilié au Wilson Center et basé en France. Il a notamment travaillé pour le Combating Terrorism Center de West Point et le Colin Powell Center for Policy Studies. Ancien journaliste, il a également conseillé le Fonds monétaire international (FMI) sur l’engagement public au Proche-Orient et a occupé différentes fonctions au sein du système des Nations unies

https://orientxxi.info/fr/auteur1414.html

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