4 mars 2021 | https://brasil.elpais.com/opiniao/2021-03-03/a--19-esta-sob-o-controle-de-bolsonaro.html?fbclid=IwAR1ETGwqRtXPbJswAiABbg1YW4e4jhUIdvy1bSglNFG15ZmIROf5 | traduction David Mandel
Il est nécessaire de saisir la différence pour pouvoir faire face à la politique de mort de Bolsonaro. S’il y a une expérience semblable dans l’histoire, je n’en suis pas consciente. Au Brésil, cela ne s’est certainement jamais produit auparavant. Nous sommes soumis.e.s à une expérience, comme des cobayes humains.
La prémisse de la recherche menée par le laboratoire de perversion de Bolsonaro est celle-ci : étudier ce qui se passe lorsque, pendant une pandémie, une population est exposée au virus et que la plus haute autorité du pays diffuse de fausses informations, refuse d’adopter des normes sanitaires et de prendre d’autres mesures qui pourraient réduire la propagation.
Le résultat en pertes de vies humaines, on le connaît : le Brésil dépassera les 260,000 morts d’ici la fin de cette semaine et augmentera rapidement ses chances de devenir bientôt le pays avec le plus grand nombre de morts de la pandémie du -19. Alors que plusieurs pays du monde verront leur population entièrement vaccinée dans les mois à venir et commenceront à entrevoir la possibilité de surmonter le -19, le Brésil est confronté à une escalade.
En 2020, les États-Unis et le Royaume-Uni se sont alignés au côté du Brésil parmi les pays les moins performants face à la pandémie. Aujourd’hui, avec le démocrate Joe Biden à la présidence, les États-Unis montrent des signes de quitter bientôt cette position, et le Royaume-Uni sous le conservateur Boris Johnson donne l’exemple dans sa campagne de vaccination, le nombre de décès diminuant de jour en jour.
Le Brésil s’isole dans l’horreur du -19, en tant que contre-exemple et paria mondial. Les données de l’Organisation mondiale de la santé montrent que, si la moyenne des décès dans le monde recule d’environ 6%, au Brésil elle augmente de 11%. C’est un bilan visible. Après tout, dans ce crime il y a assez de cadavres maintenant pour peupler une ville de taille moyenne. On est a atteint une moyenne de près de 1 300 morts par jour.
Mais un autre impact de la pandémie est moins évident : c’est ce que nous découvrons de nous-mêmes, en tant que société soumise à cette violence, et ce que chacun.e découvre de lui-même, elle-même lorsque les choix de santé, au lieu d’être déterminés par l’autorité de santé publique, dépendent de la propre décision de chacune et de chacun. Cette deuxième partie de l’expérience s’est révélée assez inquiétante et pourrait saper les liens sociaux pendant des années, voire des décennies, comme cela s’est produit dans des pays soumis à la perversion de l’État dans le passé.
Continuer à alléguer l’incompétence du gouvernement Bolsonaro dans la gestion du -19 est soit un symptôme, soit de la mauvaise foi. Un symptôme parce que, pour une partie de la population, il peut-être trop effrayant d’accepter comme réalité que le président a choisi de propager le virus. L’esprit trouve donc un chemin de déni pour que l’individu ne s’effondre pas. C’est un processus similaire au kidnappé qui trouve des points d’empathie avec le ravisseur pour pouvoir survivre à l’horreur d’être à la merci absolue de la volonté d’une personne perverse.
La mauvaise foi, par contre, c’est comprendre ce qui se passe et continuer quand même à le nier, parce que cela convient à ses intérêts. Des recherches menées par la Faculté de santé publique de l’Université de São Paulo et Conectas Human Rights ont démontré que le gouvernement fédéral a mis en œuvre un plan pour la propagation du virus. Une analyse de 3049 réglementations fédérales a démontré que Bolsonaro et ses ministres avaient - et ont toujours - l’objectif d’infecter le plus grand nombre de personnes, le plus rapidement possible, en faveur de la pleine reprise des activités économiques.
Les preuves sont là, dans des documents signés par le président et certains de ses ministres. L’étude prouve ce que toute personne ayant une capacité de compréhension moyenne peut voir dans sa vie quotidienne, à partir des actions et des discours du Président. L’action délibérée de propager le virus n’est pas seulement une impression, c’est un fait. Ce qui manquait, c’était la documentation. Et aujourd’hui, c’est documenté et cette documentation est devenue la base de nouvelles demandes à la Cour pénale internationale de mise en accusation du gouvernement.
Dans une lettre publique cette semaine le Conseil national de secrétaires de santé a demandé, entre autres mesures, la déclaration d’un couvre-feu pour l’ensemble du territoire brésilien et la fermeture des bars et des plages. Les secrétaires ont affirmé que le pays traverse le pire moment de la pandémie et ont exigé « une politique nationale unifiée et cohérente ». Ils et elles ont également appelé à la suspension des cours et des événements présentiels, y compris les activités religieuses. « L’absence d’une approche nationale unifiée et cohérente a rendu difficile l’adoption et la mise en œuvre de mesures nécessaires pour la réduction des interactions sociales », ont-ils déclaré. « Nous comprenons que l’ensemble des mesures proposées ne peut être mis en œuvre par les gouverneurs et les maires que si un « Pacte national pour la vie » est établi au Brésil qui rassemble tous les gouvernements, la société civile, les représentants de l’industrie et du commerce, des grandes institutions religieuses et des institutions académiques du pays, cela par autorisation explicite et par décision législative du Congrès national ».
Cependant Bolsonarone le veut manifestement pas. Et, comme la presse l’a rapporté, ses subordonnés, dont beaucoup sont des généraux quatre-étoiles, ont averti qu’il ne le ferait pas.
Bolsonaro refuse. Parce que le comportement du gouvernement, ses actions, sont axées sur la propagation du virus. C’est l’erreur de ceux et de celles qui croient qu’il faut convaincre Bolsonaro d’adopter un pacte national pour la vie. Il exécute déjà un pacte national, mais c’est un pacte pour la mort. Et cela n’est pas une métaphore. Il a déjà fait plusieurs déclarations publiques et explicites appelant le peuple à cesser d’être des « sissies » : après tout, « la mort arrive » et « nous mourrons tous un jour et prendrons le bateau ». C’est pourquoi, même au pire moment de la pandémie, le président reste fidèle et dévoué à sa politique, encouragent les foules et ouvrant les commerces, en plus de s’attaquer à l’utilisation des masques.
A Porto Alegre l’un de ses partisans, le maire Sebastião Melo (MDB), fait écho au chef : « Contribuez à votre famille, à votre ville, à votre vie, afin que nous puissions sauver l’économie de la municipalité de Porto Alegre ». Sachez que nous sommes confrontés à un renversement complet : tout au long de l’histoire, des acteurs publics de régions et de langues les plus variées ont demandé des sacrifices économiques pour sauver des vies. Le bolsonarisme a renversé cette logique : il exige le sacrifice de la vie - des autres, bien sûr - pour sauver l’économie. Et donc le Brésil de Bolsonaro et le sacrifice de la vie, supposément au nom de l’économie, ont affiché en 2020 le pire PIB des 24 dernières années. Alors que les pays verrouillés entament déjà leur reprise économique, le Brésil est en train de dérailler.
Face à l’abondance de preuves sur la politique de propagation du virus, il est nécessaire de regarder attentivement ceux et celles qui continuent à appuyer Bolsonaro, en public ou dans les coulisses. Les raisons de la mauvaise foi sont multiples, selon l’individu et le groupe. Une partie de cette catégorie parie toujours que Bolsonaro pourra continuer à faire les « réformes » néolibérales qu’elle souhaite. Une partie de ce qu’on appelle « l’agro-industrie » mise aussi sur la destruction de l’Amazonie pour augmenter le stock du marché foncier à des fins de spéculation et pour élargir l’espace agricole. Il est pareil pour l’exploitation minière.
S’il est vrai qu’une partie de ces catégories a déjà reculé en raison du refus en Europe des produit brésiliens en réaction à la déforestation, une autre partie compte laisser Bolsonaro faire plus de mal avant de lui de retirer son soutien. Ce n’est qu’à ce moment que ces gens seront « scandalisés », en découvrant soudainement l’intention de Bolsonaro d’affaiblir la législation environnementale et d’ouvrir les terres indigènes à l’exploitation prédatrice. À un moment donné, ces créatures du marché vont retirer leur soutien par dégoût, dans des interviews réfléchies et rythmées par le jargon économique à la presse libérale. Après tout, comment ces innocents pouvaient-ils imaginer que Bolsonaro n’était pas un homme d’État, Bolsonaro le juste, homme si élégant et retenu ? Pour certains, enfin, il y a encore quelque chose à gagner de Bolsonaro et peu importe donc le nombre de morts, tant que les enterrements ne sont pas des membres de leurs familles ou de leur club restreint d’ami.e.s.
Il en va de même pour certains dirigeants du pentecôtisme et du néo-pentecôtisme évangéliques, qui croient toujours qu’ils ont encore beaucoup à gagner, même si une partie de leur base fidèle est en train de mourir de COVID-19. Le désespoir croissant les amènera d’autres client.e.s qui compenseront leur mauvaise foi. Comme il est très clair, les pasteurs du marché parient sur le maintien de leur pouvoir maintenant et lors des prochaines élections. Le système hospitalier montrant des signes d’effondrement, le gouverneur de São Paulo, João Doria (PSDB), a qualifié les services religieuses comme des « activités essentielles ». Pour plaire aux pasteurs, qui se plaignaient publiquement de leur performance, les assemblages au profit de l’église-compagnie sont autorisées.
La ferveur scientifique dont a fait preuve Doria, grâce à laquelle il s’est consolidé comme le principal opposant de Bolsonaro dans la première année de la pandémie, a été remplacée par sa nouvelle devise, annoncée lundi : « espoir, foi et prière ». Face à la pression des vendeurs de temples et à leur menace de retirer leur soutien dans le conflit présidentiel, la vie est à nouveau tirée au sort. Cela fait suite à ce qu’ils considèrent comme une priorité : l’élection présidentielle de 2022. Après tout, il restera un nombre suffisant d’électeurs, electrices d’ici là.
Et que dire des politicien.ne.s, le Centrão, qui tire le cortège des sacs d’argent et des âmes corrompus, mais qui sont loin d’être seul.e.s ? Toutes les violations de Bolsonaro ne sont pas suffisantes pour que la file d’attente de plus de 70 demandes de destitution soit opérationnelle. Après tout, ce qui compte, c’est de garantir l’impunité des parlementaires eux-mêmes et elles-mêmes, ce qui est considéré comme une urgence par ceux et celles qui ont été choisi.e.s pour représenter les intérêts d’une population qui meurt aujourd’hui de COVID-19.
Même si les faits sont connus, il faut les aligner pour comprendre qu’est la réalité : nous avons un président qui mène une politique de la mort. Ce n’est pas de l’histrionisme. Ce n’est pas une force d’expression. Ce n’est pas une hyperbole. C’est la réalité. Et beaucoup plus de Brésiliens et de Brésiliennes mourront à cause des actions de Bolsonaro.
Allons-nous nous laisser tuer ?
En 2021, la situation au Brésil face à la politique de mort de Bolsonaro est bien pire qu’en 2020. Et cela se reflète déjà dans le nombre de victimes. Compte tenu de cela, allons-nous nous laisser tuer ? Parce que c’est cela fondamentalement la question. Ce mercredi nous avons atteint le plus grand nombre de décès en une journée depuis le début de la pandémie : 1,910 personnes - 1,910 parents, mère, filles, fils, frères, sœurs, grands-parent.e.s perdu.e.s, 1 910 familles brisées. Et c’est dans un pays avec un système de santé publique, des centres de recherche respectables et une capacité enviable de vaccination de masse.
Le Congrès, qui au cours de la première année de la pandémie était important pour établir une aide d’urgence de 600 réals et pour renverser les vetos les plus monstrueux de Bolsonaro, comme le refus d’eau potable aux peuples autochtones, avec Arthur Lira (PP) ne fera rien pour empêcher les maux ni Bolsonaro lui-même. Au contraire.
Le pouvoir judiciaire, en particulier la Cour suprême fédérale, a réussi à arrêter plusieurs horreurs depuis le début de la crise sanitaire. Mais ce n’est pas suffisant pour empêcher l’horreur monstrueuse à laquelle le Brésil est confronté. Sans oublier qu’il existe un grand différend idéologique au sein du pouvoir judiciaire.
La bourgeoisie finira eventuellement par retirer son soutien si Bolsonaro fait perdre plus que gagner de l’argent aux secteurs les plus puissants de la communauté des affaires, ce qui se produit déjà dans plusieurs domaines. Mais il n’est pas possible de compter sur les élites économiques qui, si jamais il y avait de ses représentant.e.s véritablement soucieux et soucieuses du pays, aujourd’hui ils et elles se fichent clairement du peuple.
Les élites intellectuelles ont montré qu’elles aussi sont peu disposées à faire plus que protester dans leur bulle sur les réseaux sociaux. Bien sûr, il existe des exceptions dans tous les domaines, mais la crise profonde du Brésil montre que les élites brésiliennes sont encore pires qu’on ne le pensait.
Les périphéries qui revendiquent leur place centrale et légitime crient : « C’est nous pour nous ». La question, lorsque ce « nous » est élargi, est qui sommes-nous ?
La complexité du « nous » est que Bolsonaro a été élu par la majorité de ceux et celles qui sont allé.e.s aux urnes. Bolsonaro a dit exactement ce qu’il ferait. Et celui et celle qui a voté pour lui savait exactement qui il était. Et pourtant, il a gagné, ce qui en dit long sur ce « nous ». Malgré l’exécution d’une politique de mort et qui a fait du Brésil un paria dans le monde, les recherches montrent que Bolsonaro a toujours un taux d’approbation significatif. Si les élections avaient lieu aujourd’hui, il aurait une chance réelle d’être réélu. Cela parle également du « nous ».
Peut-être celui qui a le mieux exprimé le drame du « nous » est le gouverneur de Bahia, Rui Costa (PT). Interrogé en direct par TV Globo, il a pleuré. Parce qu’il est difficile de comprendre le « nous ». Et, face à « nous », l’impuissance augmente. « Il est difficile pour vous de recevoir des messages de gens qui vous demandent : « Et mon entreprise ? Et mon magasin ? » Qu’est-ce qui est le plus important : 48 heures de magasin en activité ou des vies humaines ? », a déclaré Costa. « J’aimerais ne pas prendre de telles décisions. J’aimerais que tout le monde porte des masques. Même ceux qui se considèrent comme des surhommes se considèrent jeunes. Sinon pour lui, du moins pour sa mère, son père, sa grand-mère, son parent, son voisin. Ces personnes, seules, ont décrété la fin de la pandémie. »
« Ces gens », auxquels le gouverneur se réfère, sont le « nous ». C’est le « nous » qui a rempli les plages. C’est le « nous » qui a fait le carnaval. C’est le « nous » qui organise des fêtes, obligeant les policiers à risquer leur vie pour les empêcher de continuer. C’est le « nous » qui a décidé de réunir la famille à Noël et les amis au Réveillon. Car après tout, « personne ne peut plus le supporter ». Ce « nous » finira par retirer son soutien à un moment donné, et à ce moment-là, quelqu’un pourra dire que ce nous n’est pas « nous », mais « eux », l’autre camp. J’ose dire que si la réalité était aussi simple que « nous » et « eux », Bolsonaro aurait déjà fait l’objet d’une mise en accusation et ferait déjà l’objet d’une enquête de la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité. Le « nous » est un non. Et nous devrons le dénouer pour faire face à la politique de mort de Bolsonaro.
La partie a plus perverse de l’exécution du projet de Bolsonaro est précisément de révéler le bolsonarisme même de ceux et de celles qui détestent Bolsonaro. C’est la partie la plus démoniaque de l’expérience dans laquelle nous sommes tous et toutes des cobayes. Oui, le conseil du président est de tuer et de mourir : ne portez pas de masques, ouvrez votre entreprise, allez au travail, envoyez les enfants à l’école, utilisez utilisez des médicaments non efficaces, et si vous obtenez un vaccin, vous pouvez devenir un alligator. Face à l’ensemble des règles de propagation du virus, il reste à chacun.e de prendre des décisions individuelles qui, on pourrait s’y attendre, envisagent en premier lieu le bien-être de l’autre, moins protégé.e, et le bien-être collectif, celui de l’ensemble de la société.
Lorsque lundi le gouverneur Rui Costa a pleuré, en direct, à la télévision, devant des millions de téléspectateurs, c’est à cause de son incompréhension et de son impuissance devant les gens qui l’attaquent pour avoir dû fermer son entreprise pendant 48 heures pour sauver des vies. Deux jours. Deux. Au Royaume-Uni, les magasins, gymnases, salons de beauté, cinémas, bars et restaurants, etc. sont fermés depuis novembre, et il est interdit de voir des personnes qui ne vivent pas dans la même maison, même pas dans le parc. Les Britanniques, comme la plupart des Européen.ne.s, ont passé Noël, le réveillon du Nouvel An et les vacances selon ces normes. J’utilise l’exemple du Royaume-Uni parce que Boris Johnson, le Premier ministre, n’est pas un « gauchiste », mais l’un des représentant.e.s de la culture des populistes de droite dans le monde. Et encore. Les Britanniques peuvent se plaindre, mais à l’intérieur de leurs maisons. Car ce sont les règles, et ceux et celles qui fixent les règles en cas de pandémie sont les autorités sanitaires. Arrêt complet.
Bolsonaro détermine également les règles de santé dans la pandémie. Mais, comme cela a déjà été amplement démontré, il a choisi de propager le virus. Et donc, afin de sauver sa propre vie et de ne pas mettre l’autre en danger, chacun.e doit établir ses propres règles de santé. C’est dans ce tour de vis que le « nous » se complique. Le « nous » doit alors répondre à des questions très difficiles. Nous le faisons tous et toutes. Ce que la vie quotidienne montre, c’est que, finalement et parfois même souvent, « nous » sommes aussi « eux » et « elles ».
Nous gérons très mal les limites. Il n’y a aucun problème à avoir des limites quand il n’y a rien ou peu à perdre. Mais, lorsque vous pouvez perdre quelque chose qui coûte vraiment, cela se complique. Non seulement le coût financier, mais le coût d’un projet, le coût d’un plan, le coût d’un rêve, le coût de supporter l’angoisse entre quatre murs, le coût de la solitude, le coût de ne pas passer devant la file d’attente même si les règles le permettent, mais pas l’éthique. Quoi qu’il en soit, si chacun.e regarde à l’intérieur avec honnêteté, et n’a pas besoin de le dire à personne, il ou elle sait très bien ce que cela lui coûte vraiment et préfère ne pas cesser de le faire.
La justification de « nous » pour enfreindre les règles de l’Organisation mondiale de la santé est toujours légitime parce qu’elle est censée être au nom d’un bien plus grand. Notre cerveau trouve les justifications les plus élevées pour refuser les limites qui nous obligent à perdre beaucoup. Et face à face, nous pensons que c’est l’autre qui ne comprend pas la situation ou qui est dans une position plus protégée pour prendre des décisions. Le « nous », quand il ou elle le peut, demande rarement s’il ou elle doit le faire. Le « nous » a toujours de meilleures justifications que le « ils » ou le « elles » pour faire ce que vous voulez et ce que vous pensez être important. Et c’est souvent très important. Mais attention ! Nous sommes dans une pandémie qui a déjà tué près de 260 000 personnes au Brésil et plus de 2,5 millions dans le monde. L’augmentation de la contamination signifie non seulement des décès, mais de nouvelles mutations du virus qui peuvent saper les mesures mondiales de lutte contre COVID-19, mettant toute l’humanité en danger.
Lorsqu’une décision est prise dans une pandémie, ce n’est jamais seulement notre propre vie qui est en cause. Seuls ceux et seules celles qui veulent répandre la mort, comme Bolsonaro, disent que chacun.e a le droit de faire ce qu’il ou elle veut, car il ne s’agit que d’eux-mêmes, elles-mêmes. Lorsque le président déclare qu’il ne se fera pas vacciner parce que cette décision ne concerne que lui, Bolsonaro fait cette annonce précisément parce qu’il est sûr du contraire : il sait que cette déclaration va bien au-delà de sa propre vie. Toute décision prise lors d’une pandémie aura un impact bien au-delà de la vie de quiconque. S’il est président, la plus haute autorité publique, il devient une orientation à la population.
Il est très difficile de lutter contre le gouvernement fédéral, qui a la machine d’État en main et la capacité d’amplifier ses directives à l’ensemble de la population. Il est immensément plus difficile de combattre un président de la République en pleine crise sanitaire. Au lieu de suivre des règles fédérales qui protègent tous les Brésiliens. toutes les Brésiliennes, et en particulier les plus vulnérables, des règles déterminées par l’État, nous avons dû prendre nos propres décisions en matière de santé et, en même temps, être écrasées par celles des autres.
Il y a ceux et celles qui s’en moquent. Bien sûr qu’il y en a. Mais il y en a beaucoup qui veulent prendre les meilleures décisions et croient vraiment qu’ils et elles le font. Mais ce ne sont pas des agent.e.s de santé. Ils et elles n’ont pas été formé.e s pour l’être. Ils et elles n’ont aucune obligation de l’être. C’est aussi à cette expérience que Bolsonaro a soumis les Brésilien.ne.s. Cette expérience laisse sa marque sur tout le monde et érode encore plus de relations déjà difficiles. Il ronge une société déjà assez divisée, dont les liens sont de plus en plus tendus.
En reportant la responsabilité sur l’individu, Bolsonaro nous rend pervers.es complices de son projet de mort. Lorsqu’il invoque le droit de l’individu de ne pas porter de masque et de ne pas se faire vacciner, il dit malicieusement ce qui suit : si tout le monde décide et fait ce qu’il et elle veut et que vous vous plaignez de moi, pourquoi ne décidez-vous pas de vous protéger et de protéger les autres ? Aussi simple que cela, il pouvait le dire. C’est diabolique, puisque cela fait paraître trivial, comme s’il était possible dans une pandémie que les décisions en matière de santé dépendent du choix individuel.
Et si nous décidons de combattre ceux et celles qui nous tuent ?
L’histoire nous apprend que, pendant la dictature civilo-militaire (1964-1985), seule une minorité a protesté contre le régime d’exception. La plupart des Brésilien.ne.s ont préféré faire semblant de ne pas entendre les cris des torturé.e.s, des centaines d’entre eux et elles à mort, ou des plus de 8 000 autochtones assassiné.e.s avec la forêt amazonienne. Mais tout indique que cette réaction était plus forte et plus expressive que celle dont nous sommes témoins en tant que société maintenant, face à un projet d’extermination.
Le processus de reprise de la démocratie, avec tous ses défauts, dont le plus important était l’impunité des assassins d’État, a permis de créer la Constitution avancée de 1988. C’est la soi-disant « constitution citoyenne », qui soutient toujours ce qui reste de la démocratie aujourd’hui, malgré toutes les attaques du bolsonarisme. Que pourra créer cette société faible, corrompue, individualiste et peu disposée à se regarder dans le miroir si elle n’est pas en mesure de se soulever contre des décès évitables ?
Si nous le prenons pour acquis, si nous le considérons perdu et impossible, c’est déjà un fait. Nous bâtissons le chemin vers l’abattoir. Nous nous soumettons à la politique de mort de Bolsonaro. Car crier sur les réseaux et sur WhatsApp ne désobéit à rien du tout. Ce n’est guère plus que dissiper l’énergie. C’est plus l’auto-tromperie que l’action. Pour être nous, quel que soit notre nombre dans ces nœuds, nous devons nous unir sur un objectif commun : interrompre la politique de mort de Bolsonaro.
En 2020 j’ai écrit dans ce même espace : comment un peuple habitué à mourir, (ou à accepter comme normal la mort d’autrui) pourra-t-il arrêter son propre génocide ? Cette question est aujourd’hui, près de 260 000 morts plus tard, beaucoup plus cruciale qu’auparavant. Notre seule chance est de faire ce que nous ne savons pas - être meilleur que nous et forcer le Congrès à se conformer à la Constitution et à le destituer. Et, à l’extérieur, faire pression sur les organisations internationales pour qu’elles tiennent Bolsonaro responsable de ses crimes.
Chaque jour, chacun et chacune doit se joindre à tous et toutes les autres pour ce projet commun. Et nous pourrons peut-être nous trouver encore capables de devenir « nous » , ce qui signifie être capable de constituer une communauté. La première question du matin doit être : que ferons-nous aujourd’hui pour empêcher Bolsonaro de continuer à nous tuer ? Et la dernière question doit être : qu’avons-nous fait aujourd’hui pour empêcher Bolsonaro de continuer à nous tuer ?
Quoi de plus doit se passer pour nous faire comprendre que nous sommes soumis.es à un projet d’extermination ? Nous avons d’abord vu des gens mourir en agonie à cause du du manque d’oxygène dans les hôpitaux. Ensuite nous avons regardé les scènes de personnes intubées qui, faute de sédatifs, ont dû être attachées sur des civières pour ne pas tout arracher de douleur et de désespoir. Que faut-il de plus ? Quelle est la prochaine horreur ? De quelle image avons-nous besoin pour comprendre ce que fait Bolsonaro ? Nous devons comprendre pourquoi nous nous laissons tuer, niant l’instinct primitif de défendre la vie, que possède même l’organisme le plus primaire. Mais nous devons comprendre pendant que nous agissons. Car il n’y a pas de temps. L’alternative est de continuer à regarder Bolsonaro exécuter sa politique de mort jusqu’à ce que nous ne puissions plus regarder parce que nous serons aussi morts.
Eliane Brum est écrivaine, journaliste et réalisatrice de documentaires. Auteure du Brésil, Construtor de Ruínas : um olhar sobre o país, de Lula a Bolsonaro (Archipel). Site elianebrum.com ; courriel : elianebrum.coluna@gmail.com.
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