Ainsi à Menoufya, les routes d’accès au gouvernorat sont coupées depuis trois jours par des manifestants tout comme les câbles téléphoniques du siège du gouvernorat. Le bâtiment du gouvernorat de Fayoum a été saccagé. A Gharbeya, des combats ont lieu pendant que le siège des Frères Musulmans a été incendié, tout comme le siège du Parti de la Liberté et de la Justice (parti des Frères Musulmans) à Tanta et que le bâtiment du gouvernorat a été partiellement détruit et des armes de la police dérobées. A Damiette, le gouverneur n’a pas pu rentrer dans le siège du gouvernorat, bloqué par les manifestants. A Kafr el Sheikh le gouverneur a eu sa voiture brûlée pour la deuxième fois (déjà en février 2013) et sa maison attaquée au cocktail Molotov. A Mahalla, les affrontements ont eu lieu dans les rues de la ville tandis que les sièges des gouvernorats d’Ismaïlia, Daqahliya et Beni Souef, étaient bloqués par des sit-in tout comme celui de Louxor où les salarié·e·s du tourisme – portant des pancartes « Nous ne voulons pas des terroristes » – ont appelé à maintenir le sit-in jusqu’au départ du gouverneur. Enfin le bureau du député Sayed Askar, ancien responsable des Affaires religieuses au Parlement, a été saccagé.
En même temps la tension sociale grandit avec une inflation annuelle officielle de 8,2% (en mai) c’est-à-dire une augmentation des prix courants de parfois 40%. Le bureau des statistiques constatait ainsi une baisse des achats de 70%, les gens n’achetant plus que les produits de première nécessité.
Les coupures d’électricité et la pénurie de carburants ont provoqué ces derniers jours une recrudescence des tensions à proximité des stations service avec des barrages voire des tirs d’armes à feu et de nombreux barrages routiers comme sur la route Le Caire-Alexandrie ou de voies de chemins de fer par une population exaspérée provoquant des blessés parmi les manifestants ou la police.
Dans ce contexte de difficultés économiques grandissantes on voit de plus en plus de gens réduits à piller les sites archéologiques comme à Beni Souef pour vendre des objets aux touristes, beaucoup d’enfants qui travaillent dès l’âge de 5 ans (on estime 1,6 million d’enfants de 5 à 17 ans travaillent surtout dans l’agriculture ou comme domestiques) et des grèves qui éclatent pour les salaires (record mondial de manifestations depuis le début de l’année 2013) comme dernièrement les employés de l’université d’Alexandrie qui ont occasionné sa fermeture.
La campagne de signatures dite « Rebelle » [voir sur ce site l’article et le post-scriptum publiés en date du 29 mai 2013] de l’ensemble de l’opposition vient d’annoncer qu’elle avait récolté plus de 15 millions de signatures déclarant l’illégitimité du président Morsi.
Elle appelle à une manifestation massive le 30 juin pour le départ immédiat du président par l’occupation illimitée de la rue et des places ou pour des élections présidentielles anticipées comme le réclament les libéraux, socialistes nassériens et démocrates. En attendant le pouvoir multiplie les arrestations et condamnations d’opposants pendant que des groupes salafistes appellent à manifester de manière permanente du 21 au 30 juin et à former des comités populaires pour protéger le palais présidentiel qui sera la cible de la manifestation au Caire. La révolution continue. (20 juin 2013)
Post-scriptum. Morsi négocie, mais…
Selon diverses sources, Morsi n’a pas réussi à rallier à sa cause le grand imam d’Al-Azhar, Ahmed El-Tayeb, et le pape copte, Tawadros II. Ce dernier a refusé de lancer un appel avec le président Morsi pour dissuader sa « base » de se joindre aux manifestations prévues pour le 30 juin.
El-Tayeb a fait une déclaration dans laquelle, avec des termes fort bien mesurés, il affirme qu’« une opposition pacifique contre les élites dirigeantes est acceptable selon la Charia… et n’a rien à voir avec la foi ou le manque de foi ». Il a ajouté que la violence et les actions militantes sont des « grands péchés » mais ne sont pas des actes « de mécréance » (kofr). Le pape copte a indiqué que les membres de sa confession « étaient dispersés dans 50 partis », ce qui rendait impossible une prise de position avec Morsi.
Le patron économique des Frères musulmans, Khairat El-Shater, n’a réussi à soutirer aux salafistes qu’une déclaration de soutien à Morsi, dans la mesure où il avait été élu pour une période de quatre ans.
Morsi cherche des appuis internationaux. L’ambassadeur des Etats-Unis au Caire, Anne Peterson – appuyée de manière plus précautionneuse par l’ambassadeur britannique —, et la représente de l’Union européenne pour ce qui a trait « à la politique extérieure », Catherine Ashton, n’ont pas réussi à convaincre la Front de salut national, fondé en novembre 2012, et qui est coordonné par Mohamed ElBaradei, de renoncer à la mobilisation du 30 juin.
Morsi négocie avec la nouvelle direction du Conseil suprême des forces armées (CSFA) qu’il a nommé en août 2012 et qui est représenté par Abdel-Fattah El-Sissi. Mais l’armée hésite. El-Sissi ne veut pas faire assumer à l’armée le rôle de défense de ce pouvoir, comme elle l’avait fait avec Moubarak. Certes, suivant l’existence de certaines « milices » et d’un « bain de sang », le CSFA pourrait invoquer la Constitution pour intervenir. Mais dans la conjoncture actuelle, Washington, qui alimente l’armée égyptienne, est opposé à ce que cette dernière joue en rôle proéminent dans le champ politique. Maintenir la « stabilité » à la frontière israélienne est plus important.
Khairat El-Shater et ses proches sont prêts à imiter la politique du Hamas à Gaza pour « nettoyer le terrain ». Mais la situation est totalement différente. Le scénario d’élections anticipées sert avant tout à empêcher l’affrontement du 30 juin 2013. (20 juin 2013)