Édition du 19 novembre 2024

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Le Monde

La Francophonie, une maison en pleine déconfiture

Au lendemain de la Conférence ministérielle (CMF) de l’Organisation internationale de la Francophonie prévue les 4 et 5 novembre à Yaoundé, une enquête canadienne et des informations obtenues en interne révèlent une maison en pleine tourmente, dans laquelle la brutalité du management s’associe aux difficultés financières.

Tiré de MondAfrique.

Ceux qui pensent avoir déjà tout vu et tout entendu sur les dérives des organisations internationales et les frasques de leurs dirigeants en auront pour leur surprise à la lecture de l’enquête canadienne très fouillée et documentée sur la situation interne à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Alors que son appartement de fonction se trouve Avenue Bosquet dans le prestigieux 7è arrondissement de Paris, Mme Louise Mushikwabo, ancienne ministre rwandaise des Affaires, en prenant ses fonctions de Secrétaire générale de l’OIF, en janvier 2019, choisit d’aménager sur la très chic Avenue Montaigne, dans le 8è arrondissement, entre les maisons de luxe Louis Vuitton, Giorgio Armani et Paco Rabanne.

Trésorerie dans le rouge

Après avoir obtenu la hausse de son salaire, qui était déjà de 32000 euros mensuels, non imposables, sous Michäelle Jean, sa prédécesseure, Mme Mushikwabo fait engager, sans compter aux frais de l’OIF, des dépenses pour son nouvel appartement : des rideaux à près de 20.000 euros, tables et vase d’apparat à 4000 euros, plus de 10.000 euros pour un lit et de la literie. Le tout acheté, selon l’enquête canadienne, dans des boutiques haut de gamme tels que Les Ateliers Marie France Vincent, Anne de Solène et Roche Bobois. Paradoxalement, toutes ces dépenses de prestige interviennent alors que l’OIF affiche une santé financière chancelante.

Le retrait canadien

Deuxième bailleur de fonds de l’organisation, après la France, avec 24 millions de dollars de contribution en 2022, le Canada a renoncé cette année à verser à l’OIF une subvention de près de 3 millions de dollars. Signe de la gestion financière chaotique, les comptes de l’organisation pour l’année 2022 n’avaient toujours pas été clôturés en septembre 2023.

Un rapport du cabinet KPMG, commandé par l’OIF elle-même, a établi des graves insuffisances dans la façon dont l’OIF présente sa comptabilité

Un rapport du cabinet KPMG met en cause les procédures qui président à l’octroi des subventions et au suivi du budget. La société d’audit déplore en outre que près de 37% de l’argent de l’OIF destiné aux activités de terrain, soit 18,7 millions de dollars en 2018, serve, en réalité, à payer les voyages des employés, à les héberger dans des hôtels de haut standing et à leur verser des indemnités de déplacements sans commune mesure avec « les standards pratiqués par les autres organisations internationales ».

Un management brutal

A peine installée aux commandes de l’OIF, Mme Mushikwabo a obtenu des chefs d’Etats carte blanche pour procéder aux nominations aux plus hautes fonctions de l’organisation, y compris les représentations hors siège qui étaient jusque-là soumises à sélection. Loin d’en faire le meilleur usage, l’ancienne ministre des Affaires étrangères rwandaise en a profité pour faire la promotion de ses obligés, évincer les gênants et précariser ceux qui restent dans la maison, faisant passer leurs contrats de travail de trois ans à un an. Avec toujours l’incertitude que le renouvellement du contrat d’un an interviendra à date fixe.

Dans ce climat de peur, d’inquiétudes et de précarité, un sondage interne, demeuré confidentiel mais dévoilé par une source interne, indique que 44% des employés de l’OIF, soit près de la moitié du personnel, affirme avoir subi un harcèlement moral au travail.

Par vagues successives, de très nombreux cadres, mémoire vivante de la maison, ont été éjectés sans management, suivant la technique de non renouvellement de contrat qui s’apparente, de fait, à un licenciement déguisé. Après dix années de maison, Nicodème Adzra, alors directeur de l’Administration et des finances, est mis brutalement à la porte tout comme Youma Fall, éjectée de son poste directrice de la Culture et de la diversité culturelle ainsi que Narjess Saïdane, remerciée de ses fonctions de Représentante permanente à New York. D’autres cadres subiront des rétrogradations humiliantes ou des mutations-sanctions. Alors qu’il assurait la direction des Affaires politiques et de la gouvernance, Georges Nakseu Nguefang a été transféré comme Représentant permanent à Genève à la place d’Henri Elie Monceau, ramené au siège comme directeur de la Francophonie économique. Finalement, M. Nakseu Nguefang est revenu au siège à Paris pour occuper le poste taillé sur mesure de Conseiller chargé des Représentations extérieures alors que M. Monceau, lui, est retourné à ses anciennes fonctions à Genève. Une entorse à la coutume dans les organisations internationales.

Après avoir servi pendant six années comme Représentant permanent de la Francophonie en Afrique centrale, Boubacar Noumansana est ramené au siège à Paris sans poste précis au secrétariat des instances avant d’atterrir finalement au bureau des Jeux de la Francophonie et de devoir prendre la porte, faute d’avoir obtenu le renouvellement de son contrat. Même sort pour un autre haut cadre, Emile Tanawa, sevré de son poste de directeur de l’Institut de la francophonie pour l’éducation et la formation (IFEF) de Dakar d’où il a été ramené au placard à Paris avant de devoir aller bientôt à la retraite pour ses 62 ans. A ce jeu de massacre des carrières, l’ancien Représentant de l’OIF à Addis Addis-Abeba, Boubacar Issa Abdourahamane, aura eu moins de chances : il a été rétrogradé comme numéro 2 du bureau de la Francophonie pour l’Afrique de l’Ouest à Lomé d’où il a dû démissionner par amour-propre. Mais le sommet de cette brutalité de management n’aura été atteint qu’avec la vague de licenciement collectif qui a frappé en 2020 près de 22 personnes, dont des agents subalternes qui n’auront reçu que 10.000 euros d’indemnités de départ chacun avant d’être très vite rattrapés par une énorme précarité.

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Francis Sahel

Collaborateur à MondAfrique.

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