Québec solidaire avait d’ailleurs appelé à voter pour des candidats progressistes qu’ils soient bloquistes ou néodémocrates. Aurais-je voté pour la candidate du NPD si j’avais su que mon député et ami Gilles Duceppe était en danger dans son comté ? Sans doute pas.
Mais aujourd’hui, je m’en confesse, je n’ai aucun regret. Celle pour qui j’ai voté, Mme Laverdière, fera une excellente députée pour le Québec. N’empêche, je suis triste pour Gilles et tant d’autres de ses collègues. Duceppe ne méritait pas ça.
Les revers du vote utile
Le Bloc a été victime d’un déplacement massif de son électorat, dont une partie importante a « voté utile ». Le vote utile se base sur les calculs politiques de chacun, pas sur les convictions. Mais les résultats du 2 mai illustrent surtout l’aberration de ce type de vote, produit de notre scrutin non proportionnel. Le BQ a recueilli le quart des votes, mais obtient seulement le vingtième des sièges. Pour ceux qui préféraient oublier la nécessité de réformer le mode de scrutin « démocratiquement infect » du Québec, il faut maintenant saisir le danger que constitue pour n’importe quelle formation souverainiste l’absence d’un scrutin proportionnel.
La stratégie souverainiste orthodoxe s’épuise
Un constat qui découle de cette élection est que la défaite du BQ n’est pas tant la défaite de ses artisans ou de l’appareil, mais l’épuisement de la stratégie que la direction du mouvement souverainiste a poursuivi sur la scène fédérale à travers le Bloc. Cette stratégie pour l’indépendance érigée en orthodoxie par plusieurs leaders souverainistes a été résumée ainsi par Duceppe devant le congrès du PQ en cours de campagne électorale : faire élire un maximum de souverainistes à Ottawa ; pour la prochaine étape, faire élire un gouvernement du Parti québécois à Québec ; puis, tout redevient possible en matière de souveraineté.
Cette orthodoxie a été lâchée par un nombre important d’électeurs et d’électrices souverainistes et le projet en étape est lézardé.
La situation peut en décourager certains. Mais, tout en évitant les faux fuyants, il faut se rappeler Miron « avec ma tête de tocson (...), ma tête de semelles nouvelles j’ai endurance, j’ai couenne et peau de babiche ». Ceux qui ont agi depuis 20 ans selon une stratégie d’indépendance basée sur l’aliénation du Canada ont eu sans doute raison d’essayer. Mais l’approche a échoué ; il est temps d’en essayer d’autres.
Le Québec, ce pays de projets qui nous attend
Le Québec, ce pays de projets qui nous attend, ne peut naître que de la ferme volonté de notre peuple et des rêves qui le nourrissent. La marche du Québec vers son indépendance ne peut carburer au ressentiment. Il faut donc imaginer une stratégie où les gestes posés pour le Québec visent une « rupture de dépassement ». Innover socialement et économiquement. Prendre le virage écologique et politique qui puisse révéler le potentiel emballant de la liberté à notre propre peuple. Elle doit être positive et passer nécessairement par de vastes mobilisations populaires. Québec solidaire l’imagine dans le cadre d’une assemblée constituante, ce qui assure un rapport de force redoutable et une légitimité convaincante (consultez le site www.paysdeprojets.org pour plus de détails).
Ce sera à notre peuple de décider. Et quand on en aura décidé, puisque toute indépendance entraîne des négociations pour de nouvelles collaborations et ententes, le Québec a tout intérêt à ce qu’émerge un Canada plus ouvert sous le leadership de gens de principes, généreux et ouverts - comme Jack Layton et le NPD - qui ont pris l’engagement de respecter notre droit à l’autodétermination.
— -
Publié le 14 mai 2011 dans le quotidien Le Devoir
Amir Khadir, porte-parole de Québec solidaire et député de Mercier