Un projet de loi « modéré » ?
Il faut d’emblée souligner le fait que les deux auteurs du rapport Bouchard-Taylor, dont François Legault prétend tirer son inspiration, s’en sont dissociés récemment. Charles Taylor invite les québécois à se battre tous ensemble tout en soulignant qu’il a honte et qu’il « est revenu sur sa position il y a plus de deux ans et n’est plus d’accord avec ce volet (l’interdiction du port de signes religieux NDLR). » Gérard Bouchard quant à lui qualifie le projet de loi caquiste de « radical » et croit qu’il « en résulte un débat « cadenassé » et une absence de compromis qui pourrait conduire (...) à une adoption du projet de loi sous le bâillon et à une relance du débat pour quelques années encore. » Selon lui, l’adoption de ce projet de loi aurait pour effet notamment de prolonger le débat, l’effet inverse de ce qui est annoncé par la CAQ.
La Meute et la Fédération des québécois de souche félicitent la CAQ et son projet de loi. Il me semble que les caquistes devraient se poser des question sur le caractère « modéré » de leur projet de loi lorsque l’extrême-droite leur donne son appui enthousiaste. Ça contribue à attirer des personnages dont les discours et actions sont proches de cette mouvance comme c’est le cas d’Alain Albert, organisateur caquiste dans Anjou-Louis-Riel qui partage des commentaires islamophobes sur les réseaux sociaux
Par ailleurs, l’intervention du maire de Hamstead , William Steinberg agit ici comme une bouée de secours pour le gouvernement Legault qui peut ainsi apparaitre comme modéré par rapport aux accusations incendiaires du maire. Celui-ci devient l’idiot utile de la CAQ qui peut l’agiter tel l’épouvantail pour évoquer une urgence d’agir. François Legault peut ainsi lancer des appels au calme et faire comme s’il n’était pas celui qui a mis le feu aux poudres.
Le débat a assez duré ?
Couper court au débat qui dure depuis 12 ans ? Quel débat ? Oui il y a eu des invectives, des déclarations incendiaires, une mobilisation de l’extrême-droite mais un véritable débat citoyen sur le sens que l’on veut donner à la laïcité ? Pas l’ombre d’un début. Les propositions du projet de loi 21 visent les minorités religieuses et a interdire le port de signes religieux. En quoi une loi qui place l’Etat en arbitre des religions constitue une véritable laïcité ? Pourquoi cet urgence maintenant ? En quoi cette loi fait-elle en sorte que les québécoises et les québécois vivront mieux, en quoi cette loi constitue t-elle un progrès ? Vouloir mettre un terme au débat alors que celui-ci n’a guère eu l’occasion de prendre son envol est un aveu que quelque chose ne va pas dans l’agenda des intégristes de la laïcité.
Par ailleurs, prétendre qu’un bâillon mettra un terme au débat est une erreur si l’on se fie aux expériences d’autres pays occidentaux. Dans plusieurs pays, un gain de cette droite qui instrumentalise la lutte pour la laïcité ouvrait la voie à un autre chapitre dans la restriction du port de signes religieux, d’une nouvelle intervention de l’état dans les libertés élémentaires. Ils sont d’ailleurs plusieurs à exprimer leur volonté d’élargir les interdits à tout l’espace public ainsi qu’à d’autres catégories professionnelles.
« Décréter » la laïcité ?
Le combat contre les préceptes et tabous des religions sur la vie en société et sur les institutions politiques remontent presque à la nuit des temps. Au Québec, ce fut l’histoire d’une population qui réalisait peu à peu la complicité du clergé avec les élites et le pouvoir politique. Que ce clergé enseignait, soignait, conseillait pour ses propres intérêts et ceux des privilégié.e.s. Le peuple a pris en main son propre combat contre la place du religieux et des religieux, avant tout catholiques, dans la société. Ni personne, ni aucune institution n’a contraint les gens à rompre avec la-les religions.
Dans le cas qui nous concerne actuellement, la CAQ et ses acolytes du PQ agissent tout au contraire en imposant, par la loi, une rupture qui pourtant ne peut être que le résultat d’un cheminement individuel et collectif pour que cette rupture soit réelle, pas d’un décret administratif ou législatif. Plusieurs cas de violences faites aux femmes musulmanes ont été rapportés, des attaques contre le voile en particulier. Le discours des pseudo-laïcistes contre le voile est qu’il est imposé aux femmes. Or, une analyse plus attentive tend à démontrer que la réalité est plus complexe. Et que ces mêmes laïcistes tombent dans le même panneau que ceux qu’ils veulent dénoncer : l’un veut imposer le port du voile, l’autre veut l’interdire. Dans les deux cas, les femmes, en premier lieu musulmanes, sont instrumentalisées et on ne leur attribue aucun rôle dans leur propre libération.
Consolider la formation d’un bloc nationaliste identitaire au centre-droit
On l’a constaté lors de la publication de récents sondages sur les intentions de vote au Québec : la CAQ consolide sa première place, au dépend du PQ surtout. Les sondages sur l’appui de la population au projet de loi sur la laïcité démontre que la CAQ construit avec un certain succès sa majorité même si certains doutent de la méthodologie de certains de ces sondages.
Ce débat fait ainsi partie des plans de la CAQ visant à consolider sa base électorale. Le PQ et le Bloc veulent s’engager dans cette même mouvance. Certains dirigeants du Bloc poussent même l’audace jusqu’à fréquenter des personnages bien en vue dans l’extrême-droite (voir photos plus bas Mario Beaulieu participe à l’émission d’André Pitre alias Stu-Pit ; Yves-François Blanchette rencontre Eric Duhaime, animateur de radio proche de l’extrême-droite québécoise). Le PQ voudrait que l’interdiction du port de signe religieux soit étendu aux services de garde. On veut contester le leadership de la CAQ dans le domaine de la laïcité comme partie prenante de l’identité québécoise. Pour l’instant avec peu de succès... Le PLQ par ailleurs récolte les résultats de décennies d’immobilisme et de laisser-faire. Il tente maintenant de regrouper ces forces en participant aux manifestations organisées par les leaders des religions minoritaires. À l’assemblée nationale, son intervention parlementaire est sérieusement contestée par la deuxième opposition. Québec solidaire a eu le courage de revoir sa position, d’éviter de verser dans la facilité et l’opportunisme et de mettre un terme aux références à Bouchard-Taylor. Sol Zanetti est dorénavant porte-parole du parti en matière de laïcité et il est au diapason de la base. Le travail de l’opposition de gauche permet de contester l’alternative du PLQ auprès des minorités racisées. Et de remettre en question les priorités de la CAQ en mettant de l’avant l’urgence climatique.
Et pendant ce temps...
Des dizaines de milliers de jeunes prennent la rue et manifestent pour réclamer des mesures d’urgence contre les changements climatiques. Et le gouvernement de la CAQ investit dans les routes. Le transport en commun souffre de sous-financement et la CAQ n’y investit que la moitié des sommes consacrées au réseau auto solo. Les régions sont ignorées dans ce débat et le transport en commun est un service marginal hors de Montréal et Québec. Il est grand temps de remettre les priorités à la bonne place, de couper court à ce débat sur la laïcité et à travailler sur les « vraies affaires ».
* Rappelons la déclaration de François Legault à propos de Simon Jolin-Barette à l’émission de fin d’année d’Infoman à la SRC : « ce gars-là est capable de parler pendant 10 minutes sans rien dire. »
Un message, un commentaire ?