1. Définition de la constitution comme expression d’un rapport de force
La constitution est la loi fondamentale d’un pays. Suivons le raisonnement de Ferdinand Lasalle à ce sujet. [1] Qu’est-ce qui distingue une loi fondamentale, écrit-il ? C’est la loi fondamentale qui marque de son sceau toutes les lois et dispositions juridiques édictées dans un pays. Elle agit comme une force déterminante sur le caractère de ces lois : à qui s’applique cette loi, qui détient la responsabilité de son application, quel mécanisme définit les possibilités de son abrogation, quelle instance juridique peut l’invalider ou la défendre...). La force déterminante de la constitution n’est rien d’autre que celle des rapports de forces réels entre classes et nations existants dans une société donnée. Les lois expriment des rapports de force. Il faut donc changer la réalité de ces rapports de force pour changer les lois (et particulièrement la constitution), et non l’inverse, afin que les normes nouvelles reflètent cette réalité transformée.
C’est ainsi que l’Acte de l’Amérique du Nord britannique était l’expression des grands entrepreneurs qui voulaient transformer les colonies britanniques d’Amérique du Nord en pays, en un marché unifié. La nation canadienne-française n’a pas été consultée à ce propos. Les nations autochtones et métisses n’ont eu droit qu’à la spoliation. Seules les élites canadiennes-françaises liées au grand patronat du Haut et du Bas-Canada ont eu droit au chapitre, comme partenaires minoritaires et subordonnés.
2. Pourquoi la question de la constitution devient-elle une question d’actualité ?
Les différents processus constituants mobilisés, la démarche choisie, les acteurs impliqués vont eux aussi dépendre des rapports de force réels... dans une société. Quand un processus de réforme constitutionnelle ne mobilise que des premiers ministres laissant le peuple sur la touche, il faut comprendre qu’on ne s’attaque pas à la logique fondatrice de cette constitution. On la dépoussière, on l’aménage ou l’adapte à certains changements sociaux. Mais lorsqu’on parle de constituante élue au suffrage universel, lorsqu’il s’agit de concrétiser la souveraineté populaire, on a affaire à une démarche fondatrice, et on peut s’attendre à un prévisible bouleversement des assises de la société engagée dans un tel processus. C’est pourquoi les constituantes sont des réalités politiques qui sont le plus souvent le résultat de crises sociales importantes. Elles sont collées à des guerres ou à des révolutions. Dans notre histoire, c’est lors des rébellions de 1837-38, que l’idée de constituante s’est d’abord manifestée.
Au cours des années 60, la nation canadienne-française devient québécoise. Des partis indépendantistes voient le jour : Rassemblement pour l’Indépendance nationale, Ralliement national, Parti républicain... Les mobilisations se multiplient. Les polices antiémeutes répriment. La domination de l’État fédéral est remise en question. Le mouvement syndical se développement massivement, particulièrement dans le secteur public. Le Parti libéral du Québec scissionne. La réalité se transforme. Dans les sommets de la société, on envisage certains aménagements. Daniel Johnson, chef de l’Union nationale désire en arriver à une constitution interne pour le Québec.
Mais, dans le mouvement national extra-parlementaire, des solutions plus audacieuses sont esquissées. Du 5 au 9 mars 1969, les États généraux du Canada Français concluent sa démarche en tenant des Assises nationales. [2] Sans en avoir encore véritablement le moyen de l’imposer, les Assises affirment haut et fort que le pouvoir constituant appartient au peuple québécois. On y esquisse le projet de société d’un Québec indépendant. Le gouvernement du Québec se voyait confier le mandat d’arrêter les modalités de l’élection et du fonctionnement de la constituante : 300 à 500 personnes élues au suffrage universel au niveau des circonscriptions électorales ; incompatibilité des fonctions de député et de constituant ; mandat de douze mois ; soumission au peuple du projet de constitution élaborée par voie de référendum...
Dans son discours de prorogation des Assises nationales, Rosaire Moraire affirmait : « Il a fallu prendre conscience de cette situation de prolétariat dans laquelle 80% de la population vit. Si nous voulons résoudre les problèmes collectifs, si nous voulons redresser une situation économique intolérable, nous devons prendre conscience de l’état de notre main-d’oeuvre et d’une situation de plein emploi qui est tragique dans ses perspectives de vie sociale. » [3] le centre de ce discours : le pouvoir constituant appartient au peuple du Québec.
Dans son discours de clôture, le président des États généraux du Canada français, Jacques-Yvan Morin, allait dans le même sens : « La grande idée qu’il faut répandre et mettre en oeuvre au Québec, c’est la constituante, c’est-à-dire une assemblée encore plus représentative que la nôtre (les États généraux) élue au suffrage populaire, en dehors des cadres traditionnels, et pour la seule fin de prendre des décisions quant au type de société que nous voulons instaurer à travers nos institutions et notre constitution. Lesquelles décisions seraient par la suite soumises l’approbation de la collectivité par voie de référendum. » [4] On était à cent lieues des allégations des souverainistes d’aujourd’hui qui prétendent qu’il faut séparer le projet social du projet national.
Mais cette démarche se faisait dans le cadre d’une double absence d’un parti hégémonique (1965-1969...) des secteurs nationalistes de la bourgeoisie québécoise d’une part, alors que les secteurs organisés des classes ouvrières et populaires demeuraient sans expression politique autonome, loin de pouvoir être les porteurs d’un tel élan.
3. Le politique péquiste marginalise la perspective de constituante
Le programme de 1970 du Parti québécois reprendre cette perspective [5] : « La constitution ; État souverain le Québec adoptera une constitution élaborée avec la participation populaire au niveau des comtés et ratifiée par les délégués du peuple québécois réunis en assemblée constituante.. Cette constitution devra refléter les aspirations et la nature réelle du peuple québécois. » Le programme prévoyait la mise en place d’une république présidentielle et parlementaire. Le système électoral devrait comporter « un élément de représentation proportionnelle. »
Dans une brochure parue en 1972, et intitulée, Comment se fera l’indépendance ? - série d’entrevues avec René Lévesque, Jacques Parizeau, Jacques-Yvan Morin et Camille Laurin. Un Québec souverain reste défini comme une république démocratique et sociale. Les programmes du PQ contiendront un tel engagement, et ce, jusqu’à la prise du pouvoir le 15 novembre 1976. Ce n’est qu’en 1979 que disparaît toute référence au mode d’élaboration de la Constitution et à la convocation d’une assemblée constituante. [6]
Mais la perspective de constituante n’est pas un élément stratégique dans la conception de l’accession à la souveraineté. Cette accession se fera soit par l’obtention d’un mandat donné par une élection à une majorité de députés dans un premier temps soit par un référendum sur cette question à partir de 1974. La perspective de constituante reste marginale. Elle vient à la fin du processus une fois l’indépendance réalisée..
Cela reflète la domination idéologique écrasante du Parti Québécois sur le mouvement national et plus particulièrement de sa direction qui concentre entre ses mains l’essentiel des décisions stratégiques. On est loin du souffle de démocratie participative et d’aspiration à une véritable souveraineté populaire que portaient les Assises nationales. On se souviendra de la façon dont fut mise au point la question du premier référendum. L’apparition d’un deuxième référendum dans la question référendaire fait suite à des tractations secrètes sur le libellé de la question où même des dirigeants importants du parti, dont Jacques Parizeau, avaient été écartés.
Le livre blanc sur la souveraineté-association déposé à l’Assemblée nationale en 1979 ne fait aucune mention du processus d’élaboration de la Constitution d’un Québec indépendant. Il s’inscrit dans le prolongement de l’idéologie des deux peuples fondateurs. Si le référendum donne au gouvernement le mandat de négocier une nouvelle entente avec l’État fédéral, un deuxième référendum devra être tenu pour ratifier le résultat des négociations.
L’adoption de la stratégie référendaire répondait moins à une volonté d’expression de la souveraineté populaire qu’à la volonté des élites technocratiques qui dirigeaient le PQ d’opérer une disjonction entre la prise du pouvoir d’une part et l’ouverture d’une négociation avec le fédéral d’autre part. Les ministres péquistes sont les seuls constituants de cette démarche souverainiste. Les dirigeants du Parti québécois mènent le processus sur toute la ligne. Ils visent à conserver intact le Canada comme espace économique distinct et à assurer la libre circulation des marchandises et des personnes tout en accordant au Québec la totalité des pouvoirs dont a besoin la nation selon eux..
4. La défaite référendaire de 1980 conduit le gouvernement Lévesque à s’engager dans des négociations constitutionnelles visant la réforme de l’État canadien
La campagne référendaire a donné lieu à une mobilisation passive. Elle visait selon la lettre de René Lévesque distribuée à l’ensemble de la population à parvenir à une nouvelle entente avec le Canada. Les dirigeants péquistes promettaient à la population qu’une victoire au référendum ne changerait pas radicalement la donne sociale. Ils n’ont donc pas cherché à construire une dynamique d’affrontement et de rupture avec l’État canadien. L’idée de souveraineté populaire est complètement effacée des discours souverainistes.
A. La défaite référendaire redonne l’initiative politique au gouvernement fédéral.
La défaite référendaire de 1980 n’a pas seulement rejeté le gouvernement péquiste sur la défensive. Elle a mené le gouvernement péquiste à renoncer à son objectif stratégique de souveraineté-association. Il entreprend des négociations constitutionnelles sans aucun rapport de force. Le gouvernement fédéral a une orientation claire : la centralisation est nécessaire pour dépasser les étroites aspirations locales discordantes et assurer le destin du tout canadien. Le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux du Canada anglais imposent le rapatriement de la constitution canadienne sans l’accord du Québec. Les militant-E-s indépendantistes du Parti québécois tendent de raidir la position du Parti québécois devant un tel coup de Jarnarc. Mais ils sont remis à leur place par le rénérendum [7] qui oblige l’ensemble des membres à se ranger inconditionnellement sur les positions du chef.
B. Le tournant vers le beau risque... fait éclater le Parti québécois. Des ministres quittent le gouvernement et le parti se vide. La défaite sera au rendez-vous.
Les reculs se multiplient. Dans une lettre au Devoir, René Lévesque réduit la perspective de souveraineté à une simple police d’assurance. Le passage du Parti québécois à l’affirmationnisme de Pierre-Marc Johnson sur le terrain national et aux mesures antipopulaires sur le terrain social mène à la défaite de 1985. Bourassa s’engage dans les négociations constitutionnelles pour soi-disant réintégrer le Québec dans l’honneur et la dignité selon une formule ciselée par Lucien Bouchard lui-même qui avait rallié le Parti de Brian Mulroney.
La souveraineté populaire n’est plus à l’ordre du jour. Les enthousiasmes pour la constituante des États généraux sont oubliés. Les constituants de ces négociations constitutionnelles sont les premiers ministres du pays. Elles sont faites de tractations secrètes et de jeux d’équilibre qui laissent encore une fois le peuple québécois hors jeu. Il n’y a aucune dénonciation systématique de ces négociations qui écartent le peuple. Il n’y a aucune campagne dénonçant le caractère élitiste et classiste, secret et manipulateur du projet de « réforme »...de la constitution canadienne et de ces négociations constitutionnelles.
C. Les accords du lac Meech sont finalement rejetés.
Les accords du lac Meech étaient les demandes les plus minimales jamais formulées par le Québec pour définir sa place dans la constitution canadienne. Les propositions constitutionnelles avancées par le gouvernement Bourassa ne répondent en rien à la volonté exprimée depuis les années 60 de voir un transfert de pouvoirs vers l’État québécois. Malgré cela, les accords du lac Meech seront rejetés par des gouvernements provinciaux du Canada anglais qui trouveront qu’ils constituent des concessions trop importantes faites à la société québécoise. Les accords de Charlottetown qui codifiaient un nouveau recul sur les concessions cosmétiques faites au Québec étaient à leur tour rejetés par un référendum pancanadien tant par le Québec que par le Canada-Canada. Mais ce double rejet reposait sur des raisons inverses. Pour le Québec, ils accordaient trop peu de concessions au Québec. Pour le Québec, ils apparaissaient offrir trop de concessions au Québec pour le reste du Canada.
5. Le référendum de 1995, l’ouverture à une souveraineté populaire limitée dans le cadre d’un tournant néolibéral
L’incapacité du gouvernement Bourassa de livrer la marchandise sur le terrain national a nourri les sentiments de rejet de la part du reste du Canada. Le reste du Canada (ROC) a refusé d’accorder un minimum de concessions réelles portant sur une nouvelle répartition des pouvoirs. Cette situation a renforcé les sentiments souverainistes dans la population et a permis au courant indépendantiste dirigé par Parizeau de reprendre en main du PQ et de reconquérir le pouvoir dans la perspective de la tenue d’un référendum sur la souveraineté.
A. L’entente du 12 juin 1995 sur la souveraineté partenariat
En 1994, le PQ reprend le pouvoir. L’année suivante, il organise un référendum sur la souveraineté partenariat. Le gouvernement Parizeau n’envisage pas de convoquer une Assemblée constituante. Il adopte un projet de loi qui définit déjà clairement les grandes lignes de la souveraineté recherchée. La direction péquiste est engagée dans le néolibéralisme et veut désarmer la méfiance du gouvernement de Washington. Elle propose donc une souveraineté limitée.
Sous les pressions de Lucien Bouchard et de Mario Dumont, le projet est encore dilué dans le sens d’une souveraineté-partenariat. L’entente du 12 mai 1995 [8] conclue par le Parti québécois, le Bloc Québecois et l’ADQ) prévoit l’association avec le Canada, la monnaie commune, la double citoyenneté, le soutien à l’ALENA et aux alliances militaires (OTAN et NORAD). Le Québec deviendrait souverain, mais les Québécoises et les Québécois pourraient demeurer citoyens canadiens. Le Québec deviendrait souverain, mais il pourrait continuer à profiter de la monnaie canadienne. Le Québec deviendrait souverain, mais il continuerait à être parti à tous les traités et alliances signés par le gouvernement du Canada. Des institutions politiques communes sont même proposées.
B. Le référendum de 1995 : l’expression contrôlée et limitée de la souveraineté populaire.
Contrairement au référendum de 1980, la direction péquiste prévoit une large consultation organisée par la Commission sur l’avenir du Québec. Cette consultation a démontré la force des aspirations démocratiques du peuple québécois. La Commission a tenu près de 300 audiences, reçu plus de 3 000 mémoires et réuni près de 40 000 personnes. La Commission des jeunes a tenu 20 forums dans 25 villes auxquels ont participé 5 000 jeunes. Nombre de personnes et d’organisations qui ont pris la parole devant les deux Commissions tenaient à lier les revendications sociales et les revendications nationales. Mais le gouvernement péquiste ne voyait là que des dérapages. Nous n’étions pas dans un processus d’expression réelle de la souveraineté populaire. Le Parti québécois gardait le contrôle total de l’agenda et les choix politiques sont restés fermement dans les mains du gouvernement péquiste.
Cette consultation est une bien pâle expression de ce qu’aurait pu être une véritable démarche d’Assemblée constituante, car la population du Québec aurait dans une telle institution eu le droit de décider collectivement de la réalité du Québec dans lequel elle voulait vivre.
Le camp du OUI a adressé un discours à saveur progressiste à la population. Les discours et la publicité du Camp du OUI associaient ce camp à la paix, à une société écologique et féministe. On cherchait à lier ce camp aux aspirations à une société égalitaire, à une société qui n’est pas seulement centrée sur la défense des intérêts des possédants. Ce fut la base de la force du OUI. Mais, ces discours n’ont cependant pas été accompagnés de véritables mobilisations populaires ni d’engagements réels en termes de projet de société.
Contrairement aux attentes du camp du OUI, tous les secteurs importants de la bourgeoisie québécoise se sont rangés dans le camp du NON. Même les entreprises dont le développement avait profité du soutien actif de l’État québécois se sont portées à la défense du fédéralisme canadien.
Quant aux dirigeants canadiens, ils n’ont guère fait preuve d’un comportement démocratique. Ils n’ont reculé devant aucun moyen légal ou illégal pour empêcher la population du Québec de se prononcer librement. Avant le référendum, Jean Chrétien a déclaré qu’il ne reconnaîtrait pas une victoire du OUI. À la lumière des manœuvres déloyales sinon illégales des fédéralistes, bon nombre de gens considèrent que le référendum de 1995 a été littéralement volé. [9]
C. La principale leçon du référendum de 1995, la mise en place d’une constituante est essentielle pour construire une majorité indépendantiste au Québec
Le deuxième référendum sur la souveraineté montre la nécessité d’une large démarche de démocratie participative réelle permettant que des débats irriguent en profondeur l’ensemble de la société et que la démarche se donne le temps de le faire. Les travaux d’une constituante qui peuvent s’étendre sur un ou deux ans et qui devraient être précédés et accompagnés par une telle démarche peuvent favoriser une conscientisation politique de la société. Pour s’opposer aux forces du statu quo, il faut la plus large mobilisation possible du camp du changement. Les responsables du référendum de 1995 ont fait quelques pas dans cette direction. Mais cela est demeuré somme toute insuffisant pour obtenir une majorité.
La direction péquiste a également négligé le caractère multinational (la réalité autochtone) et multiethnique du Québec et a misé essentiellement sur les francophones. Aucune alliance stratégique n’a été recherchée dans le cadre du référendum avec les peuples autochtones vivant au Québec. La campagne en direction des communautés ethnoculturelles a été peu développée. Cette erreur stratégique a permis aux fédéralistes de se présenter comme les uniques défenseurs des communautés issues de l’immigration. Cette négligence niait la présence de membres de ces communautés dans le camp du OUI et elle réduisait aussi la portée du ralliement au camp du OUI. Le camp du OUI n’avait pas reconnu pleinement que la force véritable d’une démarche indépendantiste reposait sur l’ouverture aux aspirations démocratiques et sociales de sa majorité populaire et de l’ensemble des composantes de la société québécoise. [10]
6. Les fruits amers de la défaite référendaire de 1995
A . Le durcissement fédéral – ou la volonté de cuirasser la négation du droit à l’autodétermination du Québec
L’État canadien n’a jamais reconnu officiellement le droit à l’autodétermination du Québec. La réalité nationale du Québec n’a pas non plus été reconnue tout au plus, on a poussé l’audace à définir le Québec comme une société distincte. Mais la participation des fédéralistes aux référendums de 1980 et de 1995 constituait une reconnaissance de facto de ce droit, du moins aux yeux de la population, même si les responsables politiques à Ottawa se fendaient de déclarations sur le caractère étroitement consultatif des référendums.
La courte victoire du camp fédéraliste en 1995 devait conduire Ottawa à encadrer leur participation à un éventuel référendum, la loi C-20, ladite loi sur la clarté. Elle donnait à la Chambre des communes l’obligation d’évaluer le caractère recevable ou non de la question posée dans un éventuel référendum et ouvrait sur la remise en question du niveau de vote devant être atteint par un référendum gagnant pour participer à des négociations avec les souverainistes. Il s’agissait en fait d’affirmer haut et fort le refus du droit à l’autodétermination du Québec. D’ailleurs, le gouvernement Harper devait poursuivre sur cette lancée par une politique conséquente de construction politique et symbolique de la nation canadienne dans une dénégation de plus en plus systématique de l’existence des minorités nationales opprimées dans l’État canadien.
B. Accumulation des défaites et dérives néolibérale et provincialiste du Parti québécois
La défaite référendaire va déboucher sur la démission de Jacques Parizeau et le couronnement de Lucien Bouchard.
La direction Bouchard approfondit le tournant néolibéral du gouvernement péquiste. Elle fit du déficit zéro son objectif principal, s’attaqua aux employé-e-s du secteur public. Le bloc social qui s’était reconstruit en appui au PQ commença à s’effriter de nouveau. La courte victoire de 1998 a permis à Lucien Bouchard de rejeter à un avenir indéfini la tenue d’un autre référendum. Sa démission, son remplacement par Bernard Landry ne conduisent nullement à un changement de politique. Une politique de plus en plus conséquemment néolibérale continua à opérer ses ravages dans la population et à miner le soutien électoral du Parti québécois.
Sur le terrain national, alors que nombre de souverainistes croyaient que le caractère serré des résultats au référendum ouvrait la possibilité d’une reprise des hostilités référendaires, la courte victoire aux élections du 30 novembre 1998 où le PQ gagne ses élections avec une minorité des votes (42,87% et 77 député-e-s contre 43,5% 47 député-e-s pour le Parti libéral de Jean Charest), amène Lucien Bouchard à interpréter ces résultats comme le signal d’un récessaire report de la tenue d’un référendum à un avenir indéterminé. Le programme du PQ en 2001 consigne cette orientation : « Au moment jugé opportun, le gouvernement du Québec soumettra donc à la population le projet de faire du Québec un pays souverain et de présenter au Canada une offre de partenariat. » [11] La perspective de partenariat est encore dans le décor. Pour ce qui est du projet de constitution, son élaboration est confiée à une commission constituante : « Un projet de constitution sera élaboré par une commission constituante établie conformément aux prescriptions de l’Assemblée nationale. Cette commission, composée d’un nombre égal d’hommes et de femmes, sera formée de parlementaires et de non-parlementaires et comprendra des Québécois d’origines et de milieux divers. » [12]
La défaite de 2003 aux élections a permis sans doute d’ouvrir le débat sur la redéfinition des perspectives de la lutte pour la souveraineté au sein du Parti québécois, la « Saison des idées ». L’article 1 du programme de 2005 stipule qu’un gouvernement péquiste tiendra un référendum dans un premier mandat. Cette perspective est restée lettre morte. La démission de Landry, son remplacement par Boisclair, puis sa démission suite à la défaite humiliante du PQ en 2007 qui fit perdre au PQ son statut d’opposition officielle montrait que ce dernier était entré dans une crise stratégique majeure. Pauline Marois fit du rejet de l’obligation de la tenue d’un référendum dans un premier mandat la condition de son retour à la direction du PQ.
C. La constituante refait surface dans le programme en avril 2011
Le congrès de 2011 lui donna satisfaction. « Aspirant à la liberté politique, le Parti Québécois a pour objectif premier de réaliser la souveraineté du Québec à la suite d’une consultation de la population par référendum tenu au moment jugé approprié par le gouvernement. » La constituante qui refait surface dans le programme d’avril 2011 prévoit également qu’un gouvernement souverainiste « créera une assemblée constituante à laquelle sera conviées à siéger tous les secteurs et les régions de la société québécoise ainsi que les nations autochtones et inuites du Québec avec d’écrire la constitution d’un Québec indépendant et devant être approuvé par le peuple québécois ». [13]. Mais, cette proposition ne sert qu’à répondre à l’ère du temps et ne prête pas à conséquence, parce qu’elle n’est pas un moment de la stratégie d’accession a l’indépendance, car elle surviendrait après la réalisation de cette dernière. La stratégie menant à l’indépendance fait maintenant cruellement défaut, car la tenue d’un référendum est maintenant repoussée à un avenir indéterminé.
Ce sera l’usure d’un gouvernement Charest corrompu et affaibli par un mouvement massif de la jeunesse étudiante, qui permettra au PQ dirigé par Pauline Marois de former un gouvernement minoritaire qui tiendra à peine 18 mois.
C’est sur ce caractère indéterminé du moment de la tenue du référendum que s’appuiera la campagne de peur menée par Philippe Couillard contre la tenue d’un référendum surprise que préparerait le Parti québécois s’il était élu. Mensongère et démagogique, la campagne des fédéralistes a tout même permis au Parti libéral du Québec de reprendre le pouvoir comme gouvernement majoritaire...
La démission de Pauline Marois, l’élection comme chef puis la démission de Pierre-Karl Péladeau montrent que la crise stratégique du PQ face à la lutte pour l’indépendance reste entière. La fraction technocratique qui dirige le PQ aspire d’abord à retourner à la tête d’un gouvernement provincial. Et elle considère que la perspective de la tenue d’un référendum sur la souveraineté est un obstacle à la reprise du pouvoir. Elle écarte donc systématiquement cette perspective.
7. Le sens de la victoire de Jean-François Lisée
Ce fut l’option de Jean-François Lisée : pas de victoire du PQ sans la mise de la souveraineté sur la glace pour les élections de 2018. Un référendum ne sera pas tenu avant les élections de 2022 si le PQ remporte les prochaines élections provinciales.
La victoire de Jean-François Lisée montre l’ascendant des ministrables sur l’orientation du parti. La défaite de Martine Ouellet qui a défendu la tenue d’un référendum dans un premier mandat a été écrasante. Cette défaite reflète la marginalisation du poids des indépendantistes dans ce parti. Maintenant, La proposition principale de 2017 affirme que le PQ demandera à la population du Québec « de lui confier le mandat de réaliser l’indépendance en 2022 » [14]D’ici 2022, bien de l’eau va couler sous les ponts. D’autres virages de Jean-François Lisée seront sans doute au rendez-vous. La théorie des étapes n’en finit pas de trouver de nouvelles moutures. La constituante, pour le PQ de Jean-François Lisée, est un sujet de discussion pour une éventuelle convergence. Rien de plus. La tenue du référendum en 2022, elle, est un miroir aux alouettes.