Édition du 17 décembre 2024

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Asie/Proche-Orient

La violence des colons n’est pas "insignifiante", elle s’ajoute à la violence institutionnelle d’Israël

L’affirmation du Premier ministre est correcte s’il compte le nombre de personnes qui prennent part à la violence. Cependant, elle cache un mal plus grand. Israël construit des colonies, empêche les villages palestiniens de se développer et expulse les Palestiniens de leurs terres.

Tiré de France-Palestine Solidarité.

Mercredi matin, un inspecteur de l’administration civile israélienne a affiché un ordre d’arrêt des travaux sur la clôture d’une aire de jeux dans le village de Sussia, en Cisjordanie. L’affichage de l’ordre n’est pas en soi un acte violent - au contraire, il s’agit d’une mesure légitime d’application de la loi, car le terrain de jeu a été construit sans permis. Mais cet acte porte en lui des couches de violence que le ministre de la sécurité publique Omar Bar-Lev a ignorées lorsqu’il a parlé uniquement de la violence des colons.

Il a raison de voir dans leur violence une tendance inquiétante. Mais il fait preuve de dissimulation en ne parlant pas de leur objectif, qui est identique à celui de l’État et du gouvernement dont il fait partie : s’emparer d’autant de terres palestiniennes que possible et les vider d’autant de Palestiniens que possible.

Environ un mois avant l’affichage de l’ordre, un groupe de juifs israéliens religieux est entré dans le terrain de jeu, qui se trouve à la limite du village. Un groupe de soldats armés les gardait. Rien de violent dans tout cela, soi-disant. Au contraire, qui ne sourirait pas à la vue de jeunes hommes se balançant sur des balançoires destinées à des enfants de huit ou neuf ans ? Cela nous manque à tous d’être des enfants.

Mais ces jeunes hommes n’étaient pas là pour se remémorer leur enfance. Ils se sont répandus parmi les balançoires, le manège et le toboggan des enfants palestiniens pour tirer la sonnette d’alarme sur ce qu’ils considèrent comme l’impuissance de l’administration civile : comme toutes les structures de Sussia, l’aire de jeux a été construite, faute d’alternative, sans permis. En effet, Sussia se trouve dans la zone C, qui, selon les accords d’Oslo, est sous le contrôle exclusif d’Israël, et bien que les résidents palestiniens de Sussia vivent sur des terres privées (après que les forces de défense israéliennes les aient expulsés de leur village à son emplacement d’origine au milieu des années 1980), l’administration civile ne leur accorde pas de permis de construire.

Les envahisseurs israéliens du terrain de jeu palestinien n’auraient pas pu le faire sans la protection physique de soldats armés, et sans la protection de l’ensemble du système judiciaire et policier israélien en Cisjordanie. Ils y sont allés pour faire pression sur l’administration civile afin qu’elle détruise les balançoires, le manège et le toboggan. La simple menace de démolition est violente, car elle constitue un recours à la force pour nuire, dans ce cas, à des enfants palestiniens. Les enfants juifs de la colonie voisine de Sussia disposent d’une aire de jeux. Toute discrimination est une forme de violence perpétrée par les puissants, même si personne n’est tué ou blessé en conséquence.

Ce n’est pas seulement l’aire de jeux qui a dérangé les envahisseurs du mois dernier. L’association à but non lucratif Regavim et la colonie de Sussia, qui a été créée et prospère grâce au contrôle militaire israélien en Cisjordanie, exigent depuis des années que l’administration civile rase toutes les maisons du village palestinien. Les habitants de Sussia ont déjà pris le contrôle d’une partie des terres de Sussia. Ils n’ont pas eu besoin d’utiliser la violence directe pour y parvenir ; il leur a suffi de tirer parti de leur puissance militaire et économique.

L’administration civile, pour sa part, a rejeté les plans d’ensemble proposés par les résidents du village palestinien et leur a recommandé de déménager, "pour leur propre bien", dans une zone adjacente à la ville de Yatta - c’est-à-dire adjacente à la zone A - qui, selon les accords d’Oslo, est sous contrôle palestinien total. L’ordre d’arrêt des travaux contre le terrain de jeu - une formalité procédurale, nécessaire parce qu’il n’a pas été émis pendant la construction du site - sera suivi d’un ordre de démolition.

L’ordonnance de mercredi symbolise tout ce que Bar-Lev, un pilier du parti travailliste, a éludé en concentrant sa critique sur la violence des individus : sous couvert de sa violence institutionnelle, Israël, en tant que régime militaire, construit des colonies en territoire occupé, empêche les villages palestiniens de se développer et même d’exister, et expulse les Palestiniens de leurs terres vers des villes palestiniennes trop densément peuplées. En ce sens, la violence des colons n’est qu’un ajout.

Néanmoins, il s’agit d’un ajout important et difficile pour les Palestiniens. Le Premier ministre Naftali Bennett, lui aussi, est à la fois correct et malhonnête lorsqu’il traite la violence des colons comme un phénomène insignifiant. Il a raison s’il parle des attaques qui, pour une raison ou une autre, ont attiré l’attention des médias israéliens : elles sont négligeables par rapport au nombre d’attaques qui ne sont pas signalées et qui ne sont pas couvertes.

Et il est de mauvaise foi - parce qu’il sait sans aucun doute combien les attaques signalées et non signalées rapportent et ont rapporté à l’ensemble de l’entreprise de colonisation et à son objectif de vider davantage de territoire de ses habitants palestiniens : Par exemple, comme B’Tselem l’a documenté et calculé, au cours des cinq dernières années, la violence persistante d’un petit nombre de colons dans quatre petits avant-postes de colonies en Cisjordanie leur a permis de prendre le contrôle d’un territoire palestinien équivalent à la superficie de la ville israélienne d’Hébron - environ 7,3 miles carrés, soit 4 700 acres. Et ce n’est qu’un petit exemple. Quelques dizaines de petits avant-postes de colonies illégales, non autorisées et violentes ont réussi à prendre le contrôle d’environ 10 fois cette superficie de terres palestiniennes, soit le double de la superficie bâtie de toutes les colonies combinées.

Le Premier ministre a raison s’il compte le nombre de personnes qui ont pris part et continuent de prendre part à la violence. Il n’est pas nécessaire d’avoir un Kiryat Arba entier ; 12 jeunes hommes de cette colonie peuvent réveiller un quartier entier d’Hébron, effrayer des dizaines d’enfants et détruire 10 voitures. Un seul berger juif, monté sur un tracteur ou un cheval, armé d’un pistolet et d’un drone, peut détruire les moyens de subsistance d’au moins 12 familles de bergers palestiniens qui ne peuvent plus emmener leurs troupeaux au pâturage et faire pousser les céréales et les légumes nécessaires à leur subsistance.

Il suffit d’un tel berger juif dans chaque région, aidé parfois par des jeunes ayant abandonné l’école. Par exemple : Dans la réserve naturelle d’Umm Zuqa, au nord de la vallée du Jourdain ; sur les terres d’Uja, au nord de Jéricho ; sur les terres de Kobar et d’Umm Safa, à l’ouest de Ramallah ; sur les terres d’al-Tawani. De la même manière, une poignée de colons ont pris et continuent de prendre le contrôle de dizaines de sources utilisées par les agriculteurs palestiniens depuis des siècles.

Mais le Premier ministre se défile lorsqu’il ne parle que des attaques les plus récentes, et fait oublier à son auditoire que ce phénomène "marginal" dure depuis des décennies. Pour des raisons politiques évidentes, Bennett ne calcule pas le nombre énorme de personnes qui ferment les yeux sur la violence de quelques-uns : dans la police israélienne, dans les FDI, dans le ministère public et dans les colonies elles-mêmes. Ce faisant, ils ont encouragé et incité le petit nombre à continuer, et à en amener d’autres. Pas beaucoup, mais suffisamment audacieux pour détruire le travail et la vie de dizaines d’autres familles palestiniennes.

Bennett nous fait également oublier, dans son commentaire à Bar-Lev, la grande armée de collaborateurs que ces quelques assaillants ont parmi les colons : Il s’agit des soldats qui défendent les agresseurs ou se tiennent simplement à l’écart lorsqu’ils agressent des Palestiniens ; de la police, qui n’enquête pas ou ne prend pas la peine de trouver des suspects ou qui clôt les enquêtes par manque d’intérêt pour le public ; du ministère public, qui n’engage pas de poursuites ; et des conseils des colonies et des bureaux gouvernementaux qui financent le petit nombre d’individus supposés violents.

Traduction : AFPS

Amira Hass

Amira Hass est journaliste pour ce quotidien, elle a longtemps été correspondante à Gaza et dans les territoires occupés. Deux de ses livres ont été traduit en français, aux Editions La Fabrique, retraçant les conditions d’existence et les questions politiques des Palestiniens à Gaza et en Cisjordanie dans les années 1990 et le début des années 2000 : Boire la mer à Gaza (2001) et Correspondante à Ramallah : 1997-2003 (2004).

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