Le Burkina était relativement épargné jusqu’ici par les attaques des terroristes. Le voilà sous le choc. Selon un bilan officiel communiqué, on dénombre 30 décès et une trentaine de blessés. Il y a six Québécois, huit Burkinabè, deux Ukrainiens, une Franco-ukrainienne, deux Français, une Franco-marocaine, deux Suisses, un Libyen, un Américain, un Néerlandais et un Portugais. Près de dix pays touchés, et une population traumatisée !
Ouagadougou était une ville où l’on sortait beaucoup, en toute tranquillité. Les bars sont omniprésents et ouverts tard dans la nuit, parfois dans la pénombre pour la tranquillité des clients, dont certains tiennent à l’anonymat ou tout simplement pour économiser l’électricité. Le boulevard N’Kwamé N’Krumah, où s’est déroulé l’attaque est le plus éclairé et animé de la ville, parfois surnommé les « Champs Elysées de Ouagadougou ». Il concentre de nombreux hôtels, cafés, restaurant, boites de nuit, banques et autres commerces pour une clientèle aisée, Burkinabè comme étrangers.
D’autres attaques dans la période récente
Le Burkina était donc relativement épargné avant avril (2015), mais depuis il a été victime de plusieurs attaques. Le 4 avril à Tambao, un officier de sécurité roumain était enlevé dans le nord du Burkina Faso. Il était responsable de la sécurité de la mine de manganèse de Tambao, à l’extrême nord du Burkina Faso, près de la frontière avec le Mali et le Niger, lorsqu’il a été enlevé. Cet enlèvement a été revendiqué par Adnan Abou Walid Sahraoui, un cadre du groupe terroriste Al-Mourabitoune.
Fin août 2015 encore, une brigade de gendarmerie avait été visée dans la localité d’Oursi, à la frontière entre le Burkina, le Mali et le Niger. Un gendarme et sa fille avaient été blessés.
Dans la nuit du 8 au 9 octobre 2015, des hommes armés s’en étaient pris à des bâtiments publics dans la localité de Samorogouan, à l’est du pays, près de frontière malienne, avant d’être repoussés par les gendarmes. Ils ont abandonné près de sept motos sur place. Une cinquantaine d’hommes sont revenus le lendemain attaquer une brigade de la gendarmerie burkinabè. Trois gendarmes ont été tués, ainsi qu’un des assaillants, et un civil égorgé sur place.
Le même jour que l’attaque de Ouagadougou, deux Australiens octogénaires qui travaillaient dans un centre médical proche de Djibo, dans le nord pays, ont été enlevés. Ce qui a donné lieu à de nombreuses manifestations de solidarité.
Aussi, depuis quelque mois, le site du ministère des Affaires étrangères français désigne comme zone à risque une bande de plusieurs dizaines de kilomètres tout le long de la frontière au nord du pays.
Mais cette attaque en plein centre ville, faisant de nombreuses victimes d’une autre ampleur, a plongé l’ensemble du pays dans la stupeur et l’insécurité.
Que se passe t-il le 15 janvier autour du Splendid Hotel ?
(…) Quelques jours après l’attaque, on commence à mieux appréhender ce qui s’est passé. Trois assaillants ont été tués, mais ils auraient bénéficié de complices sur place dont on n’a pas pour l’instant retrouvé la trace, mais cette information a été démentie. L’attentat a été revendiqué par Aqmi, qui a même publié les photos des assaillants qui apparaissent très jeunes. Un seul a la peau noire, ce qui laisse supposer qu’ils pourraient venir d’ailleurs.
C’est vers 19h30 que les premiers gendarmes burkinabè, en patrouille non loin de là, sont arrivés sur place, quelques minutes après avoir entendu les coups de feu. Ne faisant pas partie des troupes d’élite, ils se sont surtout positionné pour rassembler les informations en attendant l’arrivée des renforts. Vers 20h30 arrivent les troupes d’élite, issus de différents corps, surtout de la gendarmerie, équipées du matériel adéquat. Plusieurs commentateurs français évoquent une désorganisation des gendarmes burkinabè. Vers 21h30, de nombreux échanges de tirs nourris ont déjà eu lieu, les forces sur place ayant tenté plusieurs fois de s’approcher.
C’est à ce moment qu’ils reçoivent l’ordre d’attendre l’arrivée des soldats américains et des éléments du Commandement des opérations spéciales (Cos), les troupes d’élites françaises, installées à Ouagadougou, alors que certains éléments étaient en mission au Mali. C’est ce qu’affirmera le ministre des Affaires étrangères burkinabè lors d’une émission spéciale de Rfi, le samedi 16 janvier. L’assaut n’interviendra qu’à 1h du matin, par différentes issues. Les otages vont être progressivement libérés au fur et mesure que les étages sont sécurisés par les soldats français et américains, selon plusieurs de leurs témoignages. Par contre, le ministre de l’Intérieur a été formel, ce sont les Burkinabè qui ont tué les terroristes.
Ce récit, réalisé à l’aide de différents articles et témoignages issus de la presse burkinabé, du « Monde Afrique » ou de « Jeune Afrique », qui a rapidement envoyé un journaliste sur place, est à prendre avec une certaine distance, car une concurrence médiatique était perceptible entre l’ambassade de France et les autorités du Burkina Faso. Les journalistes français ou burkinabès se sont retrouvés au milieu de ces deux sources d’information et donc probablement soumis à différentes tentatives de manipulation dans ce contexte.
Par exemple, Le titre du « Monde Afrique » du 25 janvier, « Le récit des attentats de Ouagadougou montre l’ampleur du « cafouillage » des autorités burkinabées » (on notera déjà, dans cette faute d’orthographe, un manque de connaissance de l’auteur de l’article), est pour le moins orienté. Imaginons l’effet d’un autre titre qui pourrait être : « Les troupes d’élite burkinabè prêtes à l’assaut contraintes d’attendre l’arrivée des éléments du Cos ! ».
Il est de bon ton d’évoquer, pour expliquer cette attaque, une rivalité entre Aqmi et Daesch, qui semble vouloir s’installer dans le nord du Sahel. Pour notre part, sans nier qu’elle puisse exister, nous privilégions des explications liées au contexte politique local.
Le régime de Blaise Compaore était proche des groupes armés qui ont attaqué le Mali
Le régime de Blaise Compaoré entretenait des rapports avec de nombreux groupes armés installés dans le Sahel, ce qui lui a valu d’être propulsé médiateur dans le conflit au Mali, par dirigeants de la Cedeao et de la France, et probablement des Etats-Unis. Mais il a eu tendance à favoriser les groupes armés, comme nous le montrons plus loin, et l’opposition malienne n’a eu de cesse de contester cette nomination jusqu’à refuser de participer à certaines réunions de médiation. Ainsi, Blaise Compaoré, avec son ministre des Affaires étrangères Djibril Bassolé, ont tenté de faire accepter à la table des militants d’Ansar Dine dont une partie des membres rejoindront Aqmi.
Le 26 juin 2012, le chef du Mnla, Bilal Ag Chérif, en déroute, n’a eu la vie sauve que parce qu’un hélicoptère de l’armée burkinabé est venu l’exfiltrer. Les dirigeants de ce mouvement se sont installés ensuite à Ouagadougou où ils ont même tenu leur congrès en janvier 2013.
Toujours en 2012, dans son numéro du 5 septembre 2012, « Jeune Afrique » écrit : « Selon les services de renseignements français, des armes auraient récemment été livrées par le Burkina Faso au Mujao », un autre groupe armé de la région. Et plus loin : « Lors de son dernier séjour parisien en août, Djibril Bassolé a proposé à l’Elysée et au Quai d’Orsay la médiation du Qatar », pourtant fortement soupçonné de financer plusieurs groupes armés au Sahel. (voir association Survie : La France en guerre au Mali, enjeux et zones d’ombres , Tribord, 08/ 2013, 250 pages).
Mohamed Chafi, le lien de Blaise Compaore avec les groupes armés
Au centre des liens entre Blaise Compaoré et les groupes armés qui se succèdent, se trouve Mohamed Chafi, un Mauritanien sous mandat d’arrêt dans son pays. Proche parmi les proches de l’ancien président du Burkina, il est exfiltré avec lui, fin 2014, par les troupes françaises. Animé de rêves de révolution dans sa jeunesse, amoureux du désert, il s’est depuis converti en intermédiaire affairiste et en conseiller de plusieurs présidents africains par la suite.
Il apparait au Burkina dès la Révolution en jouant l’intermédiaire avec la Libye. Il se brouille avec Blaise Compaoré après l’assassinat de Thomas Sankara. Ami de Mano Dayak, leader touareg charismatique de la rébellion de 1995, il se retrouve médiateur entre la rébellion dirigé par son ami et le pouvoir nigérien. Il renoue alors avec Blaise Compaoré. Il sera son émissaire dans de nombreux conflits, et ses connaissances parmi les touaregs seront mises à profit avec succès pour obtenir la libération d’otage d’occidentaux. Il sert d’intermédiaire notamment avec l’émir Mokhtar Belmokhtar (Jeune Afrique du 23 septembre 2010 bit.ly/1nwz636) dans la libération des otages espagnols en 2010 et d’un Canadien en 2009. Le même Mokhtar Belmokhtar, très souvent cité aujourd’hui lorsque l’on évoque les groupes djihadistes du désert.
La victoire de l’insurrection a changé la donne
Gilbert Diendéré était à la tête des services en charge de la sécurité intérieure du pays. Il a tenu à le faire savoir notamment en s’exhibant devant les médias après avoir localisé, le premier, l’avion d’Air Algérie qui s’était crashé au Mali, le 24 juillet 2014, non loin de la frontière avec le Burkina. Nous avons plusieurs fois évoqué les contacts étroits qu’il entretenait avec le Cos, mais aussi avec Africom, le commandement des Etats-Unis. Les contacts se sont poursuivi après la Transition, bien que Gilbert Diendéré n’ait plus d’affectation officielle. Il fut, par exemple, invité à l’exercice militaire à la conférence Fintlock en février mars 2015, organisé par Africom afin d’« améliorer la capacité de sécurité des forces militaires régionales ».
Peu après la mise en place de la transition, il s’est servi d’un journaliste pour exprimer sa volonté de continuer à s’occuper de la sécurité du pays. Ses objectifs étaient tout autres, comme l’a montré son attitude les mois suivants. Et la transition a eu bien du mal à démanteler le système installé par Blaise Compaoré et ses hommes, Gilbert Diendéré, Mohamed Chafi et Djibril Bassolé. Les militaires impliqués dans le gouvernement de transition, notamment le Premier ministre Isaac Zida et le ministre de la Sécurité Auguste Barry ont tenté de s’attaquer en douceur au Régiment de sécurité présidentielle (Rsp), pièce maitresse de ce dispositif, en tentant de procéder à des mutations. A chaque tentative ils ont trouvé en face d’eux les chefs de ce régiment, véritable bras armé du régime de Compaoré. En février 2015, Boureima Kéré, le chef de corps du RSP, que plusieurs victimes désignaient comme tortionnaire, fut nommé chef d’Etat major particulier du président ! Et en juillet, à la suite d’une nouvelle séquestration du Conseil des ministres, ils obtinrent le retrait du gouvernement d’Auguste Barry, pourtant très populaire ! Certains militaires ayant été nommés à des postes, auprès des centre de décision du gouvernement, à la suite de ces pressions du Rsp se sont retrouvés aux côtés de Gilbert Diendéré lors du coup d’Etat qu’il a dirigé.
Faut-il regretter le RSP ?
C’est en tout cas ce que vient de déclarer Emmanuel Beth, le 20 janvier 2015, sur l’antenne de Rfi. Il se range ainsi aux côté de nostalgiques de l’ancien régime, ce qui n’a pas manqué d’entraîner des réactions hostiles de la société civile et de certains journaux burkinabè.
Ancien chef des troupes françaises lors de l’Opération Licorne en Côte d’Ivoire, puis chef de centre de planification et de conduite des opérations du ministère de la Défense, Emmanuel Beth fut ensuite propulsé ambassadeur le 25 août 2010, poste qu’il occupa jusqu’en août 2013. Il est aujourd’hui consultant dans une société qui conseille les entreprises du Cac 40, et il n’en est pas à sa première sortie médiatique où il exprime son regret du régime précédent ! On s’étonne tout de même qu’une telle personnalité ait pu se retrouver diplomate ! Cela ne contribue pas à une bonne image de notre pays dans ce pays. Exprime-t-il le sentiment de la hiérarchie militaire ? Dans quelle mesure le gouvernement français et son ambassadeur actuel peuvent-ils le laisser s’exprimer ainsi sans réagir ?
Le Rsp était-il opérationnel dans la lutte contre le terrorisme ? Dans la mesure où il n’y avait pas d’attaques terroristes il est difficile d’en juger. Et puis ce régiment était surtout connu pour son implication dans plusieurs crimes politiques par le passé et dans le renseignement intérieur pour surveiller et déstabiliser l’opposition. Il a surtout, à son actif, les nombreux morts de l’insurrection d’octobre 2014, puis du coup d’Etat de septembre 2015. On ne lui connait guère de faits d’armes contre le terrorisme. Les troupes burkinabé au Mali n’ont pas combattu directement et n’ont été déployés que dans des cantonnements de protection, et ce ne sont pas en général des militaires issus du Rsp. Le pays ne craignant pas d’attaques terroristes du fait de ses liens avec les groupes armés, il semble logique qu’il n’ait pas jugé utile de déployer des moyens sur le front de ce type de renseignement.
La dissolution du Rsp intervint rapidement après le coup d’Etat de septembre 2015, sans que les nouvelles autorités aient eu le temps de mettre en place de nouvelles structures chargées de la sécurité et du renseignement autres que celles qui existaient. Il est bien possible que les canaux de communication qui existaient encore entre Diendéré et les troupes françaises, ont un moment été maintenus et que les canaux de remplacement ne fussent pas totalement opérationnels, dans un contexte où Diendéré déployait plutôt une stratégie de sabotage pour se rendre indispensable et probablement préparer le retour de son maitre Blaise Compaoré.
Que Kafando soit exfiltré alors par les Cos, démontrait que Diendéré conservait le contact avec ses chefs. La presse a fait état de plusieurs coups de fils des militaires français pour le dissuader de s’entêter. Pour autant, la récupération des enregistrements montre aussi que du côté de Zida on avait commencé à mettre en place de nouveaux services.
Les arrestations de Diendéré et de Bassolé ont probablement constitué un choc pour ces militaires américains et français, avec lesquels ces deux proches de Blaise Compaoré collaboraient depuis longtemps. Et s’ils espéraient un temps qu’ils puissent revenir au premier plan, ils se sont lourdement trompé. Dans ce contexte de mutation, avec des militaires français nostalgiques de Diendéré comme le laisse supposer les déclarations de Beth, les canaux de communication n’étaient sans doute pas au mieux.
Cela dit, on image mal que les français aient eu des informations précises, si ce n’est une augmentation des menaces, sans les communiquer. Plusieurs sont les observateurs qui s’interrogent sur l’opération Barkhane et sur l’efficacité du système de renseignement mis en place par les Français et les Américains qui n’ont pas vu arriver cette attaque.
Des menaces qui viennent aussi de Côte d’Ivoire
Nous n’avons guère d’éléments qui montreraient une connivence entre les groupes armés du Mali et les anciens rebelles ivoiriens. Par contre, depuis le coup d’état, Guillaume Soro est fortement soupçonné de l’avoir soutenu activement, à tel point que le juge d’instruction en charge du coup d’état a lancé un mandat d’arrêt contre lui. Le 20 janvier, Rfi publie un article sur son site où sont évoqués, un appel de soutien du lieutenant-colonel ivoirien Zacharia Koné, ancien commandant de zone du temps de la rébellion à la femme de Diendéré, et un appel du général général Soumaïla Bakayoko, actuel chef d’état-major de l’armée ivoirienne, qui donne des conseils à Diendéré.
Dans la première écoute téléphonique entre Soro et Diendéré, au moment du coup d’Etat, largement diffusé depuis longtemps, le premier déclare à son ami : « D’ici quarante-huit heures, j’aurai des fonds. Je peux t’envoyer quelque chose pour que toi aussi tu rentres dans la base ». Et notamment cette affirmation : « Voilà ce que je voulais te proposer : On frappe dans une ville quelque part là-haut. On récupère un commissariat, une gendarmerie. Eux, ils vont fuir, ils ne vont pas résister… » Presque prémonitoire, puisqu’une telle attaque a eu lieu en octobre. Et la commission d’enquête sur le coup d’état a rapporté qu’un hélicoptère venant de Côte d’ivoire avait transporté des armes de maintien de l’ordre et une importante somme d’argent, 50 millions de francs Cfa, jusqu’à la frontière ivoirienne.
Deux jours avant l’attaque, un article dénonce un accord entre l’armée burkinabe et l’armée française
Le bimensuel burkinabé « Courrier Confidentiel » publiait , dans son édition du 11 janvier 2016, sous la plume d’Hervé d’Afrik, un article intitulé « Présence de militaires français au Burkina : Des trucs bizarres ! (Voir à bit.ly/202s33g). Cet article révèle qu’un accord avec le gouvernement portant sur le « détachement de militaires français au Burkina Faso pour la sécurité au Sahel » a été signé en 2015. Selon l’auteur, il « foule aux pieds sur bien des points la souveraineté de notre pays ». L’accord stipule que les militaires français bénéficient de l’immunité, que les troupes françaises peuvent procéder à tout mouvement de troupes sans avoir à en solliciter l’autorisation. Il leur suffit d’informer les Burkinabè. L’auteur de l’article précise en outre qu’il n’a pas été simple de faire accepter cet accord par certains gradés de l’armée, citant par ailleurs des extraits d’une note adressée « à la haute sphère de l’armée » par le gouvernement. Celui-ci souligne des éléments qui lui semblent discutables, mais a préféré signer en se retranchant derrière « les enjeux sécuritaires majeurs que court notre pays face aux actes des groupes terroristes dans la bande sahélo-saharienne ».
Que cet accord soit parvenu à la presse est un indice fort du mécontentement qui règne au sein de l’armée. S’il lui est parvenu, c’est que des militaires hauts gradés l’ont fait passer, une façon pour eux de s’y opposer activement. Après sa victoire facile contre les putschistes en septembre dernier, l’armée a retrouvé son unité et surtout sa dignité et sa fierté dont il va falloir tenir compte.
Pourtant la remise en cause ne serait pas à l’ordre du jour, rapporte Hervé d’Afrik. Nous reviendrons plus en détail sur cet accord qui n’est pour l’instant pas publié dans son intégralité.
Cet article n’est guère repris. Ni dans la presse burkinabè, encore moins dans la presse française. Mais, l’ambassadeur de France qui en est le signataire au nom du gouvernement en a évidemment pris connaissance. Peut-être faut-il y voir l’origine de sa communication particulièrement active après l’attaque du 15 janvier. Interrogé sur cet accord, par nos soins, Thomas Noirot de l’association Survie nous a déclaré : « La France a signé ces deux dernières années des accords de défense qui ne sont toujours pas publiés, par exemple avec le Niger et le Tchad. Et il est possible voire probable que le gouvernement français ait cherché à obtenir de telles garanties d’immunité de la part des autorités de la transition : il l’avait déjà fait par exemple au Mali, dans un accord signé en mars 2013, ou encore en Centrafrique, dans un accord similaire signé en janvier 2014 - donc bien avant le scandale de viols d’enfants. A chaque fois, il s’est agi d’obtenir de gouvernements de transition qu’ils accordent une immunité locale aux soldats français présents dans le pays. Et comme depuis la loi de programmation militaire votée en 2013, les victimes potentielles n’ont plus le pouvoir de forcer le Parquet à ouvrir une enquête en France, les soldats français bénéficient d’une protection considérable : seul le ministère public français, qui dépend de l’Exécutif, peut briser cette immunité...".
Guerre de communication
Un étrange chassé-croisé de communications et de démentis a rythmé les lendemains de la crise. Le quotidien « Le Pays », dans son numéro du 26 janvier relève : « En effet, pendant que les autorités burkinabè disent que ce sont trois terroristes qui ont perpétré les attaques sur Kwame N’Krumah, celles françaises parlent de six djihadistes dont trois seraient toujours en cavale. Alors que les Burkinabè annonçaient qu’il y avait des femmes parmi les assaillants, l’ambassadeur de France, Gilles Thibault, démentait cette information sur Twitter. Et comme si tout cela ne suffisait pas, après que le gouvernement burkinabè a informé l’opinion nationale de l’arrivée du Premier ministre français, Manuel Valls, au pays des « Hommes intègres », samedi prochain, 23 janvier 2015, Gilles Thibault a annoncé de son côté que cette visite se fera à une date ultérieure ». Le titre de l’article « Des contradictions dangereuses et regrettables dans la communication » est révélateur des réactions induites au Burkina.
Cet article ne dédouane pas pour autant les autorités burkinabè mais on peut lire plus loin : « Mais, il y a que cette façon de faire peut également procéder de questions stratégiques et d’intentions plus difficiles à avouer. Il n’est un secret pour personne que certaines organisations de la société civile burkinabè et non des moindres, réclament le départ pur et simple des forces étrangères du Burkina … On peut, de ce fait, penser que les Français qui se sentent légitimement en sursis, veulent prouver, à tout point de vue, l’importance de leur présence sur le territoire burkinabè. » Et « Le Pays » ne mentionne pourtant pas le contenu de l’accord sur la présence de l’armée française au Burkina que nous avons évoqué plus haut !
L’ambassadeur a, encore une fois, cru bon d’affirmer sa présence, faisant preuve d’une boulimie de communication via twitter. Il a d’ailleurs dû s’en excuser face à la levée de mécontentement. Une photo publiée sur le site de la radio www.ouagafm-bf.com/, montre Gilles Thibault en léger retrait dernière le président Roch Marc Christian Kaboré lorsque, venu sur les lieux, il s’adresse à la presse. Digne des meilleurs moments de la Françafrique, au temps où chaque photo d’Houphouët Boigny laissait entrevoir, légèrement en retrait, son éminence grise, le français Guy Nairay ! Gilles Thibault ne devrait-il pas changer de conseiller en communication ? Il n’est pas sûr en effet qu’un Salif Diallo, dont nous avons déjà longuement évoqué le passé de façon critique, accepte longtemps ce type d’attitude, même s’il recherche le soutien de la France. Comment ne pas penser en effet, avec tous ces éléments, à une tentative de légitimation de la présence de troupes françaises au Burkina ?
Le Burkina s’est finalement permis à son tour de démentir publiquement sur http://www.voaafrique.com les propos de Manuel Valls tenus lors d’une séance de questions au gouvernement à l’Assemblée Nationale. Le ministre burkinabè de la Communication et porte-parole du gouvernement, Rémi Dandjinou, a laissé entendre que les enquêtes et le travail de la police scientifique ne permettaient pas de confirmer les propos du Premier ministre qui affirmaient qu’il y avait 10 assaillants.
Tentative de déstabilisation concertée ?
La démocratie burkinabè est jeune. A peine le gouvernement mis en place, plusieurs incidents, certains très graves ont déjà secoué le pays. Si cet attentat particulièrement meurtrier a retenu l’attention de nos médias, d’autres évènements, rapprochés dans le temps, font penser à de véritables tentatives concertées de déstabilisation. Nous n’avions pas manqué, lors du coup d’état, d’émettre l’hypothèse que cette insurrection suivie d’une transition réussie, gênait beaucoup de monde, et que certains ne seraient sans doute pas fâchés de punir ce peuple qui s’est débarrassé haut la main de son dictateur.
Il y a bien sûr les nostalgiques de l’ancien régime. Après avoir déjoué une tentative de libération de Diendéré par des ex-Rsp, certains d’entre eux, ont tenté il y a quelques jours de dérober des armes dans un dépôt proche de la capitale. Plusieurs incendies criminels se sont déclarés ces derniers jours à Ouagadougou. Dans le même temps, la situation se tend avec la Côte d’Ivoire, alors que le président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, est accusé d’être impliqué dans le coup d’état de septembre. Rien n’indique que la Côte d’Ivoire acceptera d’extrader Blaise Compaoré et Guillaume Soro.
Il n’y a pas de liens avérés entre les terroristes d‘Aqmi et les chefs de l’ex-Rsp. Mais un homme pourrait bien tirer les ficelles, du fait de ses liens des deux côtés, Mohamed Chafi, l’homme de Blaise Compaoré.
Tout indique que les Burkinabès n’ont pas l’intention de se laisser faire et que cette armée, revitalisée après avoir neutralisé le coup d’Etat, qui a jusqu’ici répondu à plusieurs attaques, a les moyens de faire face. Difficile de combattre un peuple quand il est en phase avec son armée.