Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Luttes étudiantes

La dernière stratégie du gouvernement semble être la suivante : attendre et capitaliser.

Attendre de ses offres bidons qu’elles divisent et affaiblissent la position des étudiants. Espérer du refus de ses offres qu’il exaspère les médias et la population.

Offres bidons et injonctions : une stratégie de terre brûlée

Attendre des juges et des demandeurs d’injonction qu’ils minent de l’intérieur le siège des grévistes. Qu’ils fassent craquer les établissements mis en demeure en faisant pression sur les votes de reconduction de grève.
Et au passage, capitaliser sur les explosions de grogne et de hargne, sur les blocages et les actes de désobéissance, sur les manifestations à répétition, sur les bris, sur les policiers blessés, sur les cris, sur les charges, sur les bombardements de gaz et d’obus en plastique, sur les jets de pierre, sur les yeux perdus, sur les citoyens écorchés. Stratégie de sape. Stratégie de terre brûlée.

Les injonctions, entre collusion et applications abusives

À ce jour, une vingtaine de demandes d’injonction ont été déposées, et ce, rappelons-le, par des étudiants désireux de retourner en classe malgré les votes de grève majoritaires pris dans les assemblées auxquelles ils étaient en droit de participer et de voter. Et sans doute ce nombre va-t-il d’augmenter, maintenant que les étudiants soi-disant responsables du Québec ont mis à disposition un « kit d’injonction clef en main ».

Le problème avec les injonctions, c’est que cet outil juridique est normalement destiné à des conflits locaux et ponctuels. Il est donc totalement inadapté dans le cas du mouvement de grève global et généralisé que nous connaissons aujourd’hui. D’ailleurs, dans tous les jugements qu’ils émettent, qu’ils soient favorables ou défavorables aux demandeurs, les juges regrettent d’avoir à prendre position dans ce conflit et signalent que cela ne devrait pas être leur rôle. Ces juges se disent pris entre le marteau et l’enclume : ils voudraient ne pas s’immiscer dans un conflit dont la nature est politique, mais face à une demande valide, leurs mains sont liées et ils doivent statuer.

C’est dans ce contexte qu’il faut entendre l’appel de François Rolland, le juge en chef de la cour supérieure du Québec, qui a demandé à son ministre, Jean-Marc Fournier, de centraliser et d’encadrer les demandes d’injonction. Et l’on a vu, de nouveau, le gouvernement refuser la patate chaude : encore une fois, plus le conflit dure et gangrène, mieux cela vaut électoralement parlant.

Notamment, une difficulté que soulevait François Rolland, est que les jugements rendus sont parfois contradictoires entre eux : certaines demandes sont acceptées et d’autres sont refusées, alors même que les cas se ressemblent. Pourquoi ? C’est à cause de la nature des droits qui sont en opposition dans ces demandes. D’un côté, il y a le droit des non grévistes à suivre leurs cours. De l’autre, il y a le droit des grévistes à voir leur vote de grève respecté, et ceci, en vertu de rien de moins que la Charte des droits et libertés et de la Loi sur les accréditations et les financements des associations d’élèves ou d’étudiants.

Certains juges ont donc statué en faveur des grévistes, considérant leurs droits comme constitutionnellement plus « forts » que ceux des non-grévistes. La plupart des autres juges ont statué en faveur des demandeurs d’injonction, considérant les situations comme « urgentes » et les dommages encourus comme « irréparables ». Enfin, quelques autres juges sont allés beaucoup plus loin, exigeant non pas le retour en classe des seuls demandeurs d’injonction, mais de tous les étudiants des programmes concernés, voire de l’établissement, pour des motifs de convenances administratives.

Et sur ce point, on louche un peu... Comment faut-il comprendre le fait que ces injonctions très élargies soient le fait de juges ayant des affinités avérées avec le parti libéral ? Certains ont été nommés par le PLQ (Michel Caron, émetteur de l’injonction au Conservatoire de Musique de Montréal). D’autres ont été conseillers juridiques du PLQ (Gaétan Dumas, qui a les deux mandamus d’injonction de l’Université et du Cegep de Sherbrooke à son actif). D’autres ont été députés du PLQ (Jean-Guy Dubois, émetteur de l’injonction pour le Cegep de St-Jean-sur-Richelieu et ancien député libéral de Richmond-Arthabaska).

Dans ces cas, on peut raisonnablement se demander si ces juges n’ont pas un intérêt idéologique à peser du poids de leurs fonctions aux côtés du gouvernement. Si les injonctions qu’ils émettent ont réellement un fondement juridique objectif. Si, tout en prétendant jouer les redresseurs de torts neutres ayant uniquement à cœur les droits des « victimes de cette inique grève », ils ne profitent pas de l’occasion pour poursuivre la bataille politique en terrain judiciaire - participant, par la même occasion, d’une porosité des instances de pouvoir très problématique pour l’équilibre de nos institutions démocratiques.

Contradictions. Collusion. Empiétement de droits fondamentaux. Déni des principes démocratiques. Il ne faut donc pas s’étonner si les grévistes défient les injonctions en bloquant l’accès de leurs établissements. Certes, celles-ci ont un caractère légal, mais du point de vue de ce tout qui précède, elles apparaissent comme illégitimes, et leur application élargie est même potentiellement inconstitutionnelle.

Dernièrement, des grévistes de l’UQO, qui risquaient d’être pénalisés pour manquement d’examens, ont ainsi répondu au juridique par le juridique, mettant la direction de leur université sous le coup d’une mise en demeure qui la menace d’un recours collectif. En vertu de la Charte et de la loi sur les accréditations des associations étudiantes, on ne peut en effet reprocher de manquer des cours à des étudiants qui respectent un vote de grève majoritaire. Sur ce modèle, on peut sans doute imaginer une « pluie » de mises en demeure de la part de tous les grévistes injustement pénalisés par des applications abusives d’injonctions.

Le temps, ce nœud coulant

C’est pour cela qu’il ne faut pas croire à un règlement du conflit par les injonctions. Ce vers quoi l’on va, c’est à la fois un enlisement judiciaire et une poursuite des blocages pour défier les injonctions. Et il faut souligner à quel point cette deuxième voie est particulièrement déchirante et violente pour les communautés scolaires, puisque camarades verts et camarades rouges s’affrontent devant les portes de leurs établissements, et puisque les administrations peuvent être forcés à recourir à la police pour faire arrêter leurs propres étudiants et leurs propres professeurs.

Et il est évident que le gouvernement ne s’attend pas à ce que 200 injoncteurs fassent rentrer en classe les quelques 170 000 étudiants grévistes que le Québec compte encore aujourd’hui. En revanche, il tire autant profit des rouges qui y résistent, que des verts qui en font la demande. Et il espère que les tensions entre eux s’enveniment encore davantage. Que les parents, les professeurs, les policiers et les administrations rentrent dans la mêlée. Que l’apparence de justice qui se range aux côtés des demandeurs exaspère un peu plus la population et les médias. Que l’on accuse les professeurs et les syndicats de pousser les jeunes à la dissidence anarchiste, au terrorisme.

Quant à ses offres bidons, le gouvernement espère que l’on traite toujours plus d’enfants gâtés irresponsables ceux qui les rejettent sans faillir alors que tout est contre eux : Contre eux, le temps de la session qui file. Contre eux, les injoncteurs et leur procédurière pusillanimité. Contre eux, la police, les juges, les administrations. Contre eux, les médias, leurs sondages biaisés, leurs chroniqueurs réactionnaires, leurs journalistes idéologiquement acquis et intellectuellement passifs. Contre eux, la population endettée et incompréhensive, sa peur de taxes supplémentaires et sa haine de tout ce qui perturbe sa routine.

Et il espère ainsi que l’on mésentende encore davantage la voix de ces jeunes adultes qui, malgré tout, poursuivent leur lutte avec un courage et une inventivité à toute épreuve, le cœur enraciné dans la certitude d’avoir raison et l’avenir de leur bord.

Et il espère que le temps coule autour de leur cou comme le nœud d’une corde de pendaison, comme l’étrangleur lacet de cuir d’un garrot. Il espère que cette jeunesse plie ou oublie qu’elle est l’allumeuse d’un nouveau peuple, la défricheuse de topographies inconnues, l’inventeuse d’autres possibles.
Et il espère que l’on parle de tout sauf de l’éléphant. De tout sauf du socle de la discorde. De tout sauf de ces prétendus besoins de l’université, que personne ne justifie, que personne n’explique, mais dont il semble si inévitable de faire porter le fardeau à ceux qui veulent y entrer. De tout sauf de l’origine des dettes de cet État qui ne peut soudain plus prendre en charge la transmission des connaissances et l’édification de sa jeunesse.

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