Édition du 18 juin 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

L’ouverture des frontières, la seule solution humaniste et rationnelle

L’intervention de Manon Massé, de Gabriel Nadeau-Dubois et de Sol Zanetti contre la stigmatisation des demandeurs d’asile par Jean-François Lisée a été présentée par les péquistes et leurs sympathisant-e-s comme une manœuvre relevant d’une logique électoraliste. Il vaut la peine de revenir à ce que révèlent les interventions des politiciens néolibéraux sur cette question.

Les partis politiques néolibéraux qui dominent à l’Assemblée nationale n’ont rien à offrir à la population tant sur le terrain social que sur le terrain national.

Ni le PLQ, ni la CAQ, comme partis fédéralistes, ne peuvent offrir de façon crédible une perspective de réforme du fédéralisme qui permettrait une véritable redistribution de pouvoirs au sein de l’État canadien en faveur du Québec.

Le Parti québécois, sous la direction Lisée, a encore une fois repoussé à un avenir indéterminé la lutte pour l’indépendance du Québec en promettant de ne pas tenir un référendum sur la souveraineté dans un premier mandat. La question de l’indépendance ne sera même pas l’objet d’un débat important à leur congrès en septembre prochain. Et leurs vidéos éducatifs sur l’indépendance auront le triste honneur de n’avoir aucun impact politique significatif sauf, peut-être, celui d’aider à augmenter le niveau du vote de confiance en faveur de Jean-François Lisée..

Ces partis ont une orientation relativement similaire sur le terrain social et économique. Ils partagent tous les dogmes du néolibéralisme : déficit zéro, acceptation du refus de la classe dominante de payer leur part d’impôt permettant une redistribution de la richesse, maintien des politiques de privatisation de services publics, attaques contre les personnes les plus démunies, particulièrement les personnes vivant de l’aide sociale. Leurs objectifs économiques se résument pour eux dans l’accompagnement des entreprises afin de favoriser la croissance de leurs profits.. Pour ce qui est de l’environnement, si ce n’est les discours mensongers et manipulateurs, ils font la preuve par leur gestion, le PQ y compris lors de son récent passage au pouvoir, qu’ils sont absolument incapables de confronter les intérêts des lobbies des énergies fossiles. Ils s’en font au contraire les complices. Ces partis politiques n’ont pas de solutions à proposer à la majorité populaire qui pourrait répondre à leurs aspirations de voir améliorer leur situation.

Face à l’impossibilité pour les partis dominants de faire face à ces problèmes majeurs vécus par la majorité de la population, ils cherchent à déplacer l’attention sur les questions identitaires qui sont des prétextes à construire des discours permettant de se tailler des bases électorales qui pourraient leur permettrait d’arracher le pouvoir de l’État provincial du Québec. C’est pourquoi nous sommes entrés dans une saison de dérapages et de surenchères identitaires entre le Parti québécois et la CAQ alors que le PLQ de Couillard essaie de se placer au-dessus de la mêlée en soulignant que les partis nationalistes « soufflent sur les braises de l’intolérance. » Alors que les politiques migratoires du Canada et du Québec sont étroitement utilitaristes et peu ouvertes aux besoins des populations qui cherchent à améliorer leur sort en tentant de rentrer au pays.

Les jeux des politiciens et des médias à leur service est dangereux

L’arrivée de demandeurs Haïtien-ne-s en provenance des États-Unis, a été l’occasion pour Couillard, Jean-François Lisée et François Legault de se positionner. Legault a été le premier à contester la venue de demandeurs d’asile qu’il a confondu allégrement avec des immigrants illégaux. Ces demandeurs d’asile coûteraient trop cher à la province. Il a dénoncé les demandeurs d’asile comme n’étant pas, dans leur vaste majorité, de vrais réfugiés…

Pour sa part, Lisée a qualifié les demandeurs d’asile d’entre des « invités de Justin Trudeau ». Il a fait le lien entre les politiques d’austérité du gouvernement qui détériorent les soins de santé et les services donnés aux personnes âgées les argents dépensés pour accueillir les Haïtiens qui franchisent la frontière canadienne de façon irrégulière. « Les 8, 10 ou 15 000 demandeurs d’asile qui restent au Québec pendant trois ans, c’est sûr que c’est plus de 30 millions de dollars. Ou va-t-on prendre l’argent ? »

Ces politiciens ont par là dressé un portrait négatif des demandeurs d’asile, et par extension des personnes migrantes, et ont ainsi conforté les sentiments anti-immigration. Ces interventions s’inscrivent dans le discours public dominant que l’on retrouve à la télévision, dans les journaux et dans les médias sociaux. Ces discours nourrissent des discours et postures xénophobes et croyances stéréotypées. On entretient la méfiance à l’égard des autres, des étrangers et on contribue ainsi à affaiblir l’hospitalité de la population. On introduit une polarisation entre le « eux » et le nous et à présenter les immigrant-e-s comme des problèmes. Les discours xénophobes viennent donc de haut et il est déversé à flot continue sur la population.

Ces discours sont les justifications du refus de reconnaître que l’afflux de personnes migrantes sont les conséquences des guerres et du pillage menés par les gouvernements des pays du Nord contre les populations du Sud. Que ce soit Trump ou les dirigeants de l’Union européenne, ils sont en train de dresser les murs autour de leur territoire croyant pouvoir empêcher les migrations que leurs agissements provoquent par ailleurs. Pas étonnant que l’opposition à l’admission des migrant-e-s sur le territoire du Canada ou du Québec soit de plus en plus forte. Elle s’inscrit dans le cadre des politiques actuelles de la classe dominante dans l’ensemble des pays capitalistes avancés.

Cette passe d’armes au Québec n’était d’ailleurs qu’un épisode, sur la manipulation de la peur face aux personnes immigrantes. François Legault défend maintenant qu’il faille réduire le nombre d’immigrants de 10 000 personnes pour passer de 50 000 à 40 000. Le Québec aurait excédé sa capacité d’intégration des immigrants. Lisée lui aussi pose cette même nécessité de la réduction du nombre d’immigrants. S’il rejette le fait de donner un chiffre sur le nombre désirable d’immigrant-e-s, il confie selon la Proposition principale présentée au prochain congrès du PQ, « au vérificateur général (VG), assisté par l’Institut de la statistique du Québec, ainsi que des experts en démographie, en emploi et en intégration le mandat de recommander, d’une part, le nombre d’immigrants dont on peut raisonnablement assurer l’intégration et le succès, compte tenu de l,effort actuellement engagé, et de déterminer, d’autre part, les seuils et investissements optimaux pour l’atteinte d’objectifs démographiques et de main-d’oeuvre mesurables…  [1] Il en remet en demandant l’obligation de la connaissance préalable du français à leur arrivée au Québec.. Et pour démontrer sa détermination à défendre les normes sociales de la société québécoise, il répète son intention de faire interdite le port du voile intégral dans l’espace public. La ligne est claire. C’est la même orientation que celle du Parti libéral du Québec, qui malgré ses discours d’ouverture, veut limiter l’immigration à une immigration choisie pour les besoins des entreprises du Québec et qui définit de façon restrictive les critères d’accession au statut de réfugié.

L’ouverture des frontières est la seule perspective humaniste et rationnelle

Dans une logique néolibérale, la nécessité de l’ouverture des frontières n’est jamais abordée. « À l’heure où les conflits se multiplient, où les inégalités et l’exclusion sociale atteignent des sommets, et où l’environnement se dégrade à grande vitesse, il est totalement illusoire d’imaginer que les flux migratoires cessent ou diminuent. Les choix politiques en matière de migration doivent absolument partir de ce constat et s’envisager à la fois avec humanisme, en partant des libertés et des droits fondamentaux des individus, et avec pragmatisme, en se donnant les moyens et les capacités de s’adapter aux évolutions de la réalité, en n’oubliant pas que la terre est le bien commun par excellence de tous les habitants de la planète. » [2]
Le zéro immigration est donc impossible. Se limiter à l’immigration choisie et à l’accueil parcimonieuse de réfugié-e-s, c’est un refus de reconnaître s la nouvelle réalité de la recrudescence des migrations en cette période de crise. Se camper sur des politiques de fermeture, sur la construction de murs matériels ou légaux, c’est préparer de nouvelles catastrophes humanitaires.

Les migrations vont se faire. Et il ne faut pas favoriser les migrations clandestines qui feront qu’une partie significative de la population se retrouvera sans papiers et sans droits… à la merci des décisions arbitraires des autorités et des patrons. Le cas des « dreamers » aux États-Unis est exemplaire à cet égard. Pour éviter cela, il faut ouvrir les frontières. Il faut ouvrir les frontières et réguler l’immigration à partir de constats précis : la migration est une richesse et le contrôle des frontières est inefficace et contre-productif. L’immigration est une richesse, car c’est un facteur de développement pour l’économie. Les personnes migrantes accueillies dans le pays produisent, paient des impôts et peuvent être intégrées dans les circuits économiques. Ces personnes sont un apport au niveau culturel, car elles sont porteuses de diversité qui enrichit la société qui les accueille.

Il faut défendre l’égalité des droits : droit de s’installer durablement, de travailler, de recevoir un salaire égal pour un travail égal et d’acquérir la nationalité et de voter. Ce sont là les axes pour développer l’accueil et la solidarité envers les personnes migrantes. Ce sont là des droits pour toute la population laborieuse du pays.

Adopter une telle attitude c’est faire primer les droits humains sur les besoins du capital et dépasser une immigration conforme aux seuls intérêts des grandes entreprises. Agir ainsi c’est empêcher que ce développe une population d’étrangers de l’intérieur avec toutes les paniques identitaires qui s’y rattachent. Face aux crises qui taraudent la planète qui provoqueront une accélération des migrations, il faut savoir prendre le problème à bras le corps et le faire dans une perspective radicalement humaniste.


[1Proposition principale, 4.4..1 page 45

[2Olivier Bonfond, Il faut tuer TINA -There Is No Alternative_ 200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde, Éditions du Cerisier, p. 311

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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