Édition du 19 novembre 2024

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Laïcité

La laïcité comme rempart à l'extrémisme religieux ?

La laïcité à la française qui sert de référence à beaucoup de ses défenseurs ici, n’est plus celle que la loi de 1905 stipulait. Au cours des trente dernières années son sens a été largement modifié, les débats et les pratiques ont changé graduellement. La loi de 1905 introduisait une amélioration sensible des libertés, la laïcité à laquelle on se réfère maintenant est assise sur les restrictions et les interdits en matière religieuse. Pour Jean Baubérot : « …c’est une laïcité de liberté et de raison qui s’est politiquement imposée en 1905 (…) qui augmente la liberté de conscience, le libre exercice des cultes et la possibilité de ses manifestations extérieures sur la voie publique. Les religions font partie de la société civile, lieu de liberté(…) (dont) la liberté de conscience (…) émerge pleinement, (…) avec la loi de 1905 (…) la liberté de manifester sa croyance par des actes extérieurs qui s’inscrivent dans le libre exercice des cultes » [1]

Le détournement de ce sens premier s’est fait au cours des années. La laïcité a été sacralisée et a servi d’instrument à l’imposition de règles notamment vestimentaires et à la répression physique ou symbolique de comportements et de positions jugées contradictoires avec cette conception de la laïcité. En son nom, on veut imposer : « des comportements conformes à une société profondément sécularisée. Cela fait glisser la laïcité vers un système autoritaire et peu démocratique » [2] .

Glissement vers l’identité,

Dans le chapitre trois de son étude, Jean Baubérot démontre que la droite politique française s’est emparé de cet enjeu pour l’amener sur le terrain de l’identité nationale et que les institutions chargées d’y réfléchir et de l’articuler sont allées dans ces sens en les renforçant. Les origines chrétiennes de la France sont mises en exergue ce qui finit par insinuer que toute autre origine religieuse est incompatible avec la citoyenneté. Ici, les musulmans sont directement visés. Cet amalgame a durci encore un peu plus les aspects coercitifs et non démocratiques de la laïcité « à la Française ».

On peut penser, sans trop se tromper, qu’une partie de l’opinion québécoise est largement influencée par cette évolution française. En 2002, lors d’un colloque du Centre justice et foi portant sur la laïcité, le professeur Louis Rousseau soulignait le rapport singulier qu’entretient le Québec avec le religieux, selon lui. Il y voyait une évidente ambivalence envers le religieux qui finit par polluer le débat sur la laïcité. Selon lui, nous étions en train de l’insérer dans notre patrimoine qui n’est pourtant qu’un stock de mémoires qui trie dans la mémoire commune, prend et rejette. Lors de ce même colloque, Micheline Labelle soulignait qu’effectivement il y avait un rapport entre le débat sur la laïcité et celui sur l’identité nationale, ici comme ailleurs. Elle observait qu’un passage intellectuel était en train de s’effectuer de la question nationale vers la notion d’identité nationale.

Ce que nous entendons dans les discours actuels du PQ et de leurs supporters va dans ce sens. Il semble bien que l’appartenance religieuse en arrive à servir de marqueur social et politique. Où donc est la notion de citoyenneté basée sur la présence sur le sol que le PQ a si longtemps défendue et qui avait suscité une large adhésion dans la population ? Est-ce qu’on nous ramènerait à l’identité ethno-religieuse d’avant les années soixante ? Quel recul ! Quel rétrécissement de nos ambitions et quelle rupture avec le progrès social réalisé depuis ce temps ! Ce retour à l’identité ethnoreligieuse, dans la conjoncture mondiale actuelle, ne peut que rendre le projet indépendantiste encore plus difficile à rendre à son terme. Comment rallier des populations que nous aurons traitées comme des citoyens-nes de seconde zone à cause de leurs origines et de leur appartenance religieuse ? Une fois la suspicion installée il faut un travail monstre et bien du temps pour l’éradiquer.

Pour réaliser ce projet, l’adhésion de la majorité de toute la population du territoire est nécessaire. Nous avons eu cette leçon en 1995. Les garanties quant aux libertés personnelles dont celle de la liberté de religion et d’exercice des cultes sont aussi importantes que toutes les réassurances économiques qui dominent le débat depuis plusieurs années. Et qui ont tendance à s’imposer avec la candidature de P.K. Péladeau dans la course à la chefferie du P.Q.

Quel rempart ?

L’État du Québec doit affirmer légalement sa neutralité religieuse. Mais la sécularisation du gouvernement et des institutions est tellement solide maintenant que l’opération ne devrait pas être si difficile à compléter. Ici, la proposition de Mme Houda-Pépin est tout-à-fait recevable et suffisante : rendre explicite dans la Charte des droits et libertés ce qui y est implicite.

Il s’agit bien de la neutralité de l’État pas de la négation des appartenances religieuses de tous ceux et de toutes celles qui y travaillent. Ce qui dans notre contexte n’est pas réalisable de toutes façons. Que faire entre la médecin voilée et l’infirmière qui l’est également ? La première n’est pas employée de l’institution ni du gouvernement, c’est une travailleuse autonome. L’autre l’est….? Cherchez l’erreur ! Seuls-es les représentants-es de l’autorité de l’État devraient être tenus de se présenter dans la plus stricte neutralité. Cela inclut les élus-es de l’Assemblée nationale et la présentation physique des locaux du gouvernement au premier chef le Salon Bleu. Le crucifix doit en être retiré !

Mais cette affirmation de la laïcité ne jouera pas le rôle de rempart contre la violence perpétrée au nom des religions : intimidation et assassinats de membres de cliniques d’avortement par des chrétiens-nes extrémistes, attaques armées contre des policiers, des installations publiques et même, comme en France contre des personnes qui utilisent leur droit de parole et le droit de la presse très ouvertement. Les actes sont de nature politique. Ils sont perpétrés au nom d’une religion ou d’une autre mais ce n’est là que prétexte employé pour créer un écran de fumée et confondre les populations et bien sûr pour semer la terreur. Lorsque nous tentons de leur répondre par des arguments liés au religieux, nous faisons leur jeu. Nous ne les combattons pas. « Lorsque les Occidentaux commencent à parler de l’Islam comme d’une religion intrinsèquement et uniquement violente, fondamentalement différente des autres religions, ils tombent dans le piège que les fondamentalistes leur ont dédié. Ne disent-ils pas à leurs partisans que les Musulmans ne sont détestés et persécutés que par nous, Occidentaux » [3] .

Le projet politique est pourtant clair : quelle que soit la religion de ces fondamentalistes ils veulent dominer des populations, leur imposer des modes de vies, des comportements et des statuts personnels via un pouvoir antidémocratique, théocratique.

Nous pouvons les combattre. Ici, comme ailleurs en Occident, nous avons les instruments juridiques nécessaires pour contrer la criminalité que leur projet nourrit. Pas besoin d’en ajouter comme le gouvernement Harper est en train de le faire. Si nos libertés individuelles sont mises à mal, les terroristes auront gagné une manche encore une fois. Dans ce pays où la sécurité publique est de responsabilité fédérale il est inquiétant de voir M. Couillard vouloir s’en emparer.

Quant aux stratégies internationales, elles ont le vilain défaut de donner de la crédibilité au discours du groupe armé « État islamique » à propos du projet de domination occidental sur les pays et populations du Proche-Orient et d’Afrique du nord et sub-saharienne.

Pour nécessaire qu’elle soit, la laïcité à elle seule ne viendra pas à bout de la contradiction dans laquelle nous sommes entrés-es. La réaffirmation solennelle de la liberté de religion et d’exercice des cultes est nécessaire mais la lutte contre les préjugés doit être entreprise immédiatement. Ceux et celles qui se sont installés-es chez-nous venant d’autres cultures nous le demandent et font déjà un travail rude et lourd pour casser nos barrières. Nous nous vantons de notre ouverture mais il faut bien constater qu’elle a de graves limites qu’il faut impérativement dépasser.

Les luttes sociales,

C’est sur ce terrain qu’il faut investir nos énergies. Car le virage ethno religieux cache les conditions communes qui sont faites aux catégories laborieuses et populaires de la population. Le déplacement du débat vers les caractéristiques culturelles et religieuses sert à masquer les causes communes qui existent. Quelle que soit sa culture et sa religion, un chômeur ou une chômeuse sont dans le même bateau de la gestion capitaliste dans laquelle nous vivons. Il arrive même que certaines origines soient justement utilisées pour brimer le droit au travail notamment.

Nous devons nous retrouver tous et toutes dans la lutte contre l’austérité, contre les coupures qui nous sont infligées dans tous les services que ce soit l’éducation, la santé, la culture, l’accès au logement abordable ou social et pour l’égalité homme-femme.

Partout où nous nous retrouvons, il nous faut créer des alliances pour mener les batailles nécessaires chaque fois que c’est possible. Il faut le faire sans arrières pensées, en maîtrisant nos craintes réciproques, avec vigilance quand aux objectifs poursuivis.

Heureusement, déjà dans les syndicats, les organismes communautaires la diversité est présente, active, engagée même si tout n’est pas facile tous les jours. C’est cet axe qu’il faut poursuivre : éviter de nous concentrer sur nos différences et mettre au premier plan tout ce qui nous unit.


[1Isabelle Agier-Cabannes : La laïcité, exception libérale dans le modèle français. In Cosmopolitiques, no16,

[2Baubérot, op. cit.

[3Andrew O’Hehir, Why the Charlie Hebdo Attack Goes Far Beyond Religion and Free Speech, salon.com, 10-01-15 Ma traduction.

Alexandra Cyr

Retraitée. Ex-intervenante sociale principalement en milieu hospitalier et psychiatrie. Ex-militante syndicale, (CSN). Ex militante M.L. Actuellement : membre de Q.S., des Amis du Monde diplomatique (groupe de Montréal), animatrice avec Lire et faire lire, participante à l’établissement d’une coop. d’habitation inter-générationnelle dans Rosemont-Petite-Patrie à Montréal. Membre de la Banque d’échange communautaire de services (BECS) à Montréal.

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