Tiré de Entre les lignes et les mots
Publié le 14 octobre 2021
Reece Thompson a fracassé la mâchoire de sa maîtresse, Danielle Thomas, avec une barre de fer ; il lui a brisé un miroir sur la tête et, pendant un calvaire de trois jours, lui a fait lécher de la peinture renversée. Il a été condamné à 40 mois de prison pour coups et blessures volontaires et à une interdiction d’approcher d’elle pendant dix ans. Dès sa première sortie de taule, il a plaisanté sur Twitter au sujet de l’agression de Danielle Thomas et a été réincarcéré. À sa deuxième libération, il a été engagé par le club de foot Selby Town FC.
Ce club aurait-il accordé aussi allègrement une « seconde chance » à un ancien jeune joueur de 26 ans si ces infractions avaient été motivées par le racisme ou par l’homophobie ? Je parie que ses chances auraient été minces. (Et à juste titre.) Les infractions de Thompson auraient le poids supplémentaire d’être des crimes de haine. Mais les faire subir à une femme ? Eh bien, c’est une affaire assez banale. Ce n’est qu’après un tollé monumental que les patrons du club ont changé d’avis et retiré leur offre.
La Commission juridique britannique, dans une consultation lancée cette semaine, propose que la misogynie devienne également un crime de haine. Elle suggère que le sexe/genre (les deux mots étant utilisés de manière interchangeable de nos jours) soit ajouté aux caractéristiques protégées que sont la race, la religion, le fait d’être transgenre, l’orientation sexuelle et le handicap. Avant que des ouvriers de la construction ne se fassent engueuler pour leurs sifflets – cela n’arrivera pas -, prenons du recul et demandons-nous pourquoi la misogynie a été omise de cette liste pendant aussi longtemps.
Chaque année, au Parlement britannique, Jess Phillips lit les noms des femmes tuées par un ex ou actuel partenaire masculin : toutes ces Jessicas, Yasmins et Enids étranglées, poignardées ou matraquées par des hommes qu’elles aimaient autrefois. Une femme tous les deux jours : environ 150 par an. Le nombre ne diminue jamais. Cette sombre récitation devrait être un appel aux armes, mais elle est devenue un appel prévisible. Des hommes tuent leurs femmes et leurs maîtresses dans le monde entier. C’est triste mais normal. Que peut-on y faire ?
Cette liste annuelle n’existe au Royaume-Uni que parce qu’il y a dix ans, la militante contre la violence domestique Karen Ingala Smith, furieuse que les féminicides disparaissent dans les statistiques générales, a commencé à les compter. (On le fait aux Québec depuis 1993.) Et si ces meurtres étaient officiellement classés comme des crimes de haine misogyne, au même titre que les agressions sexuelles, les viols et les violences domestiques ? Il serait peut-être instructif pour la société que cette stupéfiante tour de misogynie – 1,6 million de femmes subissant des violences conjugales rien qu’en 2019 – soit bien visible ? Et avant que quelqu’un ne glapisse que « des femmes le font aussi » rappelons que les hommes commettent 98% des infractions sexuelles et 90% de tous les crimes violents.
Comme l’a fait remarquer l’écrivaine JK Rowling à propos de son propre vécu de violence conjugale, « le traumatisme féminin est un « bruit de fond » ». Il se classe bien après le racisme ou la transphobie comme l’abus le moins significatif. Mais pour l’avoir dit, JK Rowling a été soumise à la misogynie la plus soutenue depuis l’apparition des médias sociaux. Le fait que les menaces de viol qui lui étaient adressées n’ont même pas été supprimées par Twitter n’a fait qu’amplifier son propos.
La misogynie est la mer dans laquelle nagent les femmes : ce sont les mains qui tâtonnent dans le métro, les blagues de viol des humoristes cotés comme Jimmy Carr, les propos dégoûtants subis par toutes les femmes parlementaires, de Diane Abbott à Theresa May. Il est le fait d’hommes hétérosexuels et homosexuels, de toutes les générations, de la gauche comme de la droite. Ils sont si répandus que les femmes les ignorent souvent en haussant les épaules. Une chose aussi « naturelle », aussi universelle, peut-elle vraiment être mauvaise ?
Venons-en donc aux ouvriers et à leurs sifflets. Ils s’en sortiront. La misogynie ne s’appliquerait qu’aux crimes existants, ce que les lazzis ne sont pas, bien que les entrepreneurs les découragent de toute façon dans les codes de conduite modernes. Au contraire, la police de Nottingham, l’une des sept forces participant à un projet pilote, a plutôt classé les crimes de haine misogyne comme étant ceux « visant les femmes par des hommes simplement parce qu’elles sont des femmes ». Il s’agit notamment du harcèlement criminel, du harcèlement sexuel et des images filmées sous des jupons.
Les chercheurs qui ont analysé les données ce sujet ont constaté que les agents prenaient plus au sérieux les infractions ayant une dimension haineuse et que les victimes étaient plus susceptibles de porter plainte. Cela a souvent permis aux femmes de parler d’autres crimes qu’elles n’avaient pas envisagé de signaler auparavant.
« La misogynie », dit Helen Voce, du Centre des femmes de Nottingham, « est le terreau dans lequel se développe la violence contre les femmes ». Les femmes sont rarement tuées dans des attaques ponctuelles de « perte de contrôle », mais après une lente escalade allant de remarques publiques dégradantes au harcèlement et au contrôle coercitif. Si les premiers abus de faible niveau sont classés dans la catégorie de la misogynie, la police sera mieux à même de déceler un schéma et de mettre les femmes hors de danger.
La misogynie est un indicateur fiable d’autres crimes graves. Les terroristes, de Khalid Masood, l’agresseur du pont de Westminster, à Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, qui a lancé un camion-bélier sur la Promenade des Anglais à Nice, ont d’abord été des auteurs de violences conjugales. Comme l’a noté Nazir Afzal, un ancien procureur général de la Couronne « La première victime d’un extrémiste… est son épouse dans son propre foyer. »
Le principal obstacle à ce que cela devienne un crime de haine est la façon dont il sera défini alors qu’il n’y a pas de définition légale de l’« hostilité » – le Service britannique de la Couronne adoptant les définitions du dictionnaire ; par exemple, préjugé, antipathie, méchanceté. Si lancer à quelqu’un une épithète raciale pour vous avoir coupé à un feu rouge est un « incident de haine », que dire de crier qu’une femme est une « sale pute » ?
La principale préoccupation des avocats dans le domaine de la violence à l’égard des femmes est que la sanction d’agressions de faible intensité fournira à la police des « victoires faciles » et se fera au détriment d’enquêtes sérieuses. D’autant plus que les condamnations et les poursuites pour viol en Angleterre et au Pays de Galles sont tombées à un plancher record.
Jusqu’à récemment, je me serais opposée à ce que la misogynie devienne un crime de haine, au motif qu’il y en a trop. La police aurait-elle le temps de faire autre chose ? Mais regardez la vie de l’une de ces 150 femmes mortes, lisez les incidents non signalés qui ont annoncé leur mort. Puis dites-moi : si faire lécher de la peinture à votre petite amie meurtrie et en sang n’est pas un crime de haine, qu’est-ce qui l’est ?
Janice Turner
Version originale : https://www.thetimes.co.uk/article/misogyny-is-much-more-than-a-wolf-whistle-378scc9x5
Traduction : TRADFEM
De l’autrice : Donner des bloqueurs de puberté à des enfants dits « trans » équivaut à un saut dans l’inconnu :
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