Édition du 17 décembre 2024

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Québec

La dangereuse judiciarisation du débat public

La Cour suprême du Canada aura à se prononcer sous peu sur la condamnation de Gabriel Nadeau-Dubois pour outrage au tribunal dans la cause l’opposant à Jean-François Morasse, un ancien étudiant de l’Université Laval. La cause sera entendue le vendredi 22 avril 2016. Rappelons qu’en janvier 2015, la Cour d’appel du Québec avait infirmé le jugement rendu en décembre 2012, lequel déclarait l’ancien leader étudiant coupable d’outrage au tribunal. La Ligue des droits et libertés ainsi que les organisations signataires de cette lettre s’inquiètent vivement des enjeux de liberté d’expression que ce dossier soulève.

À l’époque, cette condamnation avait fait sursauter de nombreux juristes et commentateurs. En effet, quelle qu’ait été leur position sur le conflit étudiant de 2012, plusieurs avaient vu dans ce verdict de culpabilité une dangereuse assimilation de l’expression d’une opinion sur la légitimité d’une action politique à un comportement de nature à porter atteinte à l’autorité des tribunaux. C’est d’ailleurs en se fondant notamment sur cet argument que la Cour d’appel a acquitté Gabriel Nadeau-Dubois il y a un peu plus d’un an : « À n’en point douter, l’appelant exprime haut et fort, pendant l’entrevue télévisée, son désaccord avec la judiciarisation du conflit étudiant, mais sa réponse équivaut-elle hors de tout doute à un encouragement ou une incitation à violer l’Ordonnance ? » À cette question, la Cour d’appel a répondu par la négative.

Les accusations d’outrage au tribunal dans des contextes politiques et de militantisme sont extrêmement rares. Il est peu commun de voir les tribunaux sanctionner par outrage au tribunal des responsables politiques pour de simples paroles. Gabriel Nadeau-Dubois a été condamné pour des prises de position politiques dans un contexte de tensions avec le gouvernement. On ne lui reproche pas de gestes illégaux, mais une prise de parole publique. On lui reproche d’avoir dit, au nom de l’organisation qu’il représentait, qu’il était « tout à fait légitime là, que les gens prennent les moyens nécessaires pour faire respecter le vote de grève et si ça prend des lignes de piquetage, on croit que c’est un moyen tout à fait légitime de le faire ». On peut être en accord ou en désaccord avec cette opinion, mais le débat est ailleurs : il porte sur la judiciarisation des débats publics, sur le recours au judiciaire pour faire taire ces débats.

Que soit imposée par un tribunal une telle limitation à la liberté d’expression constitue à notre sens un précédent dangereux qui risquerait d’avoir un effet intimidant sur les porte-parole des groupes de défense des droits, des écologistes, des associations étudiantes, de groupes féministes ou syndicaux, alors que les débats que ces organisations portent dans l’espace public visent à favoriser la délibération démocratique sur des enjeux portant sur le bien commun. La liberté d’expression doit être protégée tant dans l’intérêt de ceux et celles qui l’exercent que dans l’intérêt de la société.

*Ont aussi signé cette lettre :

Lucie Lemonde, Ligue des droits et libertés ; Marie-Hélène Arruda, Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi (MASSE) ; Louise Briand, Syndicat des professeures et professeurs de l’Université du Québec en Outaouais (SPUQO) ; André Bélisle, Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA) ; Me Danièle Roy, Association des avocats de la défense de Montréal (AADM) ; Jean-Marie Lafortune, Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU) ; Jérôme Normand, ENvironnement JEUnesse ; Simon Côté, Stop oléoduc Kamouraska ; Scott Weinstein, Voix juives indépendantes ; Louise Chabot, Centrale des syndicats du Québec (CSQ) ; Karine Audet, Stop oléoduc Bellechasse-Lévis ; Lucie Martineau, Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ) ; Lucie Bastien, Organisation populaire des droits sociaux de la région de Montréal (OPDS-RM) ; Éric Ferland, Foire ÉCOSPHÈRE ; Dominique Daigneault, Conseil central du Montréal métropolitain de la CSN (CCMM-CSN) ; Odette Lussier, Stop oléoduc Montmagny-L’Islet ; Caroline Cimon Dick, PLAIDD-BF ; Philippe de Grosbois, Syndicat du personnel enseignant du collège Ahuntsic (SPECA) ; Richard Lavigne, Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec (COPHAN) ; Martine Chatelain, Coalition Eau Secours ! ; François Saillant, Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) ; Linda Déry, Regroupement des organismes communautaires des Laurentides (ROCL) ; Michèle Nevert, Syndicat des professeures et professeurs de l’Université du Québec à Montréal (SPUQ) ; Manon Brunelle, Illusion-Emploi (Groupe de défense collective des droits des personnes non syndiquées de la région de Sherbrooke) ; Suzanne Loiselle, Soeurs auxiliatrices ; Maude Prud’homme, Réseau québécois des groupes écologistes (RQGE) ; Denise Deschambault, Organisation populaire des droits sociaux de Valleyfield ; Bruce Katz, Palestiniens et Juifs unis (PAJU) ; Collectif opposé à la brutalité policière (COBP) ; Fanny Pilon, Regroupement des assistées sociales et assistés sociaux du Témiscouata ; Ken Monteith, Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida (COCQ-SIDA) ; Régine Laurent, Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec – FIQ ; Florence Bourdeau, Carrefour d’aide aux nouveaux arrivants (CANA) ; Nicole Cloutier, Action Autonomie, le collectif pour la défense des droits en santé mentale de Montréal ; Jacques Benoit, Coalition solidarité santé ; Alain Marois, Fédération autonome de l’enseignement (FAE) ; Hind Fazazi, Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSE) ; Daniel Boyer, Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) ; Michel Lambert, Alternatives ; Alexandra Pierre, Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles (TRPOCB) ; Puma Freytag, Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université Laval (SCCCUL) ; Jacques Létourneau, Confédération des syndicats nationaux (CSN) ; Derek Robertson, Syndicat des employés du Centre de recherche du CHU Sainte-Justine (SECR) ; Normand Gilbert, Réseau québécois de l’action communautaire autonome (RQACA) ; Vincent Greason, Table ronde des OVEP de l’Outaouais (TROVEPO) ; Magali Picard, Alliance de la fonction publique du Canada, région du Québec (AFPC-Québec) ; Molly Swain, Association of McGill Support Employees – Public Service Alliance of Canada (AMUSE – PSAC) ; Hadj Zitouni, Mouvement action justice (MAJ) ; Danny Colin, Groupe de recherche d’intérêt public du Québec à l’UQAM (GRIP-UQAM) ; Élisabeth Garant, Centre justice et foi ; Marie-Ève Godbout, Conseil québécois des syndicats universitaires de l’Alliance de la fonction publique du Canada (CQSU-AFPC).

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