Mais arrive toujours ce moment étrange qu’est la fin de la manifestation. Certes, la fin est parfois brutale et surréelle pour certainEs, mais bien souvent on s’en retourne tranquillement chez nous avec quelques amiEs. Dans notre tête s’agitent encore les slogans et les images de la manifestation et on débat sur les bons et moins bons coups de l’événement. Il suffit généralement d’un coin de rue pour se retrouver en un lieu apparemment épargné par cette effervescence. Surtout, les gens que l’on croise ne sont plus ces alliéEs inconnuEs avec qui on a manifesté, mais bien une foule anonyme, une personnification soudaine de la majorité silencieuse et de l’opinion publique. Impossible de savoir si leurs yeux ont été marqués, bouleversés, choqués ou tout simplement divertis par l’événement auquel on a participé. Non seulement c’est un retour à la normale pour plusieurs, mais la normalité ne semble pas avoir été ébranlée pour bien des gens. Ce calme après la tempête apparaît alors bien étrange.
C’est du moins la sensation que je ressentais suite aux premières grandes manifestations de la grève. Dorénavant, elle se présente jour après jour, manifestation ou pas, et on ne s’y habitue pas. Cet étrange calme devient quotidien et se transforme en une sensation de plus en plus insupportable.
De plus en plus insupportable, car le gouvernement ne recule pas. On a cru voir une ouverture devant les supercheries que sont les bonifications des prêts et bourses, mais il y a tout lieu de croire que le gouvernement nous démontre que, pour une rare fois, il tiendra parole et ne reculera pas sur la question de la hausse. Bien sûr, il espère ainsi gagner du temps et essouffler une partie du mouvement, mais en faisant de la sorte, il renvoie aussi la balle dans l’autre camp et espère modérer les critiques envers son entêtement à ne pas vouloir négocier. On comprend les étudiants d’y voir là un premier signe de victoire, mais ce n’est pas une ouverture. Le mouvement a pourtant tout fait dans les règles de l’art : mobilisation, informations, assemblées, pétitions, conférences, manifestations, blocages, il est même étonnant que, ce faisant, il y ait eu si peu de casse. Il est par contre fort probable que le gouvernement, loin de s’ouvrir à la négociation, ne cède pas. L’idée n’aurait rien de nouveau. Ailleurs dans le monde, plusieurs gouvernements, devant des manifestations monstres autrement plus dérangeantes que ce qui se passe ici, ne sont pas revenus sur leurs décisions d’austérité.
Le calme est aussi de plus en plus insupportable devant le spectacle médiatique de la radicalité du mouvement. En effet, malgré les nombreuses premières pages et les photos sensationnalistes, la paix sociale est si peu dérangée. Pourtant, la stratégie d’intensification des actions est rendue à un point limite. Du moins, on imagine mal les représentantEs et porte-paroles étudiantEs appeler ses membres à des actions plus radicales que celles qui ont eu lieu. Ou peut-être ces semaines de perturbations économiques n’ont tout simplement pas été une réussite. Le culte de l’opinion publique et de la paix sociale l’ayant emporté.
En effet, ce calme d’autant insupportable devant l’incompréhension de tant de gens face aux cagoules, graffitis et autres gestes de vandalisme si peu nombreux qu’on pourrait les compter. Pour encore tant de gens, il faut se rallier l’appui de cette opinion publique qui a peut-être bien raison de ne pas comprendre la manie qu’ont certainEs de se masquer. Après tout, illes n’y voient que de petitEs jeunes un peu agitéEs qui comprennent mal comment faire avancer leurs revendications. On sentait déjà chez plusieurs militantEs le désintérêt de plaire à cette mythique opinion publique, à cette majorité silencieuse qui a voté pour ceux contre qui le mouvement se bat. Il est grand temps que le mouvement au complet délaisse ces séductions et ne compte que sur ces propres moyens. Il faut arrêter de croire que c’est en faisant changer d’idées les plus mous, les invisibles et les réactionnaires que le mouvement va gagner.
Au final, le calme est dorénavant insupportable parce que le statu quo est si peu dérangé. Malgré les millions de dollars que coûtent les actions du mouvement, ce n’est pas ce qui fera reculer le gouvernement. Autant le mouvement ne se bat pas contre un chiffre, mais bien contre toute une idéologie, autant le gouvernement ne tient pas à sa hausse en soi, mais à faire valoir cette idéologie qui nous touche tous et toutes. Si le mouvement étudiant pouvait il y a quelques semaines espérer négocier une petite victoire, il doit se rendre compte que ce temps est révolu et que la victoire, aussi partielle soit-elle, devra impliquer toute la société, car toute la société est touchée par l’idéologie derrière cette hausse. Le dernier budget Bachand en fait la preuve tout comme celui du gouvernement Harper.
Que doit alors entreprendre le mouvement pour faire bouger le gouvernement ? Bien sûr, il doit d’abord affirmer sa détermination et démontrer que l’essoufflement n’est pas au rendez-vous en continuant à perturber et à faire parler de lui avec la grande créativité dont il fait preuve. On parle de plus en plus de « printemps québécois », mais au-delà de l’appellation, il faut avant tout comprendre ce que cela implique : pour être réellement efficace, ce printemps devra être celui de la grève sociale. En effet, si on peut déplorer le calme ambiant face au mouvement étudiant, on peut se demander pourquoi un soutien si répandu dans les syndicats et les autres forces organisées de la société un peu partout au Québec ne se traduit toujours pas par une plus grande menace.
Malgré les tentatives de discréditation du mouvement par les divisions qui le traverse, le mouvement étudiant est le seul mouvement à l’heure actuelle capable de dépasser les particularités de ses membres et la spécificité de son combat pour engendrer des débats de société plus globaux. Il est grand temps que les organisations et les individus dépassent les normes de la paix sociale et fassent bouger les choses, aidant ainsi les étudiantEs et eux-mêmes. Le calme est devenu insupportable et ne peut plus durer : les appels à la grève sociale doivent se concrétiser.
François Marcil, étudiant à la maîtrise en histoire, UQÀM