Édition du 21 janvier 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

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Le blogue de Pierre Beaudet du 11 octobre

La question du NPD (2) : faire ou ne rien faire ?

On l’a dit, le Canada est la proie de « révolutionnaires » de droite dont l’ambition est de démanteler l’héritage des politiques keynésiennes arrachées par les luttes populaires il y a 60 ans. C’est un projet systématique, qui fait consensus au sein des diverses factions dominantes, et qui dispose, en plus, d’un appui populaire, certes minoritaire, mais important. Le projet est dangereux, d’autant plus que l’opposition est disloquée d’une manière qui dépasse un effet de conjoncture, l’absence de « leaders forts », ou les effets pervers du système politique antidémocratique.

Dislocation politique et restructuration du capitalisme

En réalité, cette dislocation repose sur un éclatement des classes populaires. Le processus descendant des conditions de vie et de travail que vivent la majorité des couches moyennes et populaires est lié à la restructuration du capitalisme (le néolibéralisme). Ne sachant plus où aller, ces couches sont neutralisées politiquement. Les partis qui traditionnellement canalisaient leurs aspirations, au centre et au centre-gauche, sont frappés de plein fouet. Le phénomène est dominant dans plusieurs pays où l’on constate le déclin des partis de centre et l’érosion de l’ancien centre-gauche. La droite est appelé à gouverner, bien appuyée par le 1 %, et disposant de l’appui de fragments des classes moyennes et populaires qui sombrent dans le populisme, la démagogie et la haine de l’autre (contre les jeunes, les immigrants, les syndiqués, etc.).

Le « recentrage »

Partout, les partis de centre et de centre-gauche abandonnent les bases politiques et sociales sur lesquelles ils étaient assis. Cela n’est donc pas seulement à cause de « mauvais chefs », même si le rôle des Tony Blair et d’autres aventuriers du genre ne soit pas négligeable. Au Québec et au Canada, tant le PQ que le NPD une fois au pouvoir ont ralenti ou même mis de côté les grandes réformes promises. Des politiques d’austérité ont été imposées via des coupures dans les services publics. La fiscalité a été réorganisée pour favoriser le 1 %. Les législations environnementales et sociales ont été atténuées (quelques exceptions sont à noter comme la création des CPE par Pauline Marois). Le centre-gauche également endosse les vertus du libre-échange, de la compétitivité et de la globalisation. Thomas Mulcair pense ainsi, comme les « lucides » du Québec et du monde. C’est ce qu’on appelle le « recentrage ».

Capitulation

Certes, l’important pour des partis, dira-t-on, est de gagner les élections. Effectivement, Mulcair a raison de penser, électoralement parlant, qu’il faut reconstituer une sorte de « centre-mou » contre Harper et d’accélérer l’effondrement du Parti Libéral du Canada (PLC) pour capter une partie des classes moyennes et populaires. En gros, le « recentrage » impose :

• d’endosser la fiscalité actuelle : taxer les riches devient un crime impardonnable !

• de maintenir le cap sur le démantèlement du secteur public et la privatisation/marchandisation de l’éducation et de la santé.

• de ne pas entraver le « développement » destructeur de l’environnement, quitte à faire des discours sur le « capitalisme vert ».

• de ne pas changer l’actuel rapport de forces si défavorable aux mouvements populaires (la syndicalisation notamment).

• d’appuyer l’extension des règles de la globalisation néolibérale à travers la planète.

• de se ranger derrière le leadership états-unien dans la guerre sans fin.

Relookage

Vous direz que j’en mets beaucoup ! Je crois sincèrement que Mulcair comme ses acolytes pense qu’il faut faire ce virage pour gagner les élections. Qu’est-ce qu’on donnera en « échange » ?

• Le nouveau centre veut écarter la dimension religieuse et réactionnaire promu par la droite, qui heurte les valeurs individualistes et hédonistes du 1 % et des couches moyennes.

• Même si le « capitalisme vert » ne peut pas régler le problème, on peut travailler sur les marges de la crise environnementale (par exemple, fermer des centrales nucléaires et installer des éoliennes, à condition que cela se fasse par le secteur privé).

• On cible des couches populaires avec des programmes sociaux qui offrent non plus l’universalité de la protection sociale (héritage keynésien) mais des appuis contraignants aux « pauvres ».

• On peut s’abriter derrière un multilatéralisme dévoyé qui va dans le même sens que l’Empire états-unien, au nom de la défense des « droits humains ».

Brassez cela dans une soupe, ajoutez un piment ou deux et vous aurez le programme du NPD dans les prochaines années.

Face à la question québécoise

Il reste alors un petit « détail » à régler. Comme on l’a expliqué précédemment, la question québécoise reste l’« angle mort » du NPD. Historiquement, ce parti s’est rangé dans le camp des dominants en ce qui concerne la question québécoise, surtout lors des moments décisifs de 1980, 1982, 1995, etc. Malgré la « Déclaration de Sherbrooke », la question québécoise reste inabordable, en partie parce qu’il existe au Canada anglais une telle agressivité (au-delà des partis et même des classes sociales) contre l’idée de reconnaître des droits nationaux. Or la majorité des députés NPD ont été élus au Québec dans la lignée d’un formidable « non » de la population contre les révolutionnaires de droite, contre les corrompus du PLC et contre les nationalistes en déperdition. Certes ce vote est ambigu, mais pas tant que cela si on considère l’ensemble des dynamiques en cours au Québec où surgit un mouvement social ascendant. Comment gérer cela du point de vue de Mulcair ?

Parler des deux coins de la bouche

Mulcair sait bien que les niaiseries des médias-poubelles et même de l’establishment canadien qui disent que la force politique du Québec ne compte plus ne sont pas vraies. Pas plus que les autres absurdités à l’effet de la « fin » du nationalisme québécois ». En même temps, il sait que toute concession « réelle » face au Québec sera littéralement « massacrée » au Canada anglais, ce qui sapera ses appuis électoraux en Ontario et en Colombie Britannique. Il doit donc parler des deux coins de la bouche, ne rien engager sérieusement du côté des revendications québécoises et surtout, se commettre explicitement dans la lutte contre les méchants « séparatissses », ce qui n’est pas difficile de la part d’un ex-Ministre de Jean Charest et d’un ex-avocat d’Alliance-Québec.

Tout contre Harper ?

On m’a déjà dit que j’étais trop pessimiste, surtout dans un contexte où se profile une confrontation Harper-Mulcair et où on n’aurait pas de choix. Je suis sensible à l’argument, car je ne suis pas partisan du « pire » et je ne pense pas que le virage à droite au Canada va aider le mouvement d’émancipation sociale et nationale au Québec. Il se peut qu’on soit coincés. Chose certaine, même si je parviens à voter pour le NPD pour bloquer Harper, je le ferai en me bouchant le nez et sans illusion. Je dois dire cependant que j’ai du respect pour certains députés du NPD, notamment ceux qui proviennent du mouvement syndical (Alexandre Boulerice, Nycole Turmel et quelques autres). Il y a même encore une gauche dans le NPD en Colombie Britannique. Mais franchement, je ne pense pas que cela représente une option pour et dans le NPD à ce moment. La majorité des éluEs au Québec se voient probablement au fond de leur cœur « sincèrement social-démocrates », mais en réalité, ils n’ont ni influence ni capacités, d’autant plus que le NPD est depuis longtemps un parti dominé par les leaders provinciaux et les « spins » qui contrôlent l’agenda à Ottawa.

Le piège

Il y a un autre problème. Même si on pense sincèrement que le NPD est une alternative, il se peut qu’Harper puisse continuer à dominer. En Europe, la droite s’impose parce le social-libéralisme a perdu sa légitimité aux yeux des populations, comme en Italie, en Grèce, en Allemagne, en Angleterre. Parfois, des partis « recentrés » reviennent au pouvoir par défaut (en France par exemple), avec des mandats incohérents et des appuis populaires dilués (comme ce qui est arrivé au PQ). Face à cela, le « recentrage » s’avère un exercice périlleux. Le NPD recentré pourrait se retrouver noyé dans la contradiction, incapable de soulever les couches populaires faute de propositions audacieuses, mais en même temps non-crédible pour les dominants. C’est un réel danger qui le menace (on pourrait dire la même chose du PQ).

Repenser nos affaires

Le pire serait de se retrouver dans 3 ou 5 ou 10 ans avec la perpétuation de l’impasse actuelle entre une droite sans inhibition et un centre désincarné. Évidemment au Québec, on a un autre projet (QS) et jusqu’à date, cela avance. Ce progrès survient parce que QS dispose d’une militance de talent, mais surtout parce qu’il intervient dans un contexte où le mouvement social est ascendant. Ce n’est pas exagérer, mais la lutte des Carrés rouges de même que les résistances étudiantes, syndicales, environnementales, féministes, est le grand facteur qui explique les problèmes de la droite. La voie est donc tracée, mais est-ce suffisant ? Qu’on le veuille ou pas, l’État (avec un É majuscule), c’est à Ottawa et non à Québec. Pendant longtemps, on a pris cela à la légère, en pensant que la marche inéluctable vers l’indépendance allait régler le problème. Aujourd’hui cela ne se présente pas ainsi. Plus encore, rétroactivement, on peut penser que la gauche a échoué à construire de réelles solidarités Québec-Canada. Il y a eu des déclarations, des textes, des rencontres, mais pas grand-chose de concret.

Êtes-vous patientEs ?!?!?

Je n’ai pas malheureusement, (ou heureusement) de « recette magique ». Il faudra être patient, persistant et imaginatif, et non pas seulement attendre que les Canadiens appuient les Québécois. Il faudra prendre les devants et voir comment on peut s’appuyer mutuellement dans des luttes concrètes. On pourra ainsi mieux confronter Harper, mais aussi construire les jalons d’une alternative politique qui doit se dresser tant à l’échelle québécoise qu’à l’échelle canadienne car même indépendant, le Québec progressiste aura besoin d’un Canada progressiste.

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