Depuis mercredi, la ministre de l’Éducation enjoint les directions des collèges et des universités à forcer le retour en classe des étudiants. Elle indique que, là où les étudiants ont voté majoritairement pour la grève, « toutes les mesures doivent être prises pour que les cours se donnent ». En clair, la ministre demande aux administrateurs et aux professeurs d’aller à l’encontre de décisions démocratiques prises par des instances légitimes, soit les associations étudiantes.
Avec ce nouvel effort pour briser le mouvement social qui s’exprime depuis plusieurs semaines, la ministre joue un jeu dangereux. Si l’on cesse de reconnaître la légitimité de certaines décisions démocratiques, où tracer la limite entre celles que l’on doit respecter et celles que l’on peut bafouer ? Si les règles du jeu politique ont été modifiées, nous aimerions bien qu’elles soient précisées avant qu’on ne nous demande de franchir les lignes de piquetage, car nous qui donnerons le cours « éthique et politique » voudrions pouvoir informer correctement nos étudiants sur les grands principes qui guident nos décideurs...
Le retour en classe ne sera pas aisé. Tout d’abord, alors que la ministre déclarait aux médias que les professeurs doivent franchir les lignes de piquetage, Jean Charest affirmait, le plus sérieusement du monde, que les méthodes d’intimidation utilisées par les étudiants sont comparables à celles qui ont cours sur les chantiers de construction : ce n’est pas rassurant ! Mais est-ce vrai ? Dans un article paru dans la Presse du 27 mars, M. Beauchesne, le président-directeur général de la Fédération des cégeps, rejetait avec force de telles accusations : « Je n’y crois pas ! Je crois qu’il y a eu moins de dérapages dans les votes dans les collèges que dans des situations autres que l’enseignement ». Ceci est également confirmé par la direction du Collège de Maisonneuve : « ces assemblées (étudiantes) se sont toujours déroulées de façon exemplaire ; les étudiants étaient organisés, rigoureux et respectueux les uns des autres »1. De plus, n’est-ce pas le gouvernement Charest lui-même qui pratique l’intimidation en frappant les étudiants d’un ostracisme indigne d’une démocratie ?
Supposons maintenant que, sous escorte policière, nous parvenions à nous rendre en classe. Pourrons-nous donner nos cours tels que nous les avions prévus ? Nous devons expliquer à nos étudiants que la démocratie repose sur le débat, le dialogue entre groupes dont les intérêts sont divergents, qu’on y recherche des solutions négociées et non imposées par la force. Nous devons également, selon ce qui est prescrit par le ministère de l’Éducation dans le devis de ce cours, aider chaque étudiant à « reconnaître sa responsabilité en tant que personne et à titre de citoyen ou de citoyenne ». Voilà pour la théorie. Mais en pratique, dans leur lutte pour la défense du droit démocratique à l’accessibilité de l’éducation, nos étudiants auront acquis une expérience toute autre : ils se seront confrontés à un gouvernement qui refuse le dialogue avec eux et qui utilise la répression et la force pour les empêcher de se faire entendre. Un gouvernement qui alimente la désillusion et encourage le nombrilisme caractéristique des demandes d’injonction. L’individu qui se désolidarise des autres et qui tente de s’extraire des principes établis pour prioriser ses intérêts personnels, voilà le modèle de citoyen que le gouvernement Charest encourage. Et en alimentant la division, il sème la violence.
La ministre nous dit que, là où le vote de grève est passé avec une forte majorité, les étudiants qui n’ont pas voté pour la grève ont le droit de suivre leurs cours. Pourtant, les associations étudiantes existent de façon légitime. En effet, leur droit d’exister est prévu et encadré par la loi. Le respect des décisons de ces associations est un devoir de la vie démocratique. Si ce devoir est supprimé, alors nous, qui n’avons pas voté pour le gouvernement libéral, avons-nous le même genre de droit que ces étudiants ? Pourrions-nous exiger, par exemple, que le gouvernement prépare un nouveau budget plus conforme à nos valeurs et plus orienté sur la justice sociale ?
Nous aimerions porter à l’attention de nos élus le fait suivant : le taux de participation aux assemblées générales des étudiants de notre collège est plus élevé que celui des dernières élections provinciales et la majorité en faveur de la grève est nettement plus importante que le pourcentage des voix qui a reporté au pouvoir le gouvernement Charest. Si nous pouvons faire fi de la première de ces deux décisions démocratiques, quelle légitimité reste-t-il à la seconde ?
Il faut prêcher par l’exemple et celui donné par le gouvernement n’est pas édifiant : il semble nous dire que la politique se fait avec et pour... les amis du pouvoir et que les autres sont des citoyens de second rang dont l’avis importe peu et qui ne méritent pas d’être entendus. Cependant, M. Charest et Mme Beauchamp, la cloche de votre récréation a sonné : l’intimidation, l’arrogance et le mépris ont assez duré. Nous croyons qu’il sera bientôt nécessaire de faire des représentations auprès d’organismes juridiques nationaux et internationaux pour faire condamner les actions et les attitudes de ce gouvernement qui bafoue les droits fondamentaux légitimes dont se réclament les associations étudiantes. Dans l’immédiat, nous invitons tous les citoyens qui croient encore en l’idéal démocratique à rejoindre les étudiants dans la rue pour dénoncer l’autoritarisme irresponsable du gouvernement Charest.
Diane Gendron ; Julie Bellavance, Jacques Chamberland ; Marie-Claude Couturier, Karine Damarsing, Jean-François Fournier, Andrée-Anne Graton ; Yannick Lacroix, Claude Landry, Isabelle Leblanc, Éryck Malouin ; Jean-François Marçal ; Étienne Michaud , Sébastien Mussi, Michel Paquette, Étienne Poulin, Julien Villeneuve
Professeurs de philosophie au Collège de Maisonneuve