Certains la nomment le « cimetière marin du golfe » en raison de ses dangereux hauts-fonds, d’autres la qualifie de « perle du Saint-Laurent » en raison de la beauté de ses paysages. Les Amérindiens connaissaient bien ses rivages. D’ailleurs, les Innus la désignent sous le nom de Notiskuan, signifiant « où l’on chasse les ours ». Les Mi’kmaq l’appellent Natigostec, désignant « terre avancée ». Aujourd’hui, l’île d’Anticosti fait l’objet d’une grande convoitise de la part de certaines compagnies juniors en exploration pétrolière qui rêvent de faire fortune avec son pétrole de schiste.
Des droits privatisés
Cette terre, éloignée et quasi inaccessible, est effectivement très avancée dans les eaux du golfe Saint-Laurent. Elle est également très avancée en termes de perte de contrôle dans la gestion de nos ressources naturelles au Québec. Il faut souligner que lorsque la nationalisation de l’hydroélectricité a été complétée en 1962 par l’équipe de Jean Lesage, le gouvernement du Québec a également nationalisé, par le truchement de la Société québécoise d’initiatives pétrolières (SOQUIP), créée en 1969, et la mise sur pied de la division Gaz et Pétrole d’Hydro-Québec, les droits d’exploration et d’exploitation du gaz et du pétrole au Québec.
Le peuple québécois a donc été spolié, car il n’a pas été consulté sur son désir ou non de voir ces sociétés d’État devenir privées. C’est pourquoi, notamment à la suite du démantèlement de la section Gaz et Pétrole d’Hydro-Québec par le gouvernement libéral de Jean Charest, en 2007, nous ne connaissons toujours pas l’entente conclue entre Hydro-Québec et Pétrolia. En effet, cette entreprise pétrolière a hérité des droits sur l’île d’Anticosti pour une bouchée de pain (prix annuel : 10 cents l’hectare) et d’une soi-disant redevance prioritaire sur les bénéfices éventuels. À la lumière des précédentes informations, il est normal que de plus en plus de citoyens revendiquent la tenue d’une commission d’enquête publique au sein du ministère des Ressources naturelles afin d’y voir plus clair.
Qui dit fossile dit pétrole
On retrouve trois aires protégées sur le territoire d’Anticosti : le parc national et deux réserves écologiques. Toute activité industrielle y est interdite. Par contre, dans la majorité du milieu insulaire, on y tolère la coupe forestière et… l’exploration pétrolière (forage, levées sismiques, etc.). Depuis plusieurs décennies, des entreprises comme Shell, Atlantic Richfield Canada, Corridor Resources et la SOQUIP ont sondé le sous-sol anticostien à la recherche d’or noir conventionnel, et ce, sans succès. Ces derniers temps, les compagnies Pétrolia, Corridor Resources et Junex y ont mené des travaux exploratoires.
Pour l’instant, à notre connaissance, la fracturation n’aurait pas été utilisée ; la ressource convoitée se trouve dans la formation géologique de McCasty qui abrite un gisement pétrolier potentiel classé non conventionnel. La récupération de ce pétrole de schiste, piégé dans un substrat imperméable, nécessite de briser la roche afin d’extraire la substance fossile.
La fracturation, sous toutes ses formes, va engendrer des problèmes irréversibles pour la géologie, l’eau, l’air, la faune, la flore et ultimement, pour la santé humaine. Prenons uniquement la capacité de l’industrie à « puiser » ces hydrocarbures. Selon l’ingénieur-géologue Marc Durand, « les entreprises peuvent seulement récupérer 20 % du gaz de schiste et ce taux de récupération chuterait à seulement 4% dans le cas du pétrole de schiste (1) ».
Mais comment allons-nous gérer, à moyen et long terme, une éventuelle et inévitable dispersion (entre 80 et 96 %) de ces ressources fossiles dans l’environnement ? En allant colmater les failles dans le sous-sol ? Il ne faut pas oublier que l’entreprise a beau jeu en sachant que la gestion des puits abandonnés retournera ensuite à l’État ! De plus, l’évaluation de ce réservoir mise de l’avant par l’entreprise Pétrolia est de l’ordre de 40 milliards de barils de pétrole. Cette estimation relève de la firme spécialisée Sproule Consultant. Ce qui est paradoxal, c’est que la firme qualifie son évaluation de « très incertaine et qu’il n’y a pas de preuves directes de pétrole récupérable (2) ». Serait-ce que l’industrie tente de mousser ses actions en sécurisant ses actionnaires ?
Une richesse exceptionnelle
Au lieu d’explorer l’or noir de schiste de l’île, pourquoi ne pas exploiter son potentiel fossilifère en créant un Géoparc mondial ? Ce joyau, où l’on retrouve une grande richesse de fossiles témoignant d’un passé fleurissant en biodiversité, recèle encore aujourd’hui une riche faune et flore où plusieurs espèces ont un statut menacé ou vulnérable, comme l’aster d’Anticosti et l’aigle royal, pour ne nommer que celles-là. D’une superficie supérieure à l’Île-du-Prince-Édouard, l’île d’Anticosti appartient à la province géologique nommée « la Plate-forme du Saint-Laurent ».
Ce musée d’histoire naturelle à ciel ouvert renferme plus de 600 espèces de fossiles identifiées, dont plusieurs espèces de coraux, de trilobites, de brachiopodes, etc. Les roches sédimentaires, essentiellement calcaires, renferment un trésor paléontologique spectaculaire. « De par leur richesse fossilifère, ces strates représentent de formidables archives de la vie marine et de l’histoire géologique de cette région du continent au Paléozoïque (la formation de l’île remonte à environ 455 millions d’années). Ainsi, nous retrouvons sur l’île la succession sédimentaire la plus fossilifère, la plus complète et la mieux préservée au monde, à la frontière de l’Ordovicien et du Silurien. Elle est en fait une fenêtre ouverte sur l’un des plus grands bouleversements de la biosphère, avec près de 85 % de toutes les espèces qui disparurent des écosystèmes marins à cette époque.(3) »
Priorité citoyenne
Quoi qu’il en soit, la décision ultime de propulser ou non l’île vers les énergies du passé doit revenir aux communautés. De nombreuses organisations citoyennes ont milité et militent encore aujourd’hui afin que les habitants de l’île d’Anticosti ainsi que l’ensemble de la société québécoise puissent jouir d’une pause afin de faire toute la lumière de façon indépendante et transparente dans ce dossier fort complexe qui est celui des hydrocarbures. Ainsi, si le nouveau gouvernement péquiste veut être cohérent avec sa décision d’imposer un moratoire sur le gaz de schiste, il doit également y inclure le pétrole de schiste et bannir toutes formes de fracturation sur tout le territoire. C’est à nous d’y voir.
1. Radio-Canada, Gaspésie-les-Îles : Québec démontre une certaine ouverture pour le pétrole de schiste. www.radio-canada.ca
2. Karel Mayrand, « Le Québec puissance pétrolière : Dream, baby, dream ». www.davidsuzuki.org
3. Ministère de l’Environnement et de la Faune. Gouvernement du Québec, Plan directeur. Parc national d’Anticosti, 2004.