Pierre Mouterde écrit aussi que les fédérations étudiantes (FECQ et FEUQ) ont été affaiblies par l’absence d’une « unité plus large », constat avec lequel je suis en accord. En fait, je suis d’avis que l’erreur, ici, a été d’agir comme si le gouvernement péquiste était un allié, et non pas la cible de leur campagne, position qui a été aggravée par la rupture avec leur alliée principale, l’ASSÉ.
Le premier volet de la campagne « bloquons la hausse », qui s’est terminée avec l’élection du PQ en septembre, a été mené selon les règles de l’art d’une campagne dite stratégique. Ce type de campagne vise à contraindre les autorités à répondre positivement à une revendication, chose qu’ils n’auraient pas faite autrement. Une seule revendication stratégique, des cibles précises et personnalisées, des alliances fortes, une gradation des moyens de pression, jusqu’à la grève et la perturbation économique – tout y était. En organisation communautaire, on parle d’une campagne qui est informée par une stratégie de type « conflictuelle » ; c’est-à-dire, que le conflit informe toutes les analyses et actions et ce, à toutes les étapes d’une campagne. Ceci ne veut pas dire que les acteur.rice.s sont perpétuellement et à tout moment en conflit. Il s’agit plutôt de ne jamais perdre de vue que la société est traversée par des intérêts divergents et que la distribution du pouvoir est injuste ; que les problèmes sociaux sont causés par le fait que certain.es possèdent plus de pouvoir que d’autres et l’utilisent pour maintenir la distribution inégalitaire des pouvoirs ; que le PQ, comme le Parti Libéral avant lui, décideur avec des visées néolibérales, n’est pas un allié, mais une cible.
La stratégie de la négociation et la marginalisation de l’ASSÉ
Lors du deuxième volet de la campagne, qui s’est terminée avec le Sommet de l’indexation, les fédérations étudiantes semblent avoir opté pour une stratégie de négociation plutôt que celle qui est informée par le conflit. Une négociation entre des parties qui ne partagent pas les mêmes objectifs, mais surtout, qui n’ont pas le même pouvoir, est vouée à l’échec pour la partie la moins forte. Ne me méprenez pas. La négociation est possible et même nécessaire à un moment donné dans une campagne stratégique. Si les fédérations étudiantes avaient mis leurs lunettes « conflictuelles », elles auraient constaté que oui, il était pertinent de participer au Sommet pour faire valoir leur point de vue, mais aussi qu’il était essentiel de lancer un mot d’ordre à leurs membres de participer en masse aux diverses manifestations qui étaient planifiées avant, pendant et après le Sommet. Une importante présence dans les rues aurait montré un rapport de force sur lequel les fédérations auraient pu tabler pour contraindre le gouvernement à céder sur la question du gel, et ce, malgré ses intentions d’imposer l’indexation. Au bout du compte, les fédérations ont été flouées par un gouvernement qui, comme par le passé, a très habilement réussi à contrôler la contestation en réunissant des acteurs avec des intérêts divergents autour d’un sommet trop court pour permettre un réel débat d’idées.
Pierre Mouterde écrit à ce sujet que les associations étudiantes auraient pu tenir tête au gouvernement en cherchant « ensemble à faire du gel un préalable à toute autre discussion au sommet, ou encore en travaillant à des alliances fermes avec les acteurs syndicaux présents et en organisant une sortie collective du sommet en cas de blocage de la direction péquiste ». Ce type d’appel à l’unité, à mon avis, est difficilement applicable dans le contexte actuel. Dans les pays surdéveloppés comme le nôtre, les mouvements sociaux contemporains les plus inspirants, les plus dérangeants — les Indignés, Occupy, Idle No More et le Printemps Érable – ne fonctionnent pas selon les anciennes règles du jeu, ceux des mouvements sociaux des courants dominants, avec leurs structures rigides et leurs campagnes structurées. Ce sont des mouvements fluides, décentralisés, créatifs et imprévisibles, composés de groupes autonomes qui s’autodéterminent et s’auto-organisent. Ils prennent la rue, organisent des assemblées de quartier, transforment le paysage urbain en œuvre artistique, propagent leurs propres reportages. Ils font une lecture de la conjoncture, construisent des alliances ponctuelles, et agissent. Un des éléments qui a fait la force du premier volet de la campagne, a été la capacité des fédérations étudiantes, plutôt de la vieille école dans leur fonctionnement, de s’adapter et de s’ouvrir à la nébuleuse qui s’est élargie considérable pendant le printemps érable.
À mon avis, l’appel n’est donc pas à l’unité, mais plutôt au respect de la diversité des tactiques. Je n’ai pas la place ici pour expliquer les tenants et aboutissants de ce principe, suffit de dire qu’il permet la coexistence dans un mouvement et parfois même autour d’un même évènement, d’un arc-en-ciel de tactiques. Il y a 15 ans, quand ce principe a émergé, autour notamment du Sommet des Amériques, contre la ZLÉA, à Québec, en 2001, il était sujet de débats houleux. Aujourd’hui, bon nombre d’organisations des courants dominants ont lâché prise, ont accepté de vivre avec les inconforts de l’inconnu et du mouvant, et se sont mises à respecter ce principe. En pratique, ceci veut dire qu’ils ne se désolidarisent pas, sur la place publique, des groupes qui ont choisi de faire autrement qu’eux. Attention ! Les débats stratégiques et tactiques doivent avoir lieu, mais à l’interne. Quand ce type de débat se fait par le biais des médias de masse, les nuances prennent le bord, ce qui contribue à la stigmatisation et la marginalisation des personnes et organisations critiquées. C’est exactement ce qui est arrivé à l’ASSÉ lorsqu’elle a annoncé qu’elle boycottait le Sommet sur l’indexation ; elle s’est retrouvée marginalisée, surtout à la suite de la sortie de Martine Desjardins de la FEUQ dans les médias de masse : « L’ASSE est de plus en plus isolée, la décision de boycotter le sommet ne fait pas le consensus. […] Il y en a plusieurs qui se sont sentis floués par cette décision-là » [5]. Peut-être qu’en entrevue la porte-parole de la FEUQ avait pris la peine de nuancer son propos ; peu importe, ce qui est sorti, dans les médias de masse, était que la FEUQ se dissociait de l’ASSÉ. Il n’est jamais stratégique de critiquer ses alliés par le biais des médias de masse ; l’effet est quasi toujours une diminution du rapport de force. Rapport de force dont les fédérations avaient besoin pour contraindre le gouvernement à décréter un gel…
L’élargissement de la revendication
Une campagne stratégique est basée, en premier lieu, sur une revendication stratégique. Le gel des frais de scolarité en est une. C’est une revendication, claire, facile à comprendre, qui, une fois gagnée, a un impact immédiat sur les conditions de vie de milliers d’étudiant.es et leurs familles. C’est aussi une revendication qui ne peut pas être « interprétée », et dont le sens ne peut être détourné par un intermédiaire, ici, le gouvernement. Ce n’est pas anodin que le gouvernement, ainsi que d’autres acteurs partageant les intérêts de ce dernier, ait fait des pieds et des mains pour élargir le débat à la gestion des universités, enjeu sur lequel on pourrait discuter longuement sans jamais arriver à une analyse commune. Lorsque la revendication est floue, interprétable, noyée parmi une liste d’épicerie de revendications, les chances d’une victoire concrète diminuent drastiquement.
Le gel des frais de scolarité est une revendication stratégique pour une autre raison très importante dans le contexte actuel ; un gel provoquerait une brèche dans la logique du capitalisme. Le parti libéral, mais aussi le PQ (méthode plus « douce »), tente d’instaurer le principe de l’utilisateur-payeur pour les services publics, politique néolibérale qui tend vers la privatisation du bien commun. Un gel des frais de scolarité, dans un tel contexte, aurait renforci les autres campagnes qui se mènent depuis plusieurs années, contre la tarification en santé, contre les hausses du transport en commun et de l’électricité [6]. Et, par le fait même, aurait interféré, pour un court moment, avec la consolidation du néolibéralisme au Québec.
Bref, la revendication pour un gel des frais de scolarité était stratégique, et pendant le premier volet de la campagne, les associations étudiantes, dans leur ensemble, ont réussi à maintenir le cap. Lors du 2e volet de la campagne, cependant, les fédérations étudiantes se sont laissé entrainer sur d’autres chemins, sur d’autres sujets qui, malgré leur importance, n’étaient pas au cœur de leur campagne. L’ASSÉ, quant à elle, en insistant sur la gratuité scolaire, a contribué elle aussi à diluer le message principal de la campagne, qui, auparavant, était très clair. Malgré le fait que la gratuité scolaire est possible et désirable, ce n’est pas une revendication qui peut être gagnée dans le contexte actuel d’austérité, avec un gouvernement néolibéral à la barre ; le gel oui.
En passant, la CLASSE, au printemps dernier, avait réussi à mettre la gratuité sur la mappe, et ce, pour la première fois depuis des décennies, tout en restant collée à la revendication stratégique, pour le gel des frais. Ce fut un travail d’éducation politique exemplaire qui a sans aucun doute convaincu beaucoup de monde de la pertinence du gel et même de la gratuité. Ce type de travail, en fonction d’un objectif à long terme, est un aspect clé d’une campagne stratégique, puisqu’il sert notamment à élargir le mouvement et son rapport de force pour les luttes à venir.
La gratuité est-elle donc impossible à gagner ? Si les acteurs continuent à agir selon la logique de la revendication, dans le contexte politique actuel, la réponse à la question est « oui ». S’ils s’investissent massivement dans Québec Solidaire, qui prône la gratuité, peut-être qu’un jour la revendication sera réalité. S’ils croient, comme moi, qu’importe le parti politique à la barre, l’État continuera à légiférer en fonction des intérêts du capital, ils choisiront peut-être de continuer à contester l’ordre établi tout en se donnant des espaces parallèles d’émancipation construits sur d’autres valeurs que celles qui sous-tendent l’économie du savoir. Un monde meilleur, basé sur des valeurs comme l’entraide, la solidarité, le respect, la justice sociale, la liberté, n’émergera pas de la bonne volonté des autorités. Ce monde meilleur, nous devons le construire [7]. Comme disent les Wobblies, « en s’organisant (…), nous formons la structure de la nouvelle société à même la coquille de l’ancienne » [8].
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Il arrive un point, lorsque l’on prête moindrement attention aux médias et à leur narrative, où l’on devient complètement saturé et incapable d’en prendre plus. Peut-être est-ce le trop grand écart entre nos propres convictions et le modèle social qu’on essaie inexorablement de nous faire avaler à grand renfort de bien-pensance.
C’est un divertissement bien cynique par contre, de retourner quelques mois en arrière pour comparer les lignes éditoriales qui traitaient de la grève étudiante avec celles qui tentent de minimiser la réalité de la commission Charbonneau. Ainsi, on peut relire avec nostalgie le très intègre et pas du tout infâme épicurien de la bouse Alain Dubuc qui nous parlait alors d’un “braquage surréaliste” lorsqu’il s’agissait de faire commentaire sur les négociations entre les associations étudiantes et le gouvernement Charest (tsé un braquage, comme un vol à main armée, comme une activité criminelle violente). Aujourd’hui, il parle d’”angélisme” quand on veut faire plafonner les dons aux différents partis. Il nous dit même de manière assez candide ” la tradition voulant que les partis au pouvoir aient tendance à récompenser leurs proches ne changera pas beaucoup.” Wow, belle “tradition”, c’est ça la société que les policiers ont défendu avec vaillance en tabassant de l’étudiant dans les rues de Montréal, un patrimoine de vieux incontinents en costumes sur mesure qui s’échangent l’argent des autres avec toute la dignité d’un sac poubelle qui coule ?
Parlant de ces nobles gens, l’ingénieur Gilles Surprenant a chanté sa complainte devant la commission. Il nous a bien assuré qu’il n’était pas “un méchant” (pas comme ces manifestants qui vont subir un procès parce qu’ils éxerçaient leur droit démocratique devant des policiers qui avaient envie de frapper sur quelque chose qui ne représentait pas le moindre risque -indice : pas sur le crime organisé). Monsieur Surprenant a même confié qu’il avait perdu autour de 300 000$ au casino, une façon selon lui de redonner une partie des pots-de-vin reçus à l’État. On aurait peut-être trouvé sa démarche légèrement plus honnête s’il n’avait pas aussi courageusement vendu sa maison de 350 000$ pour la modique somme de 1$ à sa propre fille. Ça c’était l’héritage a-t’il précisé.
Des crosseurs sans âme et sans envergure, déguisés en hommes respectables, il y en a à la pelle au Québec. Le problème à mon avis, c’est que la population en général réserve son ire pour les idéalistes qui brisent une fenêtre de banque, au lieu de profiter de la brèche pour se rendre à l’intérieur du batiment constater l’ampleur de l’arnaque dont elle est réellement victime.