Édition du 17 décembre 2024

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Le Canada et l'Arabie saoudite, des alliés objectifs dans l'inaction climatique

Lors des récentes négociations de la COP27, le Canada et l’Arabie saoudite se sont battus sur un même front contre l’élimination progressive de tous les combustibles fossiles.

Tiré de Canadian Dimension
Dimanche 1er décembre 2022 / Par Nick Gottlieb
traduction Johan Wallengren

Il y a quelques semaines, le New York Times a publié une enquête sur les démarches extensives de l’Arabie saoudite pour faire en sorte que l’économie mondiale continue de carburer aux combustibles fossiles. L’article brosse un portrait peu reluisant de ce pays qui est l’un des plus grands producteurs de pétrole au monde et s’attarde sur la variété de tactiques déployées par celui-ci pour bloquer toute initiative mondiale notable visant à combattre les changements climatiques, se drapant en même temps de vert.

Ce qui pourrait être encore moins reluisant, c’est que presque chaque phrase de cet article serait tout aussi vraie si on remplaçait « l’Arabie saoudite »/« le royaume » par « le Canada ». La déclaration, peut-être la plus révélatrice, relevée dans The Times, s’énonce ainsi : le «  ministère saoudien de l’Énergie a déclaré qu’il s’attendait à ce que les hydrocarbures tels que le pétrole, le gaz et le charbon continuent de représenter une partie essentielle du bouquet énergétique mondial pendant des décennies ».

Il suffit de remonter un an ou deux en arrière pour voir que le gouvernement canadien a eu l’audace de s’exprimer exactement dans le même sens, allant jusqu’à affirmer que le Canada sera – et devrait être – le principal pays producteur de combustibles fossiles dans la seconde moitié de ce siècle.

Le mois dernier, dans le cadre d’une entrevue avec Akshat Rathi de Bloomberg, M. Trudeau a dit que « le Canada est positionné pour être LE pourvoyeur d’énergie dans un monde net zéro », c’est-à-dire après 2050.

Plus tôt cette année, le ministre des Ressources naturelles, Jonathan Wilkinson, a déclaré à la CBC que beaucoup d’idées fausses circulent sur le rôle des combustibles fossiles dans notre progression vers un avenir à plus faible émission de carbone... il reste des quantités importantes de pétrole et de gaz que nous allons exploiter dans un avenir « net zéro ».

Pas étonnant que le Canada’s National Observer ait rapporté que la justification du gouvernement fédéral pour son projet d’oléoduc – l’expansion de Trans Mountain – se fonde sur l’hypothèse qu’il transportera le pétrole des sables bitumineux vers des installations d’exportation à Vancouver pendant 100 ans, soit jusqu’à ce que le 22e siècle soit bien entamé.

Lors des récentes négociations de la COP27, le Canada et son allié objectif l’Arabie saoudite se sont battus contre l’inclusion dans le document final d’une formulation prévoyant l’élimination progressive de tous les combustibles fossiles. C’est ce qu’on appelle faire bande à part : même d’autres producteurs de pétrole de tout premier plan comme les États-Unis se sont prononcés en faveur de cette proposition.

Selon le gouvernement, le Canada a changé de position à ce sujet vers la fin des négociations, déclarant qu’il était prêt à soutenir un appel à l’élimination progressive des combustibles fossiles « sans mitigation » (notre traduction du terme anglais « unabated »), mais en fin de compte, même cette formulation vague et beaucoup trop susceptible d’être instrumentalisée n’a pas fait son chemin jusqu’à la version finale.

Le Canada continue d’approuver de nouveaux projets de combustibles fossiles (y compris les 12 projets « bombe à carbone » dont j’ai traité dernièrement), ainsi que la construction, pour faciliter ces projets, d’infrastructures d’envergure fortement subventionnées (Coastal GasLink, LNG Canada et l’expansion de Trans Mountain). C’est cousu de fil blanc : le Canada entend accroître sa production de combustibles fossiles pour les décennies à venir et se voit encore en exporter à la fin de ce siècle.

Tout cela pour dire que le Canada, tout comme l’Arabie saoudite, ne ménage pas ses efforts pour s’assurer qu’il vendra encore des combustibles fossiles sur le marché mondial aussi longtemps que possible, tout en paradant avec le flambeau du climat.
Dans leurs exercices de relations publiques, les deux pays cherchent à faire valoir que leurs activités pétrolières seront « net zéro » d’ici 2050. Au Canada, le gouvernement et l’industrie pétrolière sont de mèche pour faire avaler la couleuvre : le Canada est allé jusqu’à inviter l’Alliance Nouvelles voies à présenter un exposé à la COP27. Or, l’Alliance Nouvelles voies est un groupe de pression doublé d’un exercice de marketing formé par six des plus grands exploitants de sables bitumineux du Canada qui prétend avoir un plan pour que leur industrie devienne « net zéro » d’ici 2050.

M. Trudeau a beau citer l’Alliance Nouvelles voies en exemple pour montrer que l’industrie en question est un partenaire bien disposé à l’égard de la cause climatique, il n’en demeure pas moins que la plupart des membres de cette organisation poursuivent des efforts – de manière ouverte autant que de façon déguisée – pour contrecarrer les mesures même modestes sur lesquelles travaille son gouvernement, notamment sa proposition de plafonner les émissions.

Certains membres de l’Alliance Nouvelles voies, comme Imperial Oil et sa société mère, Exxon, ainsi que Suncor, sont depuis un demi-siècle sur le pied de guerre pour empêcher que des mesures soient prises à l’égard du climat. Il n’y a pas plus de raison de croire que ces compagnies considèrent sérieusement l’option « net zéro » qu’il y en a de penser que Saudi Aramco serait dans de telles dispositions.

Mais il y a un fait qui mériterait sans doute plus d’attention, comme le signale The Times, à savoir que même « la cible [net zéro] visée ne prend pas en compte le principal vecteur par lequel le pétrole contribue au réchauffement de la planète, sa combustion ».

Tant les Saoudiens que les Canadiens cherchent à nous vendre une sorte de futur fantastique où tout le monde est « net zéro » bien que nous continuions à brûler toujours autant de combustibles fossiles. Pour reprendre l’image que les pontes du Parti libéral du Canada aiment brandir dès que quelqu’un exige de réglementer la production de combustibles fossiles, on est dans une vision « arcs-en-ciel et papillons ».

À supposer qu’au Canada, l’industrie des sables bitumineux et celle, naissante mais en pleine expansion, de l’extraction de gaz par fracturation hydraulique arrivent à se conformer à l’objectif « net zéro » – prémisse purement hypothétique étant donné l’absence de toute tentative sérieuse en ce sens et sachant que les émissions par baril de pétrole provenant des sables bitumineux ont augmenté ces dernières années –, « net zéro » est une cible hors d’atteinte pour ce qui concerne la consommation de ce type de pétrole.

M. Wilkinson a affirmé à plusieurs reprises cette année que la demande de pétrole canadien sera vers la fin de ce siècle cantonnée aux « produits pétrochimiques, aux cires, aux lubrifiants et à l’hydrogène », c’est-à-dire à des utilisations autres que la combustion, ce qui revient à dire que le pétrole produit par le Canada ne sera pas brûlé.

Or, ironiquement, 70 % des « coupes pétrolières » – la plus importante utilisation du pétrole autre que la combustion – servent à produire du plastique, qui est un polluant dont le Canada a l’intention affichée de s’occuper tant au niveau national qu’international.

Ironie mise à part, la réalité est que l’écrasante majorité des combustibles fossiles sont aujourd’hui brûlés. Aux États-Unis, où aboutissent la plupart des combustibles fossiles exportés par le Canada, seulement 7 % de ceux-ci servent à autre chose qu’à être brûlés. Le plus récent rapport World Energy Outlook de l’Agence internationale de l’énergie place la barre plus haut pour ce qui est de la proportion mondiale, mais suggère tout de même que la totalité de la demande mondiale de produits pétrochimiques en 2050 pourrait être satisfaite par la production d’un seul pays aujourd’hui.

Ce qui nous mène au cœur du problème : le Canada, l’Arabie Saoudite et une poignée d’autres pays pétroliers ont tous le même plan pour l’avenir : être le dernier pays à produire des combustibles fossiles.

Ce serait moins un problème mondial s’il ne s’agissait que de savoir lequel de ces pays l’emportera ; reste que l’avantage comparatif d’un pétrole saoudien moins coûteux et moins polluant qui finirait par l’emporter serait dévastateur pour une économie canadienne non préparée.

Les effets de cette course à l’échelle mondiale sont malheureusement gravissimes. Les efforts du Canada pour être le dernier pays à produire du pétrole l’ont conduit à rejoindre une alliance stratégique avec une industrie transnationale de l’énergie dont l’unique visée est de s’assurer de pouvoir continuer à produire des combustibles fossiles à l’infini. Cela signifie qu’en dépit de ses engagements proclamés en ce qui concerne les changements climatiques et malgré ses ambitions nationales en (lente) progression dans ce domaine, le Canada utilise son pouvoir pour faire en sorte que le monde ne parvienne pas à limiter le réchauffement à moins de deux degrés, voire trois ou quatre.

Chaque nouveau projet de combustible fossile constitue l’occasion pour le Canada de déterminer s’il est ou non du côté de l’Arabie saoudite. À l’aune des projets allant de l’expansion de Trans Mountain à celui de Bay du Nord, le gouvernement Trudeau a clairement tranché.

Nick Gottlieb est un rédacteur spécialiste des questions climatiques basé dans le nord de la Colombie-Britannique et l’auteur du bulletin Sacred Headwaters. Son travail est centré sur la compréhension des dynamiques de pouvoir qui sous-tendent les crises interreliées actuelles et l’exploration des moyens de les surmonter. Suivez-le sur Twitter @ngottliebphoto.

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