Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Blogues

Les rondes 8, 9 et 10

La 8e ronde de négociation de 1989-1990 (Texte 12)

Neuf mois avant l’échéance des conventions collectives (en mars 1988), le gouvernement libéral propose une prolongation d’une année accompagnée d’une augmentation des salaires de 4,0% et d’une indexation maximale de 1,0%. Les syndicats affiliés à la FTQ, à la CSD et au SPGQ acceptent cette proposition.

Pour lire la 1ère partie.

Pour lire la 2e partie.

Pour lire la 3e partie.

Pour lire la 4e partie.

Pour lire la 5e partie.

Pour lire la 6e partie.

Pour lire la 7e partie.

Pour lire la 8e partie.

Pour lire la 9e partie.

Pour lire la 10e partie.

Pour lire la 11e partie.

Pour lire la 13e partie.

Pour lire la 14e partie.

Pour lire la 15e partie.

Pour lire la 16e partie.

Pour lire la 17e partie.

Pour lire la 18e partie.

Les autres syndicats veulent discuter de l’équité salariale selon le calendrier prévu lors de la ronde précédente. La huitième ronde de négociation permettra de lancer le débat autour des écarts salariaux fondés sur le sexe. De plus, comme la situation économique s’améliore, les syndicats réclameront des augmentations se situant au-delà de l’inflation. 

En juin 1989, les infirmières et infirmiers (maintenant regroupéEs au sein de la FIIQ) organisent des moyens de pression. Un projet d’entente de principe intervient à leur table de négociation. Cette entente de principe sera rejetée par 77,8% des membres votants. Après avoir voté pour la grève, les infirmières et les infirmiers débrayent en septembre 1989. Contre les infirmières et plusieurs autres groupes de la santé affiliés à la CEQ et à la CSN qui déclenchent la grève, le gouvernement impose les sanctions de la loi 160 (perte d’ancienneté, double coupure de salaire, amendes aux organisations et suspension du précompte syndical)[1]. Malgré cela, plusieurs groupes maintiennent les moyens de pression. La CSN et la CEQ conviennent de constituer une table commune pour négocier les dossiers intersectoriels. Les syndicats affiliés aux deux organisations syndicales entreprennent des moyens de pression dès la rentrée. 

Le 12 septembre 1989, les syndicats affiliés à la Fédération des affaires sociales (FAS-CSN) déclencheront la grève générale illimitée. Suite au déclenchement des élections générales au Québec, les syndiquéEs se prononceront en faveur d’une trêve. Lors de cette ronde de négociation, ce sont plus de 200 000 syndiquéEs des secteurs public et parapublic affiliés à la Centrale de l’enseignement du Québec (CEQ), à la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et au Syndicat canadien de la fonction publique (SFPQ) qui rejoindront le mouvement de grève des 95 000 membres de la Fédération des affaires sociales (FAS) affiliés à la CSN. C’est la première fois qu’un mouvement de grève, dans les secteurs public et parapublic, prend autant d’ampleur au Québec depuis le Front commun intersyndical de 1972. 
À quelques jours des élections, un règlement intervient sur la question salariale. Au début du mois d’octobre, des ententes sont signées entre le gouvernement du Québec et le SFPQ ainsi qu’avec les syndicats de la FTQ. Lors des négociations de 1989, les augmentations salariales convenues entre les parties en présence sont de l’ordre de 4 % en 1989, de 4,5 % en 1990 et de 4 % en 1991 avec une indexation de 1% pour chacune des années. Le 1er juillet 1991, un montant forfaitaire égal à 1,0% doit être versé. Les conventions collectives expirent le 31 décembre 1991. Des correctifs salariaux (de l’ordre de 3,1% de la masse salariale du gouvernement) sont accordés pour certains emplois à prédominance féminine. 
Dans cette ronde de négociation, il y a eu des arrêts de travail dans le secteur de la santé surtout. Les salariéEs syndiquéEs ayant débrayé sans égard aux services essentiels ont encaissé les lourdes sanctions prévues à la loi 160. Quoi qu’il en soit, malgré les écarts entre les offres et les demandes et malgré le climat de perturbation sociale, les parties ont continué à négocier et elles ont conclu une entente qui a été entérinée par les membres.

 Les rondes 9 (1991) et 10 (1992) : D’une prolongation à l’autre

La 9e ronde : 1991

Au tout début des années 1990 et 1991, l’économie canadienne entre en récession. La marge de manœuvre du gouvernement fond à vue d’œil. Les déficits publics s’accroissent. En avril 1991, sous la menace d’une loi spéciale, une entente de principe convenue entre le Gouvernement du Québec et les organisations syndicales (CSN, CEQ, FTQ, FIIQ, SFPQ et SPGQ) prévoit une prolongation de six mois de la convention collective (l’échéance des conventions est reportée du 31 décembre 1991 au 30 juin 1992), accompagnée d’une augmentation de 3 % au dernier jour de la convention collective (1er juillet 1992). Un groupe de travail, chargé de faire un rapport sur le régime de négociation, a été mis sur pied. Les travaux de ce comité ne donneront aucun résultat digne d’être mentionné pour la partie syndicale.

La 10e ronde : 1992

En février 1992, dans un contexte où la récession perdure, le président du Conseil du trésor invite les organisations syndicales à renoncer à l’entente conclue pour la remplacer par une nouvelle prolongation qui comportera des concessions salariales de la part des salariéEs de l’État. Les parties conviennent, en mai 1992, d’une nouvelle prolongation d’un an de la convention collective (du 30 mai 1992 au 30 juin 1993). L’augmentation salariale de 3 % au 1er juillet 1992 est maintenue. 

Deux observations en guide de conclusion

Première observation : Un régime de négociation de façade et la contrainte des finances publiques

Les rondes de négociation dans les secteurs public et parapublic, depuis la mise en place du nouveau régime sanctionné en 1985, démontrent hors de tout doute que le gouvernement est en position pour agir en faisant fi des mécanismes prévus pour la détermination de la rémunération des salariéEs syndiquéEs. Le régime de négociation en est véritablement un de négociation factice (les droits des salariéEs syndiquéEs s’avèrent être des droits dilués) et de façade (le gouvernement décide quelles règles il entend suivre). C’est dans ce contexte que les centrales syndicales commencent à formuler des revendications salariales s’éloignant des principes qui les avaient guidés durant les années soixante et soixante-dix. Exit les demandes salariales qui se structurent autour des principes suivants : indexation des salaires au coût de la vie et amélioration du pouvoir d’achat par un mécanisme de participation à l’enrichissement collectif. Tout se passe comme si la réduction des écarts salariaux transitait dorénavant par une demande syndicale de mise en place de correctifs aux échelles salariales visant à éliminer les discriminations fondées sur le sexe, c’est-à-dire un programme d’équité salariale. 

Deuxième observation : Des « Trente Glorieuses » aux « Douloureuses »

À partir de la fin des années soixante-dix et du début des années quatre-vingt, le mouvement syndical (tous secteurs confondus) commence véritablement à être sur la défensive. Il y aura certes une riposte des salariéEs syndiquéEs aux mesures mises en place par les gouvernements en vue de combattre et de juguler l’inflation. Mais cette résistance sera surmontée par l’adoption d’une série de lois spéciales (lois sur les limitations autoritaires des salaires ou adoption de décrets) et par l’imposition d’un nouveau régime de négociation qui aura pour effet de réduire la capacité réelle de résistance des salariéEs syndiquées des secteurs public et parapublic. De plus, devant les mesures préconisées par les gouvernements, le mouvement syndical effectuera un virage idéologique majeur. Il remisera au rancart l’idéologie socialiste et ira même jusqu’à créer des outils d’investissements de type capitaliste. Le mouvement syndical entrera dans une nouvelle ère : l’ère du renoncement à la défense de la protection intégrale du pouvoir d’achat et d’un partage équitable de la richesse collective en faveur de ses membres. 

Et c’est ainsi que se mettra en place ce qu’il est convenu d’appeler l’accroissement des écarts en faveur des riches ou du 1% de la population. Le néolibéralisme, qui se caractérise principalement par un programme de lutte contre l’inflation (au détriment des mesures susceptibles de réduire le chômage), de réduction de la taille de l’État, de multiplication de traités de libre-échange et surtout de l’affaiblissement de la présence syndicale et de sa capacité de résistance, guidera les membres de la classe dirigeante dans la définition de leur agenda politique. Les grandes orientations d’inspiration keynésiennes seront abandonnées par les divers gouvernements néo-conservateurs se succédant au pouvoir depuis la fin des années soixante-dix et quatre-vingt. Le mouvement syndical se retrouve de plus en plus encadré dans un carcan juridique ayant pour effet de le réduire dans un rôle d’acteur institutionnel trop respectueux de l’ordre juridique bourgeois. Depuis la fin des années soixante-dix, il se retrouve confiné dans une position défensive et trop encline aux concessions rapides face aux employeurs et aux gouvernements. Les dirigeants syndicaux ont, peut-être à cause de leur évaluation du « rapport des forces en présence », capitulé à plusieurs reprises, au cours des dernières décennies, devant certaines demandes patronales et gouvernementales. C’est ce qui a permis aux divers gouvernements d’imposer leurs mesures d’austérité rétrolibérales. C’est ce qui explique aussi pourquoi les conditions de travail et de rémunération dans les secteurs public et parapublic ont commencé à se détériorer à la fin de ces années dites des « Trente Glorieuses ». S’en est suivi une nouvelle période appelée ; « Les Douloureuses ». En 2020, cela fera quarante-cinq ans que nous sommes dans cette période, à moins que…

Yvan Perrier
 
 
 
 

[1] Le gouvernement recourt aux pertes d’ancienneté (qu’il annulera le 19 juin 1991 par l’adoption de la Loi concernant la restauration de l’ancienneté de certains salariés du secteur de la santé et des services sociaux).

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Sur le même thème : Blogues

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...