photo et article tirés de NPA 29
En 25 ans d’existence, les COP n’ont débouché sur aucune mesure efficace et juste pour empêcher la « perturbation anthropique dangereuse » du climat de la Terre contre laquelle les scientifiques mettent en garde depuis des décennies, de façon de plus en plus précise et pressante.
Le résultat s’étale sous nos yeux : incendies, inondations, cyclones, sécheresses… Tant de temps a été perdu depuis le Sommet de la Terre de Rio (1992) qu’il n’est désormais plus possible d’éviter la catastrophe : alors que les moyens de l’arrêter existent, elle grandit rapidement autour de nous et menace de se transformer en un terrible cataclysme. Des centaines de millions d’humains et de non-humains risquent de le payer de leur vie.
La cause de cette situation hallucinante, terrifiante et absurde ne fait aucun doute : les entre-prises du secteur fossile refusent de laisser ces combustibles dans le sol, les banques les soutiennent, tous les grands secteurs économiques font de même et les gouvernements s’alignent au garde-à-vous parce qu’ils sont tous au service du profit et de la compétitivité capitalistes.
Les responsables politiques tentent de nous rassurer en disant que la COP26, à Glasgow l’an prochain, adoptera enfin le « nouveau mécanisme de marché » décidé en principe à Paris en 2015 et sur lequel les négociateurs n’ont pas su se mettre d’accord à Madrid. Un peu de patien-ce, nous dit-on : tout se débloquera alors, car les Etats disposeront d’une bonne base pour échanger des « crédits d’émission » et combler ainsi à moindre coût le fossé entre leurs engagements nationaux (+3,3°C !) et l’objectif de 1,5°C maximum.
Il faut être naïf pour croire de telles promesses ! Le protocole de Kyoto aussi avait créé un mécanisme de marché qu’on disait « robuste ». Le bilan est sans appel : 73% des crédits échangés étaient largement factices, 2% à peine correspondaient vraiment à des réductions effectives. [1] De plus, beaucoup de ces crédits ont été acquis au détriment des populations du Sud, notamment des peuples indigènes chassés de leurs terres. Les tentatives de « corriger » le dispositif ont éliminé les fraudes les plus énormes [2], mais sans rien changer sur le fond…
Quelque 4,3 milliards de crédits d’émission générés dans l’ancien système demeurent non échangés. Cela représente plus que les émissions annuelles de l’Union Européenne. La Chine en possède 60%, l’Inde 10%, le Brésil 5%. [3] Bien que la facilité de générer ces crédits par toute une série de tour de passe-passe ait entraîné un effondrement des prix, le stock d’inven-dus représente néanmoins une somme rondelette. Ceux qui la possèdent refusent d’y renoncer.
A Madrid, le Brésil, la Chine, l’Inde et l’Australie ont exigé de pouvoir continuer à vendre leurs anciens crédits d’émission « Kyoto » dans le cadre du nouveau mécanisme. Rejeter cette demande exorbitante était la moindre des choses, car il s’agissait tout simplement, pour ces pays, de continuer à s’enrichir frauduleusement, en faisant semblant d’agir pour le climat. Mais tous les gouvernements admettent la possibilité de remplacer les réductions d’émissions de CO2 fossile par des absorptions de CO2 par les forêts ; or, cette « compensation carbone » est, en soi, une énorme arnaque.
En réalité, l’arnaque est inscrite au principe de la politique climatique néolibérale. Pourquoi ? Parce que seule la fraude permet de surmonter en apparence l’antagonisme irréconciliable entre la finitude de la Terre et l’infinitude de la soif de profit capitaliste. Or, la politique climatique est pilotée de plus en plus clairement et directement par les multinationales. Celles-ci ont changé de tactique : au lieu de nier la réalité, elles feignent de l’admettre, clament leur volonté d’y collaborer de façon décisive, s’emparent ainsi des leviers de décision… et jouent la montre pour continuer à brûler du charbon, du pétrole et du gaz naturel, tout en inventant de nouvelles arnaques.
Le déroulement même des COP est à l’image de cette emprise croissante. Plus encore que les précédentes, la conférence de Madrid était sponsorisée par les pollueurs. Ainsi, les deux grands groupes énergétiques espagnols, Iberdrola et Endesa, ont financé le sommet à hauteur de 2 millions d’euros chacun [4]. Par contre, deux cents activistes d’ONG ont été chassé.e.s du centre de congrès et les représentants des pays pauvres ont été exclus de certaines réunions finales… [5]
Certains mettent leurs espoirs dans le sommet entre l’Union européenne et la Chine, qui aura lieu en septembre 2020, quelques mois avant Glasgow. Il faut être complètement hors du réel pour imaginer qu’un accord entre ces deux impérialismes (ou d’autres accords bilatéraux) puisse amener la COP26 sur la voie d’une sortie juste et efficace de la crise climatique.
Le « Green Deal » dont l’Union Européenne a annoncé le lancement lors de la COP25 ne laisse aucun doute. « Carpe, je te baptise lapin » : le « développement durable » ne suffisant plus à faire illusion, ce « Green Deal » n’est rien d’autre que le nouveau masque du capitalisme vert (auquel on ajoute une touche de « transition juste », pour endormir les syndicats)… Pour protéger la compétitivité, on imposera une taxe à l’importation… mais l’Union pourra continuer à exporter vers le Sud ses produits agricoles à bas prix, qui ruinent les producteurs locaux.
A Madrid, le gouvernement chinois s’est posé en défenseur du Sud global. Il a mis comme préalable à la hausse de ses objectifs climatiques que les pays riches honorent leurs promesses d’aide financière et de compensation pour les « pertes et dommages » endurés dans les pays pauvres. Mais ce n’est que de la tactique. Comme celles de tout impérialisme, les préoccupations de Pékin sont géostratégiques : étendre son emprise extérieure et renforcer son potentiel militaire… tout en interdisant à quiconque de protester contre les violations des droits humains à l’intérieur.
L’UE et la Chine n’ont qu’une chose en tête : profiter du climato-négationnisme de l’adminis-tration US pour conquérir les marchés du « capitalisme vert »… et l’hégémonie mondiale. L’envers de la médaille, c’est la délocalisation des productions sales vers les pays de la péri-phérie, le stockage géologique du CO2, le développement insensé du nucléaire, la non compta-bilisation des émissions grises [6] et de celles du transport international, l’accaparement des capacités d’absorption du CO2 par les sols et les forêts… Ce n’est pas par hasard que la Chine relance sa production charbonnière.
Avec deux autres activistes, Greta Thunberg écrivait récemment que « la crise climatique ne porte pas que sur l’environnement. C’est une crise des droits humains, de la justice, de la volonté politique. Elle a été nourrie par les systèmes d’oppression coloniaux, racistes et patriarcaux. Nous devons tous les démanteler. » [7] A la tribune de la COP, la jeune Suédoise a déclaré que la solution ne viendrait pas des sommets, mais des peuples. C’est en effet la conclusion qui s’impose après un quart de siècle de grand-messes climatiques capitalistes : la solution viendra de la lutte, pas des COP !
Aucun mécanisme de marché n’arrêtera la catastrophe climatique provoquée par le marché. La destruction de la société et de la nature sont les deux faces d’une même médaille. Réparer la société et la nature demande impérativement de produire moins, transporter moins, et partager plus, pour satisfaire les besoins sociaux réels, pas ceux de l’accumulation du capital. C’est un choix de société, un choix de civilisation. Il ne peut être posé et tranché que dans les luttes. L’ennemi doit être clairement désigné : l’ennemi, c’est le système capitaliste, productiviste, exploiteur, raciste, patriarcal et mortifère.
Daniel Tanuro 16 décembre 2019
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