Édition du 17 décembre 2024

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États-Unis

La population de Chicago lutte contre le coke de pétrole

La population de Chicago lutte contre le coke de pétrole, déchet de raffinage du pétrole lourd issu des sables bitumineux de l’Alberta, qui affecte sa santé et sa qualité de vie.

Les résidents de Chicago luttent contre l’inaction politique et l’arrogance industrielle pour protéger leur santé. La poussière de coke de pétrole en provenance des amas de stockage demeure présente dans l’air et sur les surfaces malgré la nouvelle règlementation et l’industrie tente d’obtenir dérogations et délais supplémentaires.

L’arrivée au Québec du pétrole lourd en provenance des sables bitumineux de l’Alberta se traduira également en amoncellements de petcoke près des raffineries et/ou des ports. La population à proximité des installations de stockage et manutention risque fort de voir la qualité de son environnement se dégrader de façon significative avec d’importants impacts sur la santé humaine.

L’article ci-dessous présente l’état de la situation à Chicago (traduction AQLPA, la version originale est placée à la suite).

Pendant que la compagnie de petcoke cherche des délais, les résidents veulent de l’action
Par Kari Lydersen

Marcy Juarez, un travailleur en soins palliatifs vivant dans le secteur sud-est de Chicago, dit qu’elle ne peut toujours pas ouvrir ses fenêtres les jours de chaleur, en raison de la poussière noire granuleuse qui souffle à l’intérieur.

Ses enfants lui ont demandé de vendre la maison, mais elle y vit depuis 35 ans, a récemment rénové, aime la communauté et ne peut pas imaginer quitter.

Mari Barboza et sa famille sentent encore qu’ils ne peuvent pas profiter d’un barbecue à l’extérieur, depuis l’après-midi de l’été dernier où un nuage de poussière noire a contaminé la nourriture de la fête soulignant le 60e d’anniversaire de sa mère.

D’autres résidents du secteur sud-est de Chicago disent aussi que leurs maisons, voitures et meubles de patio sont encore souvent recouverts de crasse noire, comme cette femme l’a démontré en présentant une lingette souillée d’un épais résidu noir lors d’une réunion communautaire le 28 juillet.

Ils disent que leur vie continue d’être gravement affectée par les amas de coke de pétrole (petcoke) que KCBX Terminals, une filiale de Koch Industries, stocke dans la communauté, malgré les actions de KCBX pour se conformer aux règles que le département de la santé de la Ville a émises en mars.

KCBX demande maintenant des dérogations aux règles du département de la santé, et dans sa demande déposée le 9 Juin, la société a menacé de poursuivre en justice si les exemptions ne lui sont pas accordées.

Plus particulièrement, KCBX demande à la ville de permettre des amoncellements de 45 pieds de haut (13,7m), tandis que les règles actuelles limitent la hauteur à 30 pieds (9,14m). L’entreprise demande un échéancier d’au moins quatre ans, au lieu de deux ans, pour recouvrir les amas. KCBX veut aussi plus de temps pour couvrir les convoyeurs, et la permission de ne pas couvrir les huit convoyeurs dont l’élimination est déjà planifiée.

Les habitants disent que de telles demandes confirment ce qu’ils ont dit depuis le début : que les règles du département de la santé sont trop faibles, et que KCBX n’a jamais eu l’intention de s’y conformer pleinement. Ils disent que les dérogations demandées ont raffermi leur volonté pour une interdiction totale de stockage et de transport de coke de pétrole à Chicago.

Les résidents ont exprimé leurs frustration et indignation auprès du maire Rahm Emanuel, du conseiller municipal local (10th ward) Alderman John Pope, du département de la santé et de l’Agence de protection de l’environnement de l’Illinois (Illinois Environmental Protection Agency - IEPA), déclarant que les organismes de réglementation et les élus ne se sont impliqués qu’après la tempête médiatique, et ensuite, n’ont pas réussi à prendre des mesures assez fortes.

"La Ville, l’IEPA et le procureur général nous ont demandé de dénoncer les camions non couverts, la taille des amas de coke de pétrole, la présence de petcoke dans l’air les jours de vent - on nous demande de faire leur travail", a déclaré Olga Bautista, une dirigeante de la Southeast Side Coalition to Ban Petcoke. "Le processus bureaucratique n’a pas donné des règlements visant à protéger suffisamment nos familles alors nous menons cette bataille dans les rues."

Avec une série de réunions communautaires comme celle qui s’est tenue à la maison du parc Rowan lundi soir, et d’autres événements, y compris des projections mensuelles du documentaire "Koch Brothers Exposed" d’août à novembre, les résidents espèrent mobiliser davantage de soutien pour l’interdiction du coke de pétrole. Ils développent du matériel didactique sur le coke de pétrole pour les écoles locales. Ils ont également l’intention d’en faire un enjeu aux élections de la Ville en février.

"Malgré les objections de la communauté, Alderman Pope et le maire Emanuel ont imposé certaines des règles les plus faibles", a déclaré Rich Martinez Jr., qui a défié Pope lors de la dernière élection et qui est en train de réfléchir à une autre tentative en 2015. "Notre communauté reste vigilante en exigeant une complète et totale interdiction pour toute la ville."

Impacts et alliances

Martinez et sa femme ont dit que les cinq enfants du couple étaient tous asthmatiques, forcés d’utiliser des nébuliseurs à un jeune âge, et les médecins ont blâmé les facteurs environnementaux. Les résidents demandent à la ville et aux fonctionnaires de l’État de faire une étude approfondie des effets possibles du coke de pétrole sur la santé.

Le syndicat National Nurses United fait pression pour une interdiction du coke de pétrole, disant que leurs membres voient effets sur la santé de première main.

Des retraités du syndicat United Steelworkers ont également été au centre de la campagne contre le coke de pétrole. Ils parrainent les projections du documentaire " Koch Brothers Exposed". Alors que l’aciérie locale, U.S. Steel, employait autrefois 20 000 personnes, les résidents n’ont appris les effets sanitaires et environnementaux néfastes qu’après sa fermeture.

"Quand j’étais jeune, on nous disait que nous serions métallurgistes, que nous aurions des emplois", a déclaré Robert, un militant local qui n’a pas voulu décliner son nom de famille. "Maintenant, nous souffrons pour que d’autres personnes soient payées. Ce ne sont plus 20 000 qui travaillent chez US Steel. Ce sont 40 emplois [comme rapporté par KCBX] qui mettent votre santé et la santé de vos enfants à risque".

La controverse sur les amas de coke de pétrole de Chicago a éclaté l’été dernier après qu’une tempête de vent ait envoyé un nuage sombre sur le quartier, et que les photos aient circulé sur Facebook.
"C’est alors que nous avons mis les deux ensemble", a déclaré Barboza, notant qu’ils avaient vu de plus en plus de poussière noire - y compris dans la piscine familiale - depuis plusieurs années mais n’avaient pas à ce jour fait le lien entre ce phénomène et le stockage de coke de pétrole.

Alderman Pope a proposé l’interdiction du coke de pétrole, mais le conseil municipal a fini par passer une ordonnance interdisant de nouvelles installations de stockage de coke de pétrole, mais permettant à KCBX de poursuivre ses activités avec le stockage de jusqu’à 11 millions de tonnes le long de la rivière Calumet. Pendant ce temps, le département de la Santé publique de Chicago a publié ses propres règles destinées à réduire la poussière et autres impacts.

Plus grands amas et plus longtemps

Les règles disent que les amas de coke de pétrole ne peuvent pas être supérieurs à 30 pieds. KCBX demande 45 pieds. Les règles disent que tous les convoyeurs doivent être couverts dans les six mois du règlement de mars ; KCBX veut une année. Et l’entreprise veut laisser à découvert huit convoyeurs à son terminal nord, car il prévoit consolider les opérations au terminal sud. KCBX prévoit couvrir 26 convoyeurs, à un coût allant jusqu’à 1 million de dollars chacun. Vingt et un des convoyeurs sont déjà couverts.

KCBX demande également une modification limitée aux règles qui stipulent que de l’eau ou un stabilisateur chimique soit aspergé sur le coke de pétrole immédiatement après le transfert. Si la température est inférieure à 25F (-4C) et le coke de pétrole est déjà « humide », la société veut retarder l’application d’eau ou stabilisateur.

Les violations des règles de la ville sont passibles d’amendes de 1000 $ à 5000 $ (USD) par jour.

"Nous avons respecté la grande majorité des nouveaux règlements de la ville", a déclaré le porte-parole de KCBX, Jake Reint. "Nous demandons un petit nombre de modifications qui sont permises par la réglementation afin de maintenir nos obligations envers nos clients."

Il dit que la compagnie a déjà réduit la hauteur de ses amas de 60 pieds à 45 pieds de haut.

"Réduire les amas à 30 pieds ne fournit aucun bénéfice supplémentaire", dit-il. "Dans le scénario d’une limite de 30 pieds, il n’y a tout simplement pas assez de place pour que puissions continuer à répondre à nos obligations envers nos clients."

Meleah Geertsma, avocate avec le Natural Resources Defense Council (NRDC), a répliqué que la poussière soufflant des amas et la "plaie visuelle" causée par la hauteur des amas, est un problème. Mais le volume global est la vraie question, et des amas plus élevés signifient davantage de coke de pétrole dans le même emplacement, dit-elle.

"Plus de hauteur permet de stocker beaucoup plus sur le site," dit-elle. "Le problème de la poussière survient quand ils travaillent sur les amoncellements - bulldozer et déplacer les choses, lorsque le matériel est transféré. Plus il y a de volume sur le site grâce à des amas plus hauts, plus il y aura ce genre de mouvement ".

Le NRDC est membre de RE-AMP, qui publie également Midwest Energy News.

Retarder l’entrepôt

Les règles exigent aussi que les entreprises de stockage de produits en vrac recouvrent les amas dans les deux ans de la présentation de leur plan d’entrepôt. Le plan d’entrepôt de KCBX dit que la phase de conception et de planification prendra deux ans, et que la construction sera terminée deux ans après, en 2018. Le plan dit aussi que l’échéancier est sujet à changement.

"Ils n’ont pas besoin de plus de temps, ils ne font que tergiverser et espèrent retarder encore", a déclaré Peggy Salazar, directrice exécutive de Southeast Environmental Task Force. "Une fois les quatre ans écoulés, demandront-ils encore délai supplémentaire ?"

Puisque le plan d’entrepôt n’est pas une demande de dérogation, il n’est pas soumis aux commentaires du public. Le document n’est pas sur le site web de la ville et le NRDC l’a obtenu grâce à une demande d’accès à l’information.

Reint a qualifié le processus pour l’entrepot de "grande entreprise" qui impliquera le démantèlement des canons à eau que KCBX a installés dans la dernière année pour supprimer la poussière. Il a déclaré que le processus impliquera une importante phase de conception qui pourrait inclure les commentaires du public.

"Une fois la conception terminée et les permis obtenus, le projet d’entrepôt de plusieurs millions de dollars prendra environ deux ans à construire et nécessitera plus de 300 000 heures de main-d’œuvre qualifiée résultant en des centaines d’emplois de construction", a-t-il dit. "Il a fallu environ 28 mois pour compléter un projet similaire en Californie, mais avec ce dernier, il y avait des procédures établies pour le stockage couvert et il y avait moins de défis de conception et d’ingénierie."

Cause de nuisance ?

La période de commentaires du public sur les demandes de dérogation est ouverte jusqu’au 2 Septembre. Une poignée d’autres entreprises qui manipulent des matières en vrac demandent aussi des dérogations, mais KCBX est actuellement la seule société à stocker une quantité importante de coke de pétrole dans la ville de Chicago. Après le tollé général, Beemsterboer Slag Corp. a été ordonné d’enlever ses amas de coke de pétrole, car ils étaient exploités sans les permis nécessaires.

Pour justifier chaque demande de dérogation, KCBX a fait valoir que la modification ne se traduira pas en nuisance publique ou effets néfastes pour la communauté, puisque l’entreprise affirme qu’elle n’est actuellement pas à l’origine de tels problèmes. La demande cite les investissements de KCBX pour le contrôle de la poussière, y compris le système à $ 10 000 000 avec 61 canons à eau oscillants activés automatiquement par le vent pour arroser d’eau ou de stabilisateur chimique pour prévenir la poussière.

La demande de dérogation répertorie également les actions déjà entreprises pour se conformer aux règles de la ville, y compris la réduction de la vitesse des camions desservant l’installation, le lavage des camions à leur sortie et le respect d’une distance 50 pieds (15m) entre les amas et les cours d’eau. La société a également été obligée d’installer des moniteurs de poussière que KCBX dit enregistrent des niveaux de poussière à l’intérieur des normes nationales de qualité de l’air.

Mais les résidents ont déclaré lors de la réunion communautaire qu’ils sont encore assiégés de poussière de coke de pétrole.

Le 3 juin, le U.S. Environmental Protection Agency a émis un avis d’infraction à KCBX concernant les émissions de particules fines (PM10 - d’un diamètre inférieur à 10 microns) de sa propriété. La violation était basée sur les propres données de surveillance de l’air de KCBX et les tests effectués par l’EPA en avril qui reliaient la poussière dans les environs au coke de pétrole en raison de sa composition chimique.

Cause de préjudice

La demande de KCBX dit que sans dérogation, les règles du département de la santé provoqueront un "préjudice arbitraire ou déraisonnable", et que l’entreprise ne serait pas en mesure de respecter ses contrats.

Geertsma pense que cette affirmation est beaucoup trop vague. Elle a dit que KCBX devrait fournir des détails sur la façon dont les règles nuiraient à leur capacité de faire des affaires.

KCBX entrepose le coke de pétrole de la raffinerie de pétrole BP Whiting l’autre côté de la frontière, en Indiana, qui a récemment subi une expansion de près de 4 milliards de dollars pour traiter davantage de pétrole canadien des sables bitumineux, ce qui entraîne de plus grandes quantités de coke de pétrole que le pétrole conventionnel.

Les habitants disent que même si KCBX doit modifier ou annuler des contrats en raison de la réglementation, c’est ce qu’il faut pour protéger la santé publique et le bien-être.

"Leur préjudice n’est que financier", a déclaré Martinez. "Notre communauté a dû subir plusieurs épreuves, de difficultés environnementales et sanitaires ainsi qu’un manque de leadership politique ... En tant que parents nous avons le devoir et l’obligation de donner de l’espoir et un avenir pour nos enfants et les générations futures. Et nous avons l’intention de le faire ".

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