Édition du 12 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Syndicalisme

La négociation des rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic (Ronde 2019-2020)

Le « cadre financier » : un plafond indépassable établi à l’avance par le Conseil du trésor ?

Dans le cadre de la présente ronde de négociation dans les secteurs public et parapublic au Québec (2019-2020), il y a eu, à l’automne 2019, la présentation des demandes syndicales (acte 1) et la présentation des offres gouvernementales (acte 2). Nous en sommes maintenant au troisième acte. Cet acte comporte des échanges, des discussions, des demandes de précisions, des palabres, des hauts cris, des ultimatums, etc. Bref, du verbal principalement et possiblement des consultations auprès des membres en vue de rejeter formellement et officiellement les offres gouvernementales et procéder, advenant une impasse dans la négociation, à l’adoption d’un plan d’action.

Parlant des négociations, peu de choses ont réellement filtré des discussions qui ont eu lieu, durant la semaine de l’Épiphanie, entre le Conseil du trésor et les organisations syndicales qui négocient cette fois-ci (à l’exception de la FIQ et de l’APTS) en rangs dispersés.

Nous avons appris en filigrane que la proposition du gouvernement de mettre sur pied trois forums de discussion en vue de bonifier l’offre salariale aux préposés aux bénéficiaires et aux professeurs ne semble pas susciter l’adhésion spontanée et unanime des porte-parole syndicaux. La présidente de la Centrale des syndicats du Québec, madame Sonia Éthier, a même déclaré à ce sujet :

« Les enseignants, les préposés aux bénéficiaires, les infirmières, le personnel de soutien, ils sont sur le terrain. Ils connaissent les problèmes ; ils connaissent les solutions. On n’a pas besoin d’un forum, on peut aller directement aux tables de négociations. »

Dans un article précédent, nous avons voulu attirer l’attention de nos lectrices et de nos lecteurs sur l’existence, du côté du gouvernement, d’un « cadre financier » en lien avec la présente négociation (voir à ce sujet l’article suivant :

https://www.pressegauche.org/Negociations-dans-les-secteurs-public-et-parapublic-au-Quebec ).

Nous soupçonnons, depuis plusieurs années, que le gouvernement du Québec aborde les négociations dans les secteurs public et parapublic avec une enveloppe monétaire établie à l’avance. Enveloppe monétaire dans laquelle doit s’inscrire le règlement salarial à convenir avec ses salariéEs syndiquéEs. Enveloppe qui s’aligne de manière stricte sur la politique anti-inflationniste de la Banque du Canada. L’auteur des présentes lignes a réalisé, depuis 1993, plusieurs entrevues avec différentes personnes qui ont été associées à ces négociations. Personnes en provenance autant du côté gouvernemental que du côté syndical.

Ici nous vous livrons une Primeur (un « Scoop » quoi)…

Un attaché politique d’un ex-ministre qui a été directement impliqué dans une des trois dernières rondes de négociations dans les secteurs public et parapublic nous a appris ce qui suit (et nous citons intégralement le contenu du courriel qu’il nous a acheminé) :

« Je vous informe cependant que le cadre financier à moyen terme prévoit une augmentation de la rémunération globale se chiffrant à 2 % par année. Il est impératif que les négociations s’effectuent à l’intérieur de ce cadre. »

L’offre salariale du gouvernement du Québec à l’attention de ses salariéEs syndiquéEs prévoit, en ce moment, une augmentation de 7 % sur 5 ans. Si on ajoute à ce 7 % les divers ajustements déjà annoncés, l’offre présentée par le Conseil du trésor à la partie syndicale s’élève à 9 %. La marge de manœuvre dont parlait monsieur Dubé, lors de sa conférence de presse du 12 décembre 2019, se situerait à un infime 1 % à distribuer ici et là.

Commentaire conclusif

L’auteur du présent texte considère que l’information selon laquelle la rémunération globale des salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic comme ne devant pas dépasser, selon le Conseil du trésor, 2 % par année, doit être réputée fiable et crédible. À mes yeux, tout règlement qui n’irait pas au-delà de 6 % sur trois ans ou de 10 % sur cinq ans correspondrait à un règlement qui s’inscrirait et respecterait scrupuleusement les balises restrictives établies au préalable par le gouvernement. Il ne saurait donc y avoir victoire syndicale uniquement si les directions syndicales parviennent à pulvériser les rachitiques pourcentages de 6 % sur trois ans ou de 10 % sur cinq ans. Autrement, ce sera la position du gouvernement qui serait susceptible d’être déclarée gagnante, comme cela a été le cas depuis à peu près le début des années 1990 (de 1993 à 1999 et de 2002 à aujourd’hui pour être plus précis). Depuis la ronde de négociation de 1993 (à l’exception de la ronde de 1999), ce que nous observons dans les secteurs public et parapublic c’est soit l’adoption d’une loi spéciale, soit la conclusion d’une entente de principe qui s’inscrit dans le cadre restrictif d’une politique antisociale de la Banque du Canada. Cette politique donne la priorité à la lutte à l’inflation. Ce qui se traduit concrètement par des augmentations de salaire qui ne dépassent pas 2% par année pour les salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic. Ce plafonnement de l’augmentation de la rémunération à 2 % par année a pour effet d’empêcher une redistribution plus équitable de la richesse au Québec. Que dire des personnes qui ont la responsabilité de définir (la plupart du temps derrière des portes closes, épaisses et capitonnées) les paramètres des augmentations monétaires des salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic au Québec ? Nous soumettons l’hypothèse que nous sommes ici en présence de promoteurs zélés et ultra-orthodoxes d’une politique monétaire inspirée du néo-libéralisme. C’est cette politique monétaire qui a pour effet de perpétuer et de maintenir les insupportables écarts entre les salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic avec les salariéEs de plusieurs autres secteurs (secteur privé syndiqué, secteur fédéral et secteur municipal).

La marche à franchir, à l’occasion de la présente ronde de négociation, est certes haute, mais il importe, cette fois-ci, que les augmentations monétaires qui seront négociées aillent au-delà du 2% par année. Pourquoi ? D’abord et avant tout parce que, dans une société comme la nôtre, le travail ça se paie et il n’y a plus aucune raison pour maintenir ou perpétuer les écarts dans la rémunération entre les employéEs de la fonction publique fédérale, les employéEs des municipalités, les salariéEs syndiquéEs de certaines sociétés d’État avec ce qui est versé comme rémunération dans les secteurs public et parapublic au Québec. Ensuite, parce que les surplus ne doivent pas uniquement servir à la réalisation de certaines promesses électorales d’un parti politique qui a pour horizon, non pas la suppression des grandes injustices dans notre société, mais plus platement la réalisation d’un calendrier politique qui vise, après quatre années au pouvoir, sa réélection. Il ne faut pas se gêner pour lui rappeler ce fait et il faut lui dire aussi que les surplus milliardaires disponibles sont là parce que les salariéEs syndiquéEs sont sous-rémunéréEs.

Dans le cadre de la présente ronde de négociation ce que les dirigeantEs syndicaux doivent parvenir à réaliser consiste en ceci : elles et ils doivent être capables de faire comprendre à l’État employeur négociateur que les salariées syndiquées des secteurs public et parapublic ne doivent plus être tenuEs d’accepter des salaires et des conditions de travail qui ne supportent pas la comparaison parce que trop faibles et qui ne sont pas à la hauteur de la valeur réelle de la prestation de travail fournie. Si la société a besoin de certains services publics et parapublics et exige que ces services soient dispensés, les citoyennes et les citoyens doivent assumer pleinement en retour ce qu’il en coûte pour offrir des salaires justes et équitables aux personnes qui vont œuvrer ou qui œuvrent dans les services publics et parapublics. Il est à tout le moins aberrant d’avoir à constater, année après année, que certainEs salariéEs syndiquéEs subventionnent les services public et parapublic parce qu’on leur impose des salaires nettement inférieurs à ce qui est versé ailleurs pour des emplois comparables.

La détermination de la rémunération des salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic ne doit pas reposer sur un facteur correspondant à un rigide et banal 2% par année. Cette rémunération doit être établie à partir d’études qui prennent en compte les taux de rémunération des personnes salariéEs qui accomplissent des tâches similaires et comparables dans d’autres domaines d’activités, tant dans le secteur privé que dans les autres secteurs publics. C’est ainsi que l’auteur de ce que vous venez de lire envisage une entente à venir sur la rémunération des salariéEs syndiquéEs dans les secteurs public et parapublic au Québec.

Alors, de quoi sera fait le troisième acte de la présente ronde de négociations dans les secteurs public et parapublic ? Des palabres futiles ou de véritables discussions rationnelles ? C’est à suivre…

Yvan Perrier

16 janvier 2020
Zone contenant les pièces jointes

lien vers autre article
https://www.pressegauche.org/La-negociation-des-rapports-collectifs-de-travail-dans-les-secteurs-public-et

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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