Pour la financer, nous dit-il, il ne s’agirait finalement que de remettre en vigueur la taxe sur le capital dans le secteur bancaire, abolie par les libéraux entre 2007 et 2011. Qu’on se comprenne bien, il limite le retour de cette taxe à un secteur d’activité, où les entreprises jouissent d’un pouvoir oligopolistique parce qu’elles sont protégées de la concurrence étrangère. En ce sens, la taxe sur le capital des banques serait un moyen tout à fait approprié pour l’État québécois de s’accaparer une partie de la rente oligopolistique du secteur. Selon M. Parizeau, cette seule mesure permettrait d’aller chercher des revenus de 600 millions $. Bingo, c’est à peu de chose près le coût de la mise en place d’une mesure de gratuité scolaire de l’enseignement supérieur.
Par contre, dans la même entrevue il nous explique pourquoi il ne croît pas à ce que cela se fasse avec le gouvernement actuel : « Le déficit zéro bousille tout. À partir du moment où vous fixez l’objectif zéro pour une date butoir et que ça devient une religion, vous cessez de réfléchir. On coupe partout, on ne se pose pas de questions ». L’obsession du déficit zéro, l’absolue nécessité de boucler chaque année financière sans le moindre déficit, avec en plus le manque total de volonté de réformer la fiscalité pour la rendre plus équitable, rendent tout à fait impossible une politique québécoise de gratuité scolaire, du primaire au doctorat ! Mais ce n’est pas seulement une telle mesure progressiste que cela rend caduque : la politique de rigueur aveugle de ce gouvernement rend totalement illusoire son projet progressiste, le ramenant à un simple discours démagogique, à une rhétorique vide de sens.
L’argumentation de Jacques Parizeau est juste lorsqu’il explique la politique de l’accès à l’éducation mise en place pendant la révolution tranquille. « Pendant plus de 20 ans, la société québécoise a fonctionné sur la base d’une gratuité scolaire qui, éventuellement, devait venir quand les frais de scolarité ne devaient plus représenter grand-chose, à cause de l’inflation. Que des jeunes d’aujourd’hui veuillent discuter de ça, eh bien, il y a toute une génération qui a pensé la même chose. Ils ne sont pas hors-norme, ils ne sont pas hors d’ordre. » À l’époque tout était possible. C’était, partout dans le monde, le temps de la construction des institutions de l’État providence avec en parallèle la croissance rapide du PIB et des revenus fiscaux. Or, depuis 20-30 ans, c’est la tendance inverse qui s’est produite : non seulement le PIB ne croît plus à la même vitesse, mais, les uns après les autres, les gouvernements ont baissé les impôts des entreprises et des plus riches, faisant de plus en plus supporter le fardeau fiscal par la classe moyenne. Peut-être sommes-nous à la veille d’un nouveau mouvement pendulaire, vers le retour à une fiscalité plus équitable. Plusieurs signes l’indiquent. Mais ce n’est pas demain la veille que ça va se faire. Entretemps, le « cochon de payeur de taxe » qui sommeille chez plusieurs de nos concitoyens remonte facilement à la surface lorsqu’on propose de piger dans sa besace. À ce propos, je ne crois pas que les revendications et la stratégie de lutte des éléments les plus radicaux du mouvement étudiant ait eu un quelconque effet de « conscientisation » de ces concitoyens. Au contraire, c’est plutôt le cochon de payeur de taxe qu’ils ont réveillé.
Dans ce contexte, même la mesure du gel m’apparaît illusoire. Puisqu’elle ne s’inscrit pas dans un nouveau contrat social avec la majorité de la population, qui stipulerait clairement que le coût de la poursuite du gel serait assumé par des mesures fiscales justes et équitables, cette mesure ne durera que le temps d’un mandat péquiste. Avec un simple gel des droits, dès que les Libéraux vont revenir au pouvoir, ils vont de nouveau frapper les étudiants d’une hausse abusive des droits. En ce sens, une indexation des droits, mesure qui va chercher un vaste appui dans la population, rendrait au moins à toute fin pratique impossible une hausse de ces droits avec le retour prévisible au pouvoir du PLQ.
Reste que le conservatisme fiscal du PQ est d’une bêtise sans borne : il peut, a priori (ce qui n’est même pas certain), mener à améliorer les finances publiques du Québec, mais au prix de l’échec de son projet (progressiste et indépendantiste), redonnant ainsi sur un plat d’argent des finances publiques plus saines à un gouvernement du PLQ qui s’empressera de les dilapider par la corruption et la baisse des impôts des plus riches !