Édition du 12 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

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Le blogue de Pierre Beaudet

L’insoutenable légèreté du 1%

La semaine passée en Ontario, la droite a mangé une bonne claque. Je dis « la droite », vous comprenez que je parle de l’ultra-droite qui s’appelle le Parti conservateur. Grave erreur de leur part, ils ont fait une campagne idéologique, extrêmement agressive et ils ont fait peur au monde. Ce qui a permis au « centre-droit » (le Parti Libéral) de l’emporter finalement, avec un gouvernement majoritaire. Fait à noter, ce parti a mené une campagne à « gauche », reprenant, dans ses grandes lignes, le discours traditionnel du NPD. Entre-temps, le NPD ontarien, tout en maintenant ses positions, a stagné. En fin de compte entre le centre-droite « légèrement à gauche » et le « centre-gauche » plutôt à droite, la différence est minime. Si j’avais été Ontarien, je n’aurais pas hésité, dépendamment du comté, à voter Libéral, d’une part pour faire échec à l’ultra-droite, d’autre part parce que le NPD ne m’apparaît pas réellement comme une alternative de gauche.

Harper-Machiavel

Pendant ce temps, notre ami Stephen Harper a bien observé cette situation. D’emblée, il faut dire que Stephen et son équipe sont beaucoup plus intelligents que les politiciens de droite en général. Tellement qu’une de ses jobs favorites est d’empêcher les députés conservateurs, en général très à droite et peu brillants, de parler. Avec Harper se situe un très petit groupe ultra centralisé et ultra attentif, ce qui inclut une poignée de ministres (Jason Kenny et Tony Clement notamment). Tout est réglé au quart de tour, ce qui fait des députés mais même des ministres des faire-valoir. Pour Harper, la campagne conservatrice en Ontario a été une erreur et il entend bien en tenir compte pour les élections fédérales qui s’en viennent. Il part avec environ 30 % du vote, presqu’inamovible, concentré dans l’ouest et secondairement dans les couches privilégiées en Ontario, avec un noyau militant évangélique, et l’appui de l’élite économique. C’est beaucoup et en même temps ce n’est pas assez. Il doit aller chercher un autre 8-10 %, surtout en Ontario et en Colombie britannique, parmi les couches moyennes « inquiètes ». Contrairement au « noyau dur » pro-conservateur, ces classes moyennes ne se réveillent pas dans la nuit pour haïr les syndicalistes, les féministes, les écologistes, Radio-Canada, le Québec, etc. Ce sont surtout ce qu’on appelle des conservateurs « fiscaux » qui veulent d’abord et avant tout maintenir la cure d’austérité imposée par Harper et éviter tout « dérapage » qui retournerait vers les politiques keynésiennes antérieures. Lors de la dernière élection fédérale, c’est cette convergence qui a permis à Harper de gagner la majorité des sièges.

Les angles morts des (néo)conservateurs

La question se pose toutefois si cette « recette » est encore valable. D’abord, il y a l’usure du pouvoir, dont les symptômes sont l’interminable série de scandales, de magouilles, de détournements de fonds dont Harper et son clan se sont rendus coupables, alors qu’ils s’étaient présentés comme les « chevaliers blancs » de la propreté contre un Parti Libéral canadien (PLC) totalement discrédité. Il semble que cette dérive fait mal à Harper même dans ses bastions de l’ouest qui continuent de penser pour autant comme le Tea Party aux États-Unis. Ensuite, il y a l’inflexion forte et rapide des politiques économiques (néo)conservatrices vers le « modèle » pétrolier, ce qui se fait au détriment de pans entiers de l’économie et surtout de l’est du pays. Mêmes des économistes tout à fait traditionnels parlent maintenant du « mal hollandais », qui affecte une économie canadienne à la merci des cours du pétrole et des taux de change du dollar canadien. Ce n’est plus convaincant de parler d’« austérité » dans un contexte où visiblement d’énormes ressources sont détournées. Il y a également la conscience de plus en plus forte d’un nombre de plus en plus important de personnes des dégâts environnementaux de cette politique. C’est plus visible en Colombie britannique où Harper avait de solides appuis. Et il y a enfin les résistances, celles des mouvements populaires québécois d’une part, celle des Premières Nations d’autre part. Elles ne sont pas au sommet de leurs capacités, mais elles restent fortes et déterminées. Il est évident, par exemple, qu’Harper a bien vu qu’il n’avait pas le rapport de forces pour imposer ses projets de pipelines dans le moment présent.

La fausse alternance

Tout cela mis ensemble fait qu’on peut dire sans exagérer que le pouvoir de Harper est fragilisé. Faut-il conclure pour autant que ses carottes sont cuites ? Cela serait, je crois, exagérément optimiste. Une des cartes de Harper est la faiblesse de l’opposition. Il y a d’une part le duel à mort entre le PLC et le NPD, qui semble devoir se confirmer, écartant totalement la possibilité d’une alliance qui serait pourtant gagnante sur le plan électoral. Derrière le PLC, il y a une partie des élites (le 1 %) qui préfère perdre que de partager le pouvoir avec les « socialistes ». Cette histoire tragi-comique du PLC est aggravée du fait d’un affaiblissement important de ses ressources intellectuelles. Le bellâtre Justin Trudeau qui est d’une navrante médiocrité, est un symptôme (pas la cause) de ce déclin où le PLC avait, dans le passé, de grandes personnalités libérales (au sens philosophique), de droite, keynésiens, pro-américains mais sans excès, antinationalistes québécois, mais capables de comprendre la nécessité de l’art du compromis. Le nouveau PLQ se présente aujourd’hui à peu près tout nu, avec le seulbranding de ne pas être comme le gouvernement Harper. Cela pourrait être insuffisant pour faire une vraie percée même si, probablement, Trudeau va déloger le NPD dans plusieurs comtés, notamment au Québec.

Contre-performance de Thomas Mulcair

Comme lorsqu’il était à l’assemblée nationale à Québec, Mulcair est un véritable pit-bull au Parlement. Il intervient beaucoup et fort, ce qui le fait sortir dans les nouvelles comme l’adversaire acharné de Harper. On pourrait être contents si on faisait abstraction de l’autre côté de la médaille. Sur à peu près tous les grands dossiers, Mulcair est incapable de proposer un programme cohérent. Pire encore, il parle des deux coins de la bouche, notamment lorsqu’il traverse la rivière des Outaouais. Du côté canadien, c’est clair qu’il vise le « centre », et donc la clientèle du PLC, ce qui l’empêche de parler d’un véritable programme de reconstruction d’un pays qui non seulement a souffert le martyr depuis 2007 (première élection des conservateurs), mais qui a été malmené pendant les longues années de pouvoir du Parti libéral. Également, Mulcair est totalement inapte à sortir le Canada de l’impasse des conflictualités nationales, non seulement parce qu’il reste un membre loyal de l’élite anglo-québécoise et du PLQ, mais parce qu’encore là, il ne peut pas « vendre » une réelle réforme au Canada-anglais. Au Québec, il se cache derrière la « déclaration de Sherbrooke », un document tellement bien caché que personne ne le connaît, encore moins ne le lit, même dans la députation du NPD ! Entre-temps, Mulcair fait l’autruche et espère que la question nationale va s’évaporer dans l’océan de la mondialisation et du libéralisme dont il est friand, en ardent défenseur qu’il est des traités de « libre-échange » qui ne sont pas libres et qui ne portent pas seulement sur les « échanges ». Pire encore, Mulcair a fermé la porte à tout rapprochement avec le mouvement populaire et avec QS, comme si c’était des pestiférés. Son projet de mettre en place un « NPD Québec » serait un irritant non nécessaire pour la gauche québécoise et probablement une mauvaise passe pour son parti, au moment où la moitié de ses députés sont menacés au Québec, dans la partie ouest de Montréal, dans l’ouest et le centre du Québec.

Et nous ?

En tout et pour tout, les élites canadiennes sont donc objectivement faibles. L’absence d’un projet de gauche cohérent et crédible est ce qui sauve leur misérable mise. Certes, cette absence d’alternative a une histoire longue, ce n’est pas une « petite » question ou seulement une affaire de « mauvais leadership ». On parle en fin de compte d’une culture politique tordue, atrophiée, atomisée, héritière de l’Empire britannique et de son système de divide-and-rule, modernisée dans le contexte d’une vaste contrée où à peu près personne ne connaît personne. Ce qui n’est pas la même chose dans le village d’Astérix québécois, bien sûr. Pour autant, il est clair qu’Astérix à lui seul ne peut vaincre l’Empire romain. Il faut donc chercher avec qui on peut faire cela. On aura une occasion d’explorer ces idées lors du Forum social des peuples qui aura lieu à Ottawa en août prochain.

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