Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/09/19/la-gauche-et-la-catastrophe-climatique-un-simple-alibi-des-gouvernants/
Avec l’inévitable conséquence qu’il ne leur reste que subir ce changement climatique avec fatalisme, limitant l’échange d’arguments et d’accusations aux habituels … égouts fluviaux qui ne sont pas nettoyés, aux infrastructures qui ne sont pas entretenues et à l’insensibilité de ceux qui détiennent le pouvoir, lesquels s’en foutent systématiquement des pauvres gens martyrisés.
Bien sûr, tout serait totalement different et Mitsotakis ne sortirait pas presque indemne de cette nouvelle catastrophe naturelle si la gauche avançait l’argumentation suivante : le changement climatique que Mitsotakis invoque non seulement ne l’aide pas à échapper à ses responsabilités, mais les aggrave terriblement. En effet, tous les faits qui lui sont déjà reprochés à juste titre ne sont que des délits, comparés au véritable crime qu’il commet lorsque non seulement il ne fait rien contre la crise climatique, mais qu’il ne cesse de l’aggraver par ses politiques. Et ce, de concert et en pleine coopération avec ses amis capitalistes du monde entier ! Tous ceux et leur système capitaliste qui ont créé et ne cessent d’exacerber la crise climatique, au point qu’elle est désormais la plus grande menace à laquelle l’espèce humaine ait dû faire face dans toute son histoire !
Mais même en disant tout cela, une organisation, un mouvement, un parti ne serait pas de gauche – et encore moins radical – s’il ne joignait pas des actes à ses paroles, ses propres propositions à sa critique, pour démontrer de manière tangible que son opposition à la catastrophe climatique n’est pas un vain mot sans portée pratique. Comme, par exemple, et c’est là un premier devoir élémentaire parmi bien d’autres, en prônant ouvertement l’abandon immédiat et l’interdiction de toute recherche de gisements d’hydrocarbures dans le pays. Et en luttant pour cela en mobilisant les citoyens, en créant les mouvements contre les combustibles fossiles ou en participant activement à ceux qui existent déjà en Grèce et dans le monde.
Cependant, la chose la plus importante – et si cruciale pour notre avenir – qu’un collectif de gauche devrait faire aujourd’hui est d’une autre nature, qualitativement différente : Convaincre au moins une grande partie de la population, et en particulier les salariés.es et les opprimés.es, que là où nous en sommes arrivés – non plus à la catastrophe climatique galopante, mais à la catastrophe climatique désormais déchaînée -, même les plus correctes et les plus radicales des mesures proposées en 1990, en 2010 ou même… l’année dernière, sont complètement inadéquates, dépassées ! Désormais, la seule réponse réaliste et efficace à la crise climatique « doit être radicale, c’est-à-dire s’attaquer aux racines du problème : le système capitaliste, sa dynamique d’exploitation et d’extractivisme, et sa recherche aveugle et obsessionnelle de la croissance » [1], ce qui implique qu’il est impossible de s’attaquer à la catastrophe climatique sans changer radicalement à la fois notre mode de produire et de consommer. En d’autres termes, il n’y aura pas de salut si nous ne changeons pas radicalement la vie et l’organisation de la vie humaine telle que nous l’avons connue jusqu’à présent. Et cela partout dans notre monde, mais cela ne nous dispense pas de commencer par notre propre pays !
Si nous ne faisons pas tout cela, c’est-à-dire si nous continuons à ignorer les conclusions et les avertissements sur le climat du GIEC et, surtout, ceux du mouvement écologique radical international, mais aussi la réalité de plus en plus cauchemardesque, alors les conséquences seront désastreuses pour la gauche elle-même et le peu de crédibilité qui lui reste. Premier exemple (parmi tant d’autres) : sur quelle base devraient être planifiés les grands travaux de prévention et de protection contre les risques d’inondation défendus par la gauche dans son ensemble, si la crise climatique et les études scientifiques pertinentes (par exemple celles du GIEC) sur sa prochaine évolution et intensité ne sont pas prises en compte ? Si cette crise climatique n’est que l’« alibi » de Mitsotakis, la conclusion logique devrait être que la conception de ces mesures doit être basée sur les données et modèles existants – complètement dépassés et donc complètement inutiles – comme par exemple l’a d’ailleurs constamment proposé le PC grec.
Deuxième exemple : Sur la base de quelles prévisions, sinon de celles résultant de l’étude scientifique de la crise climatique, devrait s’organiser le mouvement antiraciste – et même toute la gauche – pour se préparer à affronter la question très épineuse des millions de « réfugiés climatiques » nord-africains qui vont prochainement traverser la Méditerranée, provoquant inévitablement d’énormes bouleversements dans les actuels équilibres politiques et sociaux ? Déjà, selon l’ONU, il y a 884 000 survivants de la monstrueuse catastrophe provoquée par l’ouragan méditerranéen Daniel en Libye, dont beaucoup chercheront naturellement refuge sur les rives européennes de la Méditerranée. C’est-à-dire, en toute priorité en Grèce qui, pour ceux qui ne l’auraient pas encore compris, est située juste en face de la Libye ! Et de toute évidence, il y aura bientôt, peut-être dans quelques mois, autant, voire plus de « réfugiés climatiques », y compris des citoyens grecs de cette Thessalie frappée très durement par ce même ouragan Daniel (plus de 830 mm de pluie en 46 heures et plus de 1085 mm en trois jours), car on sait désormais que non seulement la fréquence, mais aussi l’intensité de ce que l’on appelle « événements climatiques extrêmes » est en train de croître fortement. Et cela sans tenir compte des effets destructeurs à plus long terme de la crise climatique, tels que la désertification, qui progresse déjà en Grèce, en particulier dans l’est de la Crète et dans l’est du Péloponnèse…
Comme nous n’oublions pas les conséquences immédiates – et peut-être plus prosaïques et compréhensibles – de la situation actuelle, nous devons constater que le grand gagnant de cette histoire constamment répétée est Mitsotakis et ses pareils. Pourquoi ? Mais, parce qu’il continuera à ne pas payer les prix de ses (énormes) péchés, tant dans les urnes que dans la réputation des masses. Et surtout, parce qu’il continuera à ne rien faire contre la crise climatique galopante qui nous promet de nouvelles catastrophes de toutes sortes, encore plus grandes et encore plus fréquentes. Ou pire encore, parce qu’il continuera à tout faire pour l’aggraver ! Et sans être sérieusement harcelé par presque personne, car presque tout le monde dans ce pays, y compris la plupart des organisations et partis de gauche, soit se déclarent ardents défenseurs des énergies fossiles, soit se taisent ostensiblement en évitant opportunément de prendre des positions qui pourraient leur poser problème, soit admettent l’existence de la crise climatique mais s’abstiennent de participer aux mouvements mondiaux qui la combattent, et défendent bec et ongles « nos » gisements de pétrole, d’ailleurs toujours introuvables, soit, enfin, ils vont jusqu’à dénoncer la crise climatique comme étant … « la plus grande fraude de l’impérialisme ».
Si problème il y a, on ne doit pas le chercher du côté de Mitsotakis et de ses amis qui ne font que leur travail de capitalistes de manière cohérente, mais plutôt du côté de cette gauche grecque qui ne fait pas le sien. Une gauche grecque qui ne prend pas comme exemple non seulement les mouvements écologiques radicaux du « Nord riche » qu’elle exècre, mais aussi ceux « de los pobres de la tierra », comme le sont la plupart des millions de membres du mouvement paysan international Via Campesina [2]. Une gauche grecque qui reste silencieuse, fait semblant de ne pas comprendre, néglige la lutte contre la catastrophe climatique ou va même jusqu’à dire – du moins certaines de ses composantes – exactement la même chose que la réaction capitaliste la plus extrême, les multinationales des combustibles fossiles et leurs divers représentants politiques d’extrême droite. En somme, elle déserte le combat contre le problème existentiel le plus grand, le plus urgent et le plus immédiat, auquel sont actuellement confrontés en particulier les travailleurs, les pauvres et les peuples opprimés du monde entier, c’est-à-dire l’humanité elle-même !
Alors que le temps restant est désormais plus que compté et que le temps perdu se mesure désormais en plusieurs décennies, la gauche grecque doit prendre conscience qu’il lui est pratiquement impossible de croire qu’elle peut survivre sans offrir une réponse globale, claire, crédible et tangible au tsunami de la catastrophe climatique qui affecte désormais le moindre « détail » de la vie quotidienne des gens. C’est-à-dire, sans offrir un programme et, en même temps, une vision de l’organisation et des objectifs de nos sociétés qui soient alternatifs à l’actuel modèle capitaliste, celui-là même qui a conduit l’humanité d’aujourd’hui au bord de la catastrophe.
C’est ainsi, qu’elle le veuille ou non, que la gauche grecque se verra très bientôt contrainte par les événements de prendre part au débat international sur le contenu de ce « programme et vision alternatifs ». Et, évidemment, à se positionner face à la proposition alternative d’importance historique du texte-manifeste « Pour une décroissance écosocialiste » [1] de Michael Lowy, Giorgos Kallis, Bengi Akbulut et Sabrina Fernandes, dont l’extrait qui suit clôt ce texte :
« La décroissance écosocialiste est une de ces alternatives, en confrontation directe avec le capitalisme et la croissance. La décroissance écosocialiste nécessite l’appropriation sociale des principaux moyens de re/production et une planification démocratique, participative et écologique. Les principales décisions sur les priorités de production et de consommation seront décidées par les gens eux-mêmes, afin de satisfaire les besoins sociaux réels tout en respectant les limites écologiques de la planète. Cela signifie que les gens, à différentes échelles, exercent un pouvoir direct en déterminant démocratiquement ce qui doit être produit, en quelle quantité et de quelle manière ; comment rémunérer les différents types d’activités productives et reproductives qui nous soutiennent, nous et la planète. Garantir un bien-être équitable pour tous ne nécessite pas de croissance économique mais plutôt de changer radicalement la façon dont nous organisons l’économie et dont nous distribuons la richesse sociale ».
Notes
[1] Voir le texte/manifeste qui a marqué la rencontre des deux courants anticapitalistes de l’écologie radicale, l’écosocialiste et le décroissant :
https://www.contretemps.eu/decroissance-ecosocialiste/
[2] https://uniterre.ch/fr/solidarite-et-action-ecvc-soutient-les-paysan-ne-s-et-citoyen-ne-s-de-grece/
Yorgos Mitralias
Texte traduit de grec
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