Tiré de Afrique en lutte.
Il n’est pas nécessaire d’expliquer la signification symbolique de l’arbre du village africain situé en son centre ou dans de petites communautés isolées. C’est non seulement le lieu de nombreuses transactions économiques et autres échanges de valeur et de communisation sociale, mais aussi le lieu de rassemblement où se discutent les affaires d’intérêt général, face à face, dans une interaction honnête et dans apprentissage mutuel. Pour l’étranger, les résidents et les égarés c’est le lieu d’orientation topographique, un nid chaleureux et hospitalier. C’est le lieu où personne n’est abandonné lorsque survient le crépuscule et que la vie d’une journée active s’efface dans l’obscurité en attendant l’aube d’une autre journée plus lumineuse, tissée d’interactions humaines. Il est plus que temps que l’Union africaine forge une identité post-coloniale en rendant ses nouvelles institutions et ses politiques accessibles et signifiantes pour tout un chacun. En d’autres termes, le temps n’est-il pas mûr pour que l’Union africaine crée un espace pour une véritable africanisation de ses institutions et l’appropriation de ses processus par la population en Afrique et dans la diaspora ?
Le caractère politique de chaque Etat membre de l’Union africaine reflète la façon dont l’Union s’implique auprès de ses citoyens ainsi que sur la façon dont elle sauvegarde la cohérence nationale comme le piédestal d’une véritable unité africaine. En 1975, au chagrin de nombreux Ougandais et de la communauté panafricaine en général, Idi Amin avait été élu président de l’Oua. Jusqu’à la fin de la Guerre Froide, nombre d’entre nous ont été les témoins de la façon dont un club impitoyable de dirigeants militaires ont enfreint, triché, piétiné les droits fondamentaux et les aspirations de millions d’Africains. Plus de deux décennies de re-démocratisation ne semblent pas avoir transformé nos élites politiques. Compte tenu des défis « uniques » que notre continent doit affronter, nous devons adopter une perspective holistique en analysant l’Union africaine comme un véritable représentant des peuples. Au niveau de l’organisation, il est aussi grand temps que nous, les vrais citoyens panafricains, intensifions notre collaboration et nous approprions certaines des nouvelles institutions de l’Union que nous estimons utiles pour faire entendre nos voix et des actions qui fassent pression sur nos dirigeants. Nous ne pouvons pas davantage détacher les réalités de nos villages, communautés et districts des fonctions de l’Union africaine, tout en gardant à l’esprit les obligations de l’Etat et nos responsabilités citoyennes .
Il y a aussi les sites naturels de la légitimité de l’Union africaine et les pères fondateurs voulaient d’abord et surtout créer des citoyens panafricains, conscients de leurs droits, capables de donner forme à leur cheminement vers le développement ainsi que pour la résolution des conflits internes de façon pacifique. Ainsi, l’indépendance économique et politique sont directement imbriqués et par conséquent la base d’une citoyenneté inclusive.
Un des architectes de l’Oua déclarait : « Nous mesurerons notre progrès dans l’amélioration de la santé de notre population, par le nombre d’enfants scolarisés et la qualité de leur instruction, par la disponibilité d’eau et d’électricité dans les villes et villages et par le bonheur que notre population éprouvera à gérer ses propres affaires. Le bien-être de notre population est notre principale fierté » (Osagyefo Dr Kwame Nkrumah, 1er président du Ghana, une adresse à la nation le 24 décembre 1957)
La formation de l’Oua, le 25 mai 1963, et sa transformation en Union africaine en 2002 corroborent le fait que les institutions sont crées en réponse à des défis existants, pendant que nous laissons un espace pour des développements émergents et imprévus. Alors que les problèmes du monde dépassent l’ordre politique existant et les arrangements institutionnels à un rythme sans précédent, les politiciens, qui n’ont pas élaboré des réponses stratégiques anticipées, sont débordés quotidiennement par des évènements imprévus. A cet égard, depuis le début des années 1960, la coopération intergouvernementale a été identifiée comme le conduit pour des interactions collaboratives et le partage des informations afin d’améliorer la capacité de résoudre les problèmes du leadership africain collectif.
Sans aucun doute, de nombreux Africains espéraient que l’Oua résoudrait certains des problèmes du moment. La liste « à faire » incluait la consolidation de l’unité et la solidarité africaine dans un monde divisé et terni par l’animosité de la Guerre froide et la belligérance entre les deux super puissances, l’accélération de la décolonisation et la liquidation de l’Apartheid, le chemin vers le développement qui conduirait de nombreux pays post-coloniaux en difficulté vers la paix et la prospérité. Si l’Oua a labouré le terrain dans un environnement international hostile, l’émergence de l’Union africaine, au tout début du nouveau millénaire, a été saluée comme une opportunité historique de semer les graines qui régénèrent le continent et ses peuples, leurs aspirations et leurs rêves à une époque de paix et de stabilité internationale relative.
De plus, pendant qu’on ne peut nier la diligence qui a conduit à l’institutionnalisation de l’Union africaine comme le renouvellement de son identification avec la diaspora, son engagement pour résoudre les conflits et une nouvelle orientation vers le peuple, le bilan est que les Africains ordinaires n’en n’ont toujours pas bénéficié. Les luttes pour la liberté et les droits fondamentaux, dans les années 1990, doivent encore être gagnées alors que certains dirigeants continuent de s’accrocher au pouvoir politique, en contradiction avec les arrangements constitutionnels existants, mettant ainsi en péril les gains de la re-démocratisation de ces dernières années (Plattner & Diamond, 2010). [1]
Les processus décisionnels dans de nombreux états sont devenus des circuits courts, pendant que l’élite politique abuse des dividendes de la paix prévalente, dans un contexte démocratique, afin de se protéger des masses et protéger leurs biens mal acquis. De nombreux politiciens sont en collusion avec des compagnies d’extraction étrangères qui pillent les ressources naturelles du continent et utilisent leur part du butin pour consolider leur fortune personnelle ainsi que celle de leur parti politique et servir leur réseau de clientèle, pendant que les communautés de mineurs sont entraînées dans une misère sans fond et placés devant la menace de catastrophes environnementales. (Olympio 2013). [2]
Actuellement, de nombreux dirigeants ont adopté la démocratie afin d’apaiser leurs partenaires extérieurs tout en étant sourds aux peuples africains. La situation de la gestion de la triade administration-politiques-diplomatie laisse grandement à désirer parce que « l’écoute politique » est devenue de plus en plus « un nouveau déficit démocratique » (Dobson 2012). [3]. Ces développements sont fondamentalement contraires aux rêves des pères fondateurs de l’Oua, dont le but essentiel était de réaliser une union centrée sur les gens (le processus d’unification). Ceci est une anomalie à une époque où de nombreux gouvernements se sont déjà engagés en faveur de l’Acte constitutif de l’Union africaine. C’est une dérive dans le processus de re-démocratisation du continent parce que le « le moyen le plus effectif et le plus insidieux de réduire les autres au silence est de refuser de les écouter » (Dryzek, 2000 : 149). [4]
La force de notre peuple réside dans la configuration sociale complexe et diverse de la force de nos relations de parenté et du réseau social que nous pouvons déployer sans affaiblir l’Etat, et vice versa. Mais aussi dans la collaboration, par delà les espaces, afin de restaurer les relations entre l’Etat et la société pour le bien commun. C’est notre ferme conviction, comme citoyen panafricain et la conscience de nos responsabilités civiques qui nous catapulteront dans une véritable identité post-coloniale dans un monde incertain et qui change rapidement. C’est bien sûr un long processus et puisse la sagesse et les vertus que nous avons accumulées dans la vie de village Ubuntu, nous guider alors que nous naviguons dans les voies tortueuses de la vraie citoyenneté panafricaine.
A l’aube d’une ère nouvelle et au-delà
Lorsque les architectes de l’Oua ont conçu l’unité africaine, ils étaient convaincus que pas un seul état ne pourrait résister aux forces internationales qui pratiquaient une guerre idéologique de la terre brûlée connue sous le nom de Guerre froide (1947-1989). Leur position était sans aucun doute la cristallisation des évènements et des leçons apprises au cours des 463 ans passés avant l’Oua (1500-1963). Un passé marqué par de longues années d’esclavage, de ruées impérialistes sur le continent et sa balkanisation (1884/85), la colonisation subséquente de toute l’Afrique excepté l’Ethiopie et le Liberia.
Au carrefour des puissances étrangères, l’histoire du continent est devenue emmêlée dans l’histoire globale. Conscients de cela, Nkrumah et ses pairs ont vu venir le futur d’un continent qui pourrait être pris en otage par ses riches ressources naturelles via le néocolonialisme, la compétition entre les impérialistes et la rivalité ainsi que par le capitalisme prédateur véhiculé par la cupidité des multinationales et l’exploitation pure et simple. Il s’ensuit que, construisant sur les réalisations du mouvement d’unification de la diaspora, avec des intellectuels comme Henry Sylvester-Williams, Marcus Garvey, Dr W.E. Dubois, Edward Blyden, George Padmore, etc., Nkrumah a investi beaucoup de temps à rallier les Africains du continent et de la diaspora afin d’unir et de récupérer la place de l’Afrique dans le nouvel ordre du monde qui a émergé suite à la Deuxième Guerre mondiale.
Le vent de la décolonisation et la fondation du système des Nations Unies après la Deuxième Guerre mondiale, a ouvert de nouveaux espaces politiques pour promouvoir les intérêts de l’Afrique dans les fora internationaux et a offert de l’inspiration pour forger la coopération interétats ainsi que le développement, la solidarité et l’unité. La formation de l’Oua et sa transformation en Union africaine a renforcé la position de cet organe régional dans son rôle de représentant univoque des Africains sur le continent et dans la diaspora. Dans un monde en changement rapide, de nombreuses régions ont répondu au défi global en approfondissant la coopération régionale et internationale et la solidarité afin de parvenir à une tribune commune pour représenter leur région dans les affaires globales ainsi que pour trouver des solutions à leurs problèmes régionaux particuliers. L’Union africaine ne fait pas exception.
Cultiver de nouveaux espoirs
Bien que l’Oua soit demeurée un club de chefs d’état et de gouvernement, tout au long de son existence, ces quatorze dernières années ont vu la nouvelle Union africaine renforcer ses institutions régionales, affirmer l’inviolabilité du rôle des groupes subrégionaux dans un « nouveau régionalisme (Shaw et al 2003) [5] qui est « démocratique », qui accommode des acteurs non-étatiques centrés sur les humains et orientés vers le développement. La Charte africaine pour la démocratie, les élections et la gouvernance, le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad) et l’adjonction du mécanisme de l’examen par des pairs africains, The Economic, Social et Cultural Council (Ecosoc), sont des réalisations de l’institutionnalisation en un peu plus d’une décennie d’existence de l’Union africaine.
Jamais auparavant, dans sa courte histoire de coopération et d’intégration en Afrique, l’engagement d’aborder les défis de la sécurité et de la gouvernance n’a été pris aussi sérieusement. Ceci est symbolisé dans le Conseil africain pour la paix et la sécurité et un nombre d’architectures de sécurité subrégionaux. Néanmoins, nombreux sont ceux qui doivent encore tirer un bénéfice palpable de ces organes régionaux. Au cours des quatorze dernières années, l’Union africaine a lancé un processus d’auto renouvellement dont l’impact est largement observable aux plus hauts niveaux de l’interaction. Le résultat montre que l’Union africaine a, de plus en plus, et avec succès, fait sentir sa présence au sein du système des Nations Unies, du G7, du G 20 et d’autres organisations régionales comme l’Union européenne, dans le cadre de normes internationales partagées.
Au niveau interétatique, l’Union africaine a approfondi les partenariats avec des puissances établies et les pays émergents , des ancres subrégionaux et des pays qui ont déjà acquis une niche dans « le bazar global » de la finance, du commerce, des marchés et des technologies dans un monde multipolaire. Toutefois, la présence globale de l’Union africaine ne suffit pas : elle doit encore s’imposer alors que le continent reste marginalisé dans le processus de prise de décisions dans les institutions globales.
Pendant que ces institutionnalisations ont eu lieu au cours d’une courte période de transformation, ce qui est digne de louanges, il est maintenant temps que l’Union africaine se préoccupe de faire fonctionner ces institutions dans l’intérêt de la population sans considération d’ethnicité, de genre et de religion. La création d’Ecosocc et l’initiative en faveur de la diaspora qui y est attachée sont sans précédent dans les annales de l’Oua/Union africaine. Toutefois, au niveau du continent, parce que le manque d’harmonie dans les relations entre les Etats/sociétés a été un des principaux obstacles à l’approfondissement de la démocratie et la promotion de l’autorité de la loi, nous souhaitons voir un nouveau partenariat entre l’Ecosocc et l’Union africaine qui soit différent de ce dont nous faisons l’expérience au niveau national.
Il devrait y avoir un cadre de partenariat, soutenu par des directives statutaires, afin de rendre compte des violations des codes de conduite et l’esquive des responsabilités. L’ultime défi est de savoir comment un tel organe de la société civile est financé avec des ressources durables. Peut-être le temps est-il venu pour que les citoyens de l’Union africaine prévoient prendre en charge cette responsabilité si véritablement nous voulons nous approprier Ecosocc. Il devrait y avoir suffisamment de ressources et de motivations pour attirer la jeunesse afin qu’elle y participe au travers de fora spéciaux dans nos villages, communautés, districts, campus, et les lieux de travail.
Nous ne devons pas attendre de l’Union africaine, qui est dépendante de payeurs externes, de prendre soin de ses organes concernant la société civile. Un Ecosocc auto financé ira de succès en succès et deviendra une communauté indépendante de réseaux sociaux de l’intérieur et de l’extérieur. Egalement, c’est seulement dans notre capacité d’acteurs collaborants indépendants et de réseaux que nous pouvons mettre nos dirigeants sous pression avec succès. La pénétration de l’Ecosocc dans certains organes de la société civile et l’impact qu’ils ont eu montre le potentiel inexploité de l’organe régional pour le véritable progrès des intérêts des peuples africains. Le bénéfice potentiel d’autres organes centrés sur les gens de l’Union, comme le parlement panafricain, reste à exploiter.
Vers une Union africaine centrée sur la population
L’heure est venue de faire en sorte que les nouvelles institutions de l’Union africaine fonctionnent depuis la base : un processus qui implique la révision des institutions régionales et subrégionales, pendant que les états membres rajeunissent la machinerie des décisions politiques afin de refléter les véritables besoins de la population. La décision de l’assemblée d’endosser l’intégration du Nepad dans les structures et les processus doit être saluée. [6] Il reste à faire de l’Union africaine une institution véritablement humaine, capable de créer un espace institutionnel pour ses états membres et pour que ses citoyens soient réactifs et responsables pour l’apprentissage social mutuel. Les états membres devraient approfondir la démocratie et renforcer les relations entre l’Etat et la société pour les diverses religions, cultures et nationalités afin que la population puisse organiser sa vie dans la paix et la sécurité, afin qu’elle puisse réaliser sa créativité et renforcer ses capacités adaptatives dans un monde de plus en plus incertain. L’évidence dans des pays comme le Ghana n’est pas juste pathologique mais pathétique. Bien que le projet de re-démocratisation du Ghana ait fait des grands titres positifs dans les médias régionaux et internationaux, un examen plus attentif suggère que la démocratie n’est pas, au mieux, une ruée biaisée pour des gains substantiels par les districts et les chefferies au prix des exigences normatives. Ceci n’augure rien de bon pour le développement démocratique du Ghana et la population ghanéenne mérite mieux que cela.
Une grande partie de l’administration ghanéenne a été organisée pour cultiver une fausse conscience : que les dispositions pour les infrastructures et autres projets communautaires du gouvernement équivalent à l’engagement de ce dernier en faveur du contrat social qui sous-tend la jeune démocratie du pays. Toutefois, la mise en place d’infrastructures est l’obligation de tout gouvernement légitime dans la mesure où il exerce une fonction extractive, c’est-à-dire les impôts. Cette pratique a détourné l’attention d’une grande portion de l’administration ghanéenne des problèmes réels auxquels le développement démocratique du pays est confronté. De nombreux Ghanéens seraient satisfaits par le développement des infrastructures mais sont disposés à payer des pots de vin pour des services publics comme la distribution de l’eau. (Afrobarometer, 2015), [7] à payer tout le processus pour l’obtention d’un passeport ou à être prêts à d’autres actes malfaisants sans aucun remord. Comme ailleurs, le système est marqué par les inégalités, des myriades d’exclusions, des violations de droits constitutionnels et d’injustice sociale. Certains membres de l’élite politique ainsi que des fonctionnaires abusent des dividendes de la paix démocratique prévalente et se constituent des fortunes du jour au lendemain par des appels d’offres illicites, l‘appropriation frauduleuse de taxes d’utilisateurs, de budget excessif.
Ce sont là quelques-uns des exemples d’une administration corrompue qui résulte de la pure cupidité. Nous voyons ici comment la « prospérité collective » est systématiquement galvaudée par quelques uns au détriment des générations présentes et futures.
Les efforts pour réaliser une Union africaine centrée sur les gens, sont par conséquent la responsabilité aussi bien de l’état que de la société qui doivent enraciner l’autorité de la loi au niveau national. Au Ghana, pour les raisons pathologiques mentionnées ci-dessus, la société est devenue excessivement dépendante du gouvernement pour toute chose, faisant ainsi de l’ombre au pouvoir de l’activisme de la société civile et à la créativité pour trouver des solutions intelligentes à des problèmes sociaux immédiats. Abban, le mot pour gouvernement du peuple Akan dans le sud du Ghana [8], signifie une « force majeure distante » en même temps qu’une totalité expérientielle. Il a ses racines dans l’administration coloniale et dans sa stricte politique comme celle de la taxation que la population ne considérait pas comme étant bénéfique pour elle. Aujourd’hui cet élément de distance/étrangeté, que ce soit pour les gouvernés ou pour les gouvernants, en est venu à signifier l’apathie vis-à-vis de ce qui appartient au gouvernement.
Ceux qui sont intéressés par cette discussion devrait considérer la malgestion des entreprises d’état jusqu’à leur effondrement et voir comment les petites et moyennes fermes où se cultivent le cacao restent ceux qui font entrer le plus de devises étrangères dans le pays.
A quoi nous mène l’industrialisation conduite par l’état ? La corruption dans l’industrie du cacao commence avec l’octroi de logistique et autres encouragements, l’achat des cosses de cacao, l’allocation de bourses d’étude aux enfants des cultivateurs de cacao et l’exportation des dites « cosses d’or » par les agences gouvernementales, le tout dominé par une soi-disant élite.
Pour surmonter l’énigme de l’état/société il doit y avoir un changement de mentalité (certains l’appelleront la décolonisation de l’esprit) afin de libérer la créativité sociale ainsi que l’adoption de politiques et de leadership comme une vocation en faveur du bien commun. Ceci constituera la base d’un véritable projet social panafricain qui cultivera une authentique identité post nationale et une honnête africanisation de l’Union africaine.
Le projet entre les personnes devrait réunir les Africains, en particulier en rendant les institutions de l’Union africaine et ses organes accessibles et signifiants pour les communautés du continent et de la diaspora afin qu’ils contribuent par leur expertise. Au niveau inter états, les pays devraient intensifier leur coopération avec des pays de bonne volonté et de fraternité de la diaspora, qui ont des avantages comparatifs dans le secteur de l’extraction et d’autres petites et moyennes entreprises pour investir et le partage du savoir dans l’exploitation des ressources naturelles et autres entreprises débutantes. Ceci constituera la base de la promotion d’un nouveau sens de la richesse et de circulation entre les Africains et les gens d’origine africaine.
Il est temps d’approfondir les accords existants de coopération entre les Etats africains et les communautés de la diaspora. Après tout, l’une des préoccupations implicites des pères et mères fondateurs de l’Oua concernait les approches ouvertes des impérialistes qui lorgnaient sur les ressources naturelles du continent dont ils pouvaient s’emparer au plus faible coût économique.
Ceci étant dit, dans une société de plus en plus en réseau et de communautés d’idées et d’expérience partagées, les Africains semblent en permanence déchirés par des frontières anachroniques au travers desquelles ont lieu des transactions économiques pour des milliards de dollars et d’autres échanges de valeurs qui s’évaporent chaque jour. Au lieu de création de richesse par des transactions économiques transfrontalières, nous voyons à de nombreux points d’entrée de nos frontières nationales comment les officiers de l’immigration et les agences de sécurité amassent une richesse illicite par l’intimidation et l’extorsion, voire par l’implication dans d’autres activités transfrontalières illégales. La décision du Ghana et du Mozambique d’introduire l’abolition des visas pour les voyageurs africains d’où qu’ils proviennent était un bon début, mais n’est toujours qu’une goutte d’eau sur une pierre brûlante. Un coup sans éclat après plus de 50 ans de coopération intergouvernementale et d’intégration régionale.
Les problèmes du nouveau millénaire ne peuvent être résolus seulement à coup de chartes, conventions et autres protocoles. Ceux-ci ne sont pas une finalité en eux-mêmes mais sont faits pour créer l’espace social, économique, culturel et politique pour que les gens réalisent leurs aspirations, créativité et capacités adaptatives dans le monde incertain de la globalisation et de l’interdépendance. S’étant pourvue de « nouveaux outils » et « mis de l’ordre » sur la scène internationale par des accords bilatéraux et multilatéraux, il est maintenant temps que l’Union africaine « repositionne » sa population à la tête des affaires, en créant un espace pour que ses citoyens participent au savoir de production intra africain afin de renforcer la compétitivité du continent dans le bazar global des idées et de la créativité. (Olympio, 2013)
En quête d’un nouveau contrat social
Après plus d’une décennie d’institutionnalisation, l’impulsion requise, pour une Union africaine authentiquement centrée sur les gens, doit provenir de la population elle-même par des initiatives à petites et grandes échelles et itérative d’apprentissage social dans un forum commun comme l’Ecosocc, où les idées sont librement échangées et développées et où des conversations honnêtes peuvent avoir lieu dans un environnement politique paisible. De cette façon, avec une société de plus en plus en réseau, nous pourrons construire sur l’engagement, au style unique, hérité de Tajudeen Abdul Raheem, en consolidant les sites pour négocier et contester certaines des décisions et politiques adoptées par nos dirigeants.
La libre circulation des personnes, des biens et des services, un temps de voyage réduit, l’harmonisation du droit commercial et la réforme des systèmes d’instruction sont les conditions sine qua non pour tout projet sérieux d’intégration. Nous considérons les choses de haut alors que notre système d’instruction reflète à peine les réalités socioéconomiques. Comme outil d’émancipation et de transformation, les réformes de l’instruction doivent être revues afin de prendre en compte les défis de la compétitivité globale ainsi que les besoins d’un large secteur informel sur tout le continent, lequel emploie de nombreux jeunes. Certains jeunes y sont à demi employés ou indépendants. (Bit, 1998-99) [9]. Les gouvernements devraient être audacieux et se départir du laisser-faire de ces dernières décennies et s’intéresser au secteur informel et créer les encouragements requis pour que les jeunes puissent développer leurs compétences, leur créativité et améliorer leur portfolio qui font sens sur leur « sites symboliques « (Zaoual, 1997) [10]
La recherche actuelle révèle que le secteur informel au Ghana, par exemple, est le principal générateur d’emplois qui fournit environs le 86,1% de tous les emplois, y compris ceux qui détiennent des certificats d’école secondaire (Ghana statistical service 2013 : 79) [11]. En comparaison, le secteur formel génère 14% des emplois, le secteur informel est « est le plus important des acteurs de l’économie » (Haug 2014 : 12) 12]. L’obstacle principal est le manque de coopération entre les secteurs public, privé et informel. Plutôt que de l’ignorer, les gouvernements devraient s’adapter en éliminant les écueils bureaucratiques et technocratiques ; revoir le système d’instruction afin qu’il reflète les besoins du secteur informel afin de débloquer sa croissance, sa créativité et son potentiel régénératif. Ceci permettra d’établir les fondations pour parvenir à une croissance inclusive et partagée dans tous les secteurs. L’inclusion facilite la prise en main, cultive la légitimité et donc la confiance en soi et des jeunes responsables pourront considérer leurs institutions supranationales avec fierté.
Dans la citation mentionnée plus haut du discours à la nation radiodiffusé le 24 décembre 1957, le Dr Nkrumah, icône du panafricanisme, était convaincu que l’émancipation économique et la prospérité sont la suite directe de la liberté politique et sont ainsi la base matérielle d’une véritable citoyenneté panafricaine.
Conclusion
Jamais auparavant, dans la courte histoire post coloniale, l’unité entre Africains et Etats africains n’a été aussi cruciale. Les contradictions de la globalisation et du capitalisme néolibéral dans un monde plus en plus incertain, l’augmentation des inégalités globales et l’insécurité, les assauts dévastateurs contre l’environnement, la dépossession et l’exploitation non déguisées sont au-delà des capacités des gouvernements alors que des communautés, des groupes et des réseaux sociaux s’organisent eux-mêmes dans une période d’incertitudes et que les évènements perturbants deviennent presque la routine. Il faudra des efforts collectifs modelés par les valeurs sous-jacentes et les vertus qui forment les myriades d’interactions sociales et d’autres flux créatif sous l’arbre Ubuntu du village afin de surmonter ces nombreux obstacles. La cohérence sociale, la solidarité, la fraternité et la bonne volonté sont toutes des valeurs cruciales pour notre progression et ne permettent pas de patauger dans la rhétorique politique. C’est avec cette force sociale que nous pouvons rejoindre la lutte contre l’injustice sociale, la corruption, la pauvreté, l’inégalité, le racisme, la xénophobie, etc. de l’intérieur de notre continent et au-delà avec la plus totale confiance.
Notre identité de citoyens panafricains n’est pas un acquis : on doit y travailler constamment en relation avec nos convictions fondamentales et émergentes. Aujourd’hui, dictés par les défis auxquels nous sommes confrontés sur notre continent, nos fermes convictions doivent être les prémisses d’une véritable identité post-nationale, gardant en mémoire notre histoire embrouillée et donc nos responsabilités. Par le passé, l’Oua s’est chargée elle-même de cette lutte dans un environnement international hostile, en solidarité avec d’autres régions opprimées du monde et nous ne pouvons nous offrir d’être des spectateurs passifs, même si les problèmes sont différents aujourd’hui.
La torche de la liberté allumée et alimentée par de grands panafricanistes comme Tajudeen Abdul Raheem et d’autres doit continuer à briller. Les problèmes auxquels est confronté notre continent, et l’humanité en général, nécessitent les efforts collectifs comme Taju l’a démontré par ses compétences terre à terre d’organisateur, sa sagesse et sa capacité de secrétaire général du mouvement panafricain, directeur de Justice Africa, vice-directeur de la United Nations Millenium Campaign for Africa. [13]
Les réponses à ses défis entrent aussi en résonance avec le concept du « nouveau régionalisme », marqué par une complexité et une interconnexion croissantes des problèmes et des acteurs, au-delà de la capacité des Etats. Une nouvelle pensée conceptuelle qui aide à créer l’espace politique requis pour l’interaction entre des acteurs divers et des réseaux qui sont activement engagés dans les processus existants au niveau des organisations régionales et subrégionales. (Shaw et al 2003). Mises à part les incertitudes inhérentes qui émanent de la tension entre global et local, il y a aussi des opportunités sur de nouveaux sites d’interaction dans lequel les gens ont le pouvoir de réaliser leurs objectifs et leurs créativités dans un contexte dynamique, relationnel, global pendant que nous restons conscients de nos responsabilités régionales, subrégionales et locales. Plutôt que d’être des entraves, nos dirigeants doivent être de véritables facilitateurs de ces processus à niveaux multiples.
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** Francisco Kofi Nyaxo Olympio est Docteur en philosophie, titulaire de la chaire l’anthropologie culturelle à l’université de Trier en Allemagne. Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger.
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**** Les opinions exprimées dans les textes reflètent les points de vue des auteurs et ne sont pas nécessairement celles de la rédaction de Pambazuka News
Notes
[1] Plattner, Marc & Diamond Larry. 2010. Democratisation in Africa : Progress and Retreat. Book Whole. Baltimore, Md : John Hopkins University Press.
[2] Olympio, F.K.N. 2013. Neopanafricanism Foreign Powers and Non-State Actors : Retooling, Reordering, Repositioning. Munster : Lit, Germany.
[3] Dobson, Andrew. 2012. Listening : The New Democratic Deficit : Political Studies, 60 : 843-859.
[4] Dryzek, J. 2000. Deliberative Democracy and Beyond. Oxford : Oxford University Press.
[5] Timothy M. Shaw/Fredrik Söderbaum/Julius E. Nyang’oro/J. Andrew Grant. 2003. The Future of New Regionalism in Africa : governance, human security/development and beyond. In : F. Söderbaum / T. Shaw (Eds.). Theories of New Regionalism. Palgrave : Basingstoke : 180-192.
[6] AU Decision : Assembly /AU/Dec.283 (XIV)
[7] Corah Walker. Lack of safe water, sanitation spurs growing dissatisfaction with government performance. Afrobarometer Round 6, Dispatch no. 76 / 22 March 2016.
[8] The largest ethnic group in Ghana.
[9] International Labour Organisation. World Employment Report 1998-99. Employability in the global economy : How training matters. Geneva.
[10] Zaoual, Hassan. 1997. The economy and symbolic sites of Africa. In : Majid Rahnema with Victoria Bawtree (eds.) The Post-Development Reader. Zed Books : London and New Jersey : 30-39.
[11] Ghana Statistical Service. Provisional Gross Domestic Product. 2013 : 79
[12] Haug, J. 2014. Critical Overviews of the Urban Informal Economy in Ghana. The Friedrich Ebert Stiftung. Ghana Office.
[13] The author was further encouraged during his three-week close interaction with Taju when he gave a series of lectures at the Centre for European Studies at the University of Trier, Germany from 05.06. – 26.06.1996 under the theme : Europe in a Changing World : An African Perspective. When we met again in 2007 during a conference in Bonn, Taju had not changed - beaming with a smile, engaging, and had always something new to tell. The only thing I could tell the African participants who did not know him was that the second day of the conference was going to be very interesting.