19 février 2014
La Coalition vigilance oléoducs (CoVO), une organisation citoyenne regroupant des comités mobilisés dans la défense de l’eau potable le long de l’oléoduc 9B de la compagnie Enbridge [1], est consternée par l’annonce du gouvernement Marois d’octroyer des permis pour le forage de puits de pétrole de shale à l’île d’Anticosti dès l’été prochain.
Rappelons-nous les paroles du ministre de l’Environnement, Yves-François Blanchet, lequel disait il y a quelques mois que « …le plus grand service que l’on peut rendre aux entreprises (Junex, Pétrolia, etc.) est de rassurer la population par rapport à ce qui se passe. Si la population est rassurée, la capacité d’aller de l’avant des entreprises est évidemment plus importante » [2]. Ce gouvernement, élu il y a à peine 17 mois, avait indiqué sa volonté de faire bien les choses ; ses efforts en ce sens ont été de courte durée.
À l’île d’Anticosti, une étude environnementale stratégique devait mener à une étude de consultation du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) sur le pétrole de shale. La même chose devait se faire dans la péninsule gaspésienne avant toute activité de fracturation ; une catastrophe irréparable se produirait si la nappe phréatique devait se retrouver contaminée par les opérations de fracturation de Junex, de Pétrolia, ou de Gastem dans le cas de Ristigouche.
Nageant en pleine contradiction, le ministre Blanchet indiquait à l’automne dernier que ce sera seulement une fois que les entreprises auront terminé les travaux de fracturation sur l’île d’Anticosti que le gouvernement mandatera le BAPE pour étudier les risques de l’exploration. Le ministre a dévoilé à cette occasion son attitude de plus en plus complaisante envers le développement de l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels. Lui emboîtant le pas sans craindre, elle non plus, les incohérences, la ministre des Ressources naturelles, Mme Martine Ouellet, lançait en septembre suivant une Consultation publique portant sur les enjeux énergétiques du Québec.
La CoVO, à l’instar de nombreuses organisations et citoyenNEs, a voulu voir dans ce processus démocratique une volonté manifeste de l’État de consulter les forces vives de la population au lieu de prendre des décisions arbitraires – comme nous y avait malheureusement habitués le gouvernement précédent au cours de la dernière décennie. Mais de toute évidence, nous avons encore une fois, dans notre grande naïveté, été bernés lors de cette consultation. Pourtant, sur le portail du gouvernement, nous avions bien lu ceci : « Sur la base des commentaires recueillis, le gouvernement sera par la suite en mesure de déposer, en 2014, une toute nouvelle politique énergétique pour le Québec » [3]. Faut-il rappeler que cette consultation a consisté en :
– 47 séances publiques dans 15 régions administratives du Québec ;
– 300 auditions ;
– 460 mémoires déposés et publiés, accessibles sur le portail du gouvernement ;
– enfin, 14 pistes de réflexion afin de définir les énergies qui développeront le Québec de demain.
Les résultats de cette commission ne sont pas encore connus que nous sommes victimes d’un coup de Jarnac de notre gouvernement, qui semble fonctionner main dans la main avec l’industrie pétrolière et ce, à même les fonds publics, c’est-à-dire l’argent des travailleuses et des travailleurs (à la hauteur de 115 millions pour l’instant). Ironiquement, c’est le chef Philippe Couillard et son parti, le Parti Libéral du Québec, qui maintenant crient haro sur la manœuvre du gouvernement [4].
Et il faut rappeler que, lors des audiences publiques de l’Office national de l’énergie en octobre 2013 au Palais des Congrès de Montréal, auxquelles le gouvernement du Québec s’était pourtant enregistré à titre d’intervenant, il s’est désisté à la dernière minute, et n’a déposé aucun mémoire, le Québec baissant la tête devant le gouvernement fédéral.
C’est alors que s’est tenue, en décembre de la même année, la Commission parlementaire québécoise, improvisée en toute hâte et portant sur l’inversion de la canalisation 9B d’Enbridge. On était en droit d’attendre rien de moins qu’un BAPE générique qui aurait inclus toutes les émissions de gaz à effet de serre – tant en amont de l’oléoduc, c’est-à-dire aux installations de la compagnie Suncor, en Alberta, où on extrait des sables bitumineux le bitume qui, sous forme diluée, sera transporté par oléoduc, qu’en aval, lorsque ce pétrole sera raffiné à Pointe-aux-Trembles. La conclusion de ce rapport, rendu public 24 heures après la fin des travaux de la Commission (du jamais vu), en disait long sur la position favorables des éluEs. Ce rapport était assorti de 18 recommandations qui en réalité ne constituaient que des vœux pieux.
Enfin, ces prises de positions ambivalentes voire paradoxales de nos ministres n’ont rien de rassurant, à voir la manière dont le gouvernement actuel gère l’interprétation de la Loi sur le développement durable, ne se démarquant pas du précédent gouvernement de Jean Charest dans le dossier de la politique énergétique. L’inquiétude grandit chez les groupes de citoyenNEs, plus que jamais mobilisés, qui appellent de leurs vœux le remplacement des énergies fossiles par des énergies renouvelables.
En toile de fond, rassembler le peuple québécois sous le suaire de la Charte des valeurs n’en est que plus ironique : les citoyens des générations futures auront du pain sur la planche s’ils veulent respirer de l’air pur et boire de l’eau potable. Ils maudiront alors celles et ceux que nous sommes pour ne pas avoir su les protéger.
Jean Léger, membre de la Coalition vigilance oléoducs